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Immigration

Naufrage en Grèce : qu’est-ce que le « modèle grec » sur l’immigration, encensé par Darmanin et l’UE ?

Alors que le nombre de morts après le naufrage au large de la Grèce continue de s’alourdir, plusieurs éléments mettent en cause la responsabilité des gardes-côtes grecs et du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis dans ce qui est à ce jour le pire naufrage depuis 2016. Mais qu’est-ce que le fameux « modèle grec » sur l’immigration, encensé par Darmanin et financé par l’Union Européenne ?

Irène Karalis


et Léo Stella

21 juin 2023

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Depuis le naufrage survenu dans la nuit de mercredi à jeudi dernier au large de la Grèce, le nombre de morts est monté à 82 personnes. Il devrait continuer à augmenter puisque sur les 750 personnes qui auraient été à bord du bateau, seule une centaine ont survécu et environ 500 ont disparu dans l’une des zones les plus profondes de la Méditerranée. Il s’agit à ce jour du pire naufrage d’embarcation de réfugiés depuis 2016.

Or, de nombreux éléments mettent en cause la responsabilité des gardes-côtes grecs et du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis dans le naufrage, révélant au grand jour les conséquences des politiques anti-migratoires du gouvernement grec. Mur à la frontière turque, renforcement des outils répressifs aux frontières, généralisation des méthodes de « push-backs » : autant de mesures que Mitsotakis compte renforcer s’il est réélu ce 25 juin. Or, derrière leurs larmes de crocodiles et leurs déclarations hypocrites sur le naufrage, l’Union Européenne et le gouvernement français financent et encouragent ce « modèle grec », à l’origine de nombreux naufrages.

Push-backs et chasses à l’homme : des méthodes qui seraient à l’origine du naufrage et de la mort de centaines de migrants

Depuis plusieurs jours, les témoignages de survivants ainsi que les déclarations différentes d’ONG et associations pointent le rôle des gardes-côtes grecs dans le naufrage.

En effet, ces derniers auraient été avertis à plusieurs reprises qu’un bateau de réfugiés était en danger, sans réagir pour autant. Yorgos Michailidis, militant du NAR, témoignait ainsi dans nos colonnes : « Les autorités grecques du port savaient dès 3h du matin, par Frontex, et dès mardi midi, par des ONG, qu’il y avait un bateau avec 750 réfugiés qui avait besoin d’aide. Le naufrage a eu lieu le jour suivant et comme on peut le voir, les autorités ont beaucoup tardé et n’ont pas envoyé l’aide nécessaire. »

Ce n’est que quelques heures plus tard que les gardes-côtes auraient procédé à un amarrage, pour tirer l’embarcation à l’aide d’une corde. Or, Yorgos explique : « des réfugiés nous ont affirmé que le chavirement du bateau a été causé par la manière dont les autorités portuaires l’ont tiré avec une corde. » Tous les témoignages s’accordent en effet pour dire que ce serait les gardes-côtes grecs qui auraient causé le naufrage, à l’image de Vincent Cochetel, directeur de HCR Méditerranée occidentale et centrale, qui rapporte : « Les survivants nous disent que le bateau a chaviré alors qu’il faisait l’objet d’une manœuvre où il était tiré par les garde-côtes helléniques. Ils nous disent qu’il était tiré non pas vers les côtes grecques, mais en dehors de la zone de secours en mer grecque ».

En pleine opération de communication du gouvernement, qui a décrété un deuil national de trois jours à la suite du naufrage, ces éléments sont venus mettre à mal sa version. Le jour du drame, Kyriakos Mitsotakis a ainsi publié un communiqué ne mentionnant pas l’opération d’amarrage des gardes-côtes grecs et dédouanant les autorités portuaires, en expliquant qu’il n’y avait pas de danger prévisible de naufrage. Deux jours après, le porte-parole des gardes-côtes grecs revient sur ces affirmations, déclarant qu’ils auraient bien utillisé une corde pour stabiliser le bateau ; mais, selon lui, les réfugiés auraient refusé leur aide, ce qui les aurait empêché d’intervenir. Ces déclarations, toutes contredites par les témoignages, finissent de démontrer, s’il y avait encore quelque chose à prouver, la responsabilité de l’État grec, dans la droite continuité de sa politique migratoire.

Les techniques des gardes-côtes grecs sont en effet réputées pour leur brutalité inouïe et leur mise en danger systématique des réfugiés. Les méthodes de « push-back », consistant à repousser ces derniers lorsqu’ils arrivent sur le territoire national, en les remettant notamment à la dérive dans la mer à bord de canots de sauvetage, sont monnaie courante en Grèce. EN 2021, l’ONG Aegon Boat Report publie un rapport dénonçant plus de 629 refoulements illégaux en Grèce.

Ces « push-backs », qui s’opèrent en majorité autour de l’île de Lesbos ou de Samos ainsi qu’à la frontière turque, ont des allures de chasse à l’homme organisée sur un modèle « méthodique et systématique », comme le rapporte le Conseil grec des réfugiés. Selon une étude de ce dernier, le modus operandi des gardes-côtes est particulièrement violent : habillés en noir, des hommes arrêteraient dans la nuit les réfugiés, parmi lesquels des enfants et des nourissons, et les embarqueraient à bord de canots de sauvetage avant de les pousser sauvagement dans la mer vers la Turquie. Des méthodes brutales souvent accompagnées d’intimidations et d’agressions sexuelles, comme le rapportent différents témoignages dans le rapport.

En tout, 940 réfugiés auraient disparu cette année après avoir atteint l’île de Lesbos selon un communiqué de Médecins Sans Frontières. Or, loin de constituer des dérapages individuels, les méthodes des gardes-côtes grecs, clairement mises en cause dans ces disparitions et dans le naufrage de la semaine dernière, s’inscrivent dans le « modèle grec » sur l’immigration, l’un des plus durs d’Europe.

Mur à la frontière, camps de misère : sur le territoire grec, des politiques anti-migratoires réactionnaires

Depuis l’arrivée de Nouvelle Démocratie au pouvoir en 2019, la politique anti-migratoire du gouvernement grec est à la pointe de l’Europe forteresse. Armé d’une rhétorique réactionnaire, populiste et xénophobe, le gouvernement de Mitsotakis a fait de la lutte contre l’immigration un de ses principaux chevaux de bataille et, main dans la main avec celui de Meloni en Italie, il est, en quelques années, devenu le fer de lance de la politique européenne en matière d’immigration.

La politique de Mitsotakis s’est déclinée en deux grands axes : construire de nouveaux camps pour réfugiés et renforcer ceux qui existent déjà ; continuer la construction du mur à la frontière avec la Turquie et y renforcer les mesures sécuritaires.

Présentés comme des « centres d’accueil » pour les demandeurs d’asile, les « hotspots » ont été mis en place en 2016 lors de la « crise syrienne » pour empêcher tout flux de réfugiés au sein de l’Union Européenne et faciliter leur envoi vers un autre pays de l’UE ou leur expulsion. Protégés par des murs de dix mètres de hauteur, entourés de barbelés, gardés par des policiers qui contrôlent chaque entrée et sortie et éloignés de tout accès aux hôpitaux et aux écoles, ces centres censés être temporaires sont rapidement devenus de véritables prisons à ciel ouvert et leur nombre a aujourd’hui doublé.

Sans surprise, les nouveaux camps construits récemment par Mitsotakis sont régulièrement dénoncés pour le manque d’accès aux soins, le manque d’eau courante et, en général, pour les conditions déplorables dans lesquelles les réfugiés sont forcés d’y vivre. Or, cinq de ces prisons à ciel ouvert mises en place par Mitsotakis sont en grande partie financées par l’Union Européenne, qui a décidé d’allouer 276 millions d’euros à la construction de camps en Grèce en 2016. En parallèle, depuis 2019, le gouvernement grec s’est également attaqué au droit d’asile. En 2022 est ainsi adoptée une circulaire rendant quasi-impossible l’accès à un visa et criminalisant les réfugiés et les militants humanitaires et antiracistes à l’aide de plusieurs outils pour les attaquer en justice.

La création de ces camps, principal axe de la politique grec durant ces cinq années, s’est couplée à un renforcement sécuritaire des frontières physiques. En effet, Mitsotakis a renforcé les outils répressifs dans l’Evros, à la frontière avec la Turquie, avec la mise en place d’une nouvelle muraille métallique, mais aussi divers drones, tours d’observations nocturnes ou encore une surveillance par intelligence artificielle en 2021. Mais le principal outil répressif au cœur de ce nouvel arsenal a été les canons à son. Le canon sonore, aussi appelé LRAD (Long Range Acoustic Device) émet un son orienté, extrêmement strident et aigu, aussi puissant qu’un réacteur d’avion et capable de briser des vitres de bâtiments. Le dispositif est donc capable de désorienter un homme mais aussi et surtout d’endommager son système nerveux.

En plus de ce véritable arsenal anti-migrants, le premier ministre grec compte prolonger le mur à la frontière turque. Ce mur, construit en 2012 et qui couvre aujourd’hui 37,5 kilomètres, va être prolongé de 35 kilomètres, avec pour objectif d’arriver aux 100 kilomètres en 2026, afin d’ériger un réel rempart anti-migrant.

Une politique dont le premier ministre grec n’a eu de cesse de se vanter durant sa campagne électorale en agitant le fait que l’immigration dite illégale ait chuté de 90 %, ainsi que la baisse drastique de présence de migrants sur les îles grecques. Alors que ce dernier a affirmé, lors de son meeting de campagne au pied du mur d’Evros, vouloir faire de la Grèce un véritable « rempart » pour l’UE face à l’« invasion migratoire », le dirigeant de Nouvelle Démocratie compte renforcer et aller toujours plus loin dans sa politique xénophobe en augmentant de 15 % le nombre de rapatriés d’ici 2027.

Pour autant, certains manifestants à Thessalonique ont tenu à dénoncer l’hypocrisie de Syriza lors des manifestations organisées après le naufrage, en demandant aux militants de la jeunesse de Syriza de quitter la manifestation. En effet, lors de la campagne électorale, Alexis Tsipras, ancien premier ministre et chef de Syriza, a expliqué qu’il était « évident » que s’il était à nouveau élu, il conserverait le mur à la frontière turque, ajoutant : « mais nous ne nous arrêterons pas là. Nous exigerons la protection de nos frontières sur la base du droit international et européen. » Des déclarations qui s’inscrivent dans la continuité de la politique migratoire menée par le gouvernement de Syriza entre 2015 et 2019, sous lequel plusieurs naufrages ont eu lieu en Méditerranée, et notamment en juin 2016, quand au moins 320 réfugiés sont morts ou disparus au sud de la Crète. Le mandat de Tsipras a par ailleurs été marqué par plusieurs utilisations de la méthode des « push-backs », à l’image de cette famille syrienne emmenée en Turquie après qu’on lui ait promis qu’elle irait à Athènes en octobre 2016.

Un « modèle grec » encensé et financé par l’Union Européenne

Les mesures mises en place par Mitsotakis, qui a fait de la Grèce l’avant-poste de l’Europe forteresse, sont aujourd’hui mises en avant par les figures politiques européennes, financées et soutenues par l’UE elle-même. Sous ses grands discours hypocrites sur l’« humanisme », la réalité est que l’Union Européenne compte sur le gouvernement de Mitsotakis pour faire de la Grèce le fameux « rempart » de l’Europe. L’accord trouvé par le Conseil Européen le 8 juin, qui doit encore cependant être validé par le Parlement européen, compte en effet dans ses propositions permettre de financer des projets visant à s’attaquer aux « causes profondes » de l’immigration via « un fond de solidarité ». Ces sommes présentées comme des indemnités serviront donc à renforcer la politique meurtrière de l’UE en armant Frontex et en finançant des projets liés au durcissement des frontières, à l’image des politiques italiennes et grecques. Après avoir financé les centres de misères, l’UE compte donc passer à la vitesse supérieure en soutenant ouvertement le « modèle grec » de Mitsotakis.

Un modèle qui, dans la politique française, est encensé par la droite et la macronie. L’année dernière, lors de l’élection présidentielle, Valérie Pécresse a par exemple vanté le modèle grec qui serait « exemplaire », en pointant notamment des centres qui permettrait « un accueil de tous ceux qui se présentent à la frontière (…) dans de très bonnes conditions de dignité ». Même son de cloche du côté de Gérald Darmanin. Le ministre, qui prépare une nouvelle offensive d’ampleur contre les immigrés avec la nouvelle Loi immigration, avait lors de sa visite encensé le « modèle grec » en souhaitant qu’il « soit appliqué dans les autres pays méditerranéens, comme en Italie, en Espagne, à Malte » car «  si tous les pays travaillaient comme la Grèce pour le contrôle des frontières extérieures, alors la gestion migratoire serait moins prégnante en Europe. » Des déclarations prémonitoire de la part du ministre français qui fait partie intégrante de cette surenchère xénophobe et sécuritaire à l’échelle européenne.

Une fois de plus, le naufrage de la semaine dernière rappelle le caractère meurtrier de l’Europe-forteresse. En manifestant la semaine dernière à Athènes, Thessalonique et dans d’autres villes de Grèce, en allant protester devant les bureaux de l’Union Européenne, la jeunesse et les travailleurs grecs nous ont montré la voie : face aux politiques réactionnaires et meurtrières de l’Union Européenne, de Mitsotakis et de Darmanin, la seule solution ne viendra pas d’un gouvernement au visage plus humain mais de la construction d’une riposte internationaliste et anti-impérialiste des travailleurs, des classes populaires et de la jeunesse, en France, en Grèce et partout dans le monde.


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