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Décryptage

Une femme trans empêchée d’aller chez le gynécologue : retour sur une polémique transphobe

Cette semaine, une polémique a éclaté à l'initiative de la presse et de groupes réactionnaires au sujet d'un cas de transphobie médicale survenu le 29 août dernier à Pau : un gynécologue a refusé de prendre en charge une femme trans et l'a revendiqué sur internet. Décryptage.

Matthias Lecourbe

15 septembre 2023

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Une femme trans empêchée d'aller chez le gynécologue : retour sur une polémique transphobe

De l’acte de transphobie médicale à la polémique transphobe

Il s’agit d’un incident déjà en lui-même profondément scandaleux, auquel sont malheureusement exposées l’ensemble des personnes trans. On estime qu’environ 20% des personnes trans ont déjà fait face à un refus pur et simple de prise en charge de la part de soignants au cours de leur vie, et 63% disent avoir déjà été discriminées par des soignants en raison de leur transidentité. Parfois, les médecins, débordés par des préjugés transphobes, refusent purement et simplement de prendre le temps d’essayer de comprendre la situation qu’on leur présente.

Dans le cas de l’incident de Pau, la patiente en question avait une douleur au sein, et donc le gynécologue était bien le spécialiste approprié pour traiter ce type de problème. Un tel rejet de la part d’un professionnel de la santé est humiliant, d’autant plus lorsque qu’il vient s’ajouter à un problème initial de santé qui place le ou la patient·e dans une situation de vulnérabilité. Mais, au-delà de la violence du rejet en soi, le caractère structurel et régulier de telles discriminations peut conduire des personnes trans à négliger des problèmes de santé, à les laisser s’aggraver ou encore à entraîner des problèmes supplémentaires y compris sur le plan psychologique.

Interpellé par le biais d’un avis google négatif laissé par le compagnon de la patiente en question, le gynécologue a réaffirmé publiquement et de façon particulièrement odieuse son refus absolu de recevoir des personnes trans. Des associations comme Aides et SOS Homophobie ont alors dénoncé ce refus de soin scandaleux.

La polémique a enflé sur les réseaux sociaux, entre théories complotistes selon lesquelles les femmes trans chercheraient à envahir les rendez-vous des gynécologues pour on ne sait quelle raison exactement, et confusion autour de l’idée qu’une femme trans puisse avoir besoin de voir un gynécologue pour des motifs courants. La presse de droite s’en est donnée à cœur joie, cherchant à agiter le spectre d’une cancel culture pour qui ne céderait pas aux demandes extravagantes et ridicules des personnes transgenres : Valeurs Actuelles, Le Figaro, C8, RMC, ou encore Sud Radio ont offert toute leur sympathie au gynécologue.

La tribune complotiste de Marguerite Stern et Dora Moutot

De leur côté, Marguerite Stern et Dora Moutot, figures de l’association "femelliste", dédiée à construire une opposition entre les intérêts des femmes cisgenres et ceux des personnes trans, se sont emparées de la polémique en publiant une tribune sur Figaro Vox.

Dans cette tribune inondée de chiffres, elles avancent par exemple que les femmes trans n’iraient chez le gynéco que pour des soins post-vaginoplastie, ce qui non seulement est faux mais est ici avancé pour véhiculer deux contre-vérités. D’une part, les chirurgies de réattribution sexuelle seraient des opérations prométhéennes, qui ne pourraient être réalisées que dans la douleur et la difficulté, véhiculant finalement l’idée d’une abominable mutilation. D’autre-part, ces chirurgies « [emcombrent] les cabinets gynécologiques plus qu’ils ne le sont avec des demandes inappropriées ».

Un rhétorique complotiste qui, comme souvent, ne se base sur aucun élément scientifique mais instrumentalise une réalité objective partagée par le plus grand nombre : la difficulté d’avoir accès à des rendez-vous médicaux, et en particulier des rendez-vous gynécologiques, est une réalité et un vrai problème, mais ce n’est pas à cause d’un quelconque encombrement dû aux prétendu caprices de personnes trans. Il s’agit là d’un problème lié à l’insuffisance des structures sanitaires, et notamment à l’organisation du système de santé autour de la médecine libérale, qui conduit entre autres à l’existence de déserts médicaux, à la généralisation des dépassements d’honoraires dans les grandes villes et dans les villes du sud de la France, à la limitation du nombre de professionnels spécialistes ou encore au sous-financement de la recherche sur les problèmes de santé gynécologique.

Pourtant, les deux militantes transphobes font le choix dans la tribune de ne pas dénoncer ces problèmes là, et choisissent au contraire de présenter les femmes trans comme boucs-émissaires, responsables des dimensions sexistes du système de santé dans une économie capitaliste. Elles proposent comme solution de mettre en place des services spéciaux chargés de prendre en charge le suivi post-opératoire des opérations de réassignation sexuelle, ce qui ne répondrait pas aux besoins des personnes trans et tendrait à les stigmatiser - leur vie et la santé ne se résumant pas à des opérations génitales- tout en les exposant davantage à la casse de la santé publique, dans un moment où même des maternités et des centres IVG ferment chaque année en raison des coupes budgétaires.

En nourrissant la rhétorique de la « menace » que représenteraient les personnes trans pour le système de santé, les militant·es transphobes accompagnent la réduction des budgets pour les services de santé spécialisés, et par là même des politiques austéritaires qui impactent l’ensemble des travailleuses et des travailleurs. Par ailleurs, la logique des femellistes vise à revendiquer la préférence pour un groupe au détriment d’un autre, participant à diviser celles et ceux qui gagneraient tant à s’unir et à se battre pour leurs intérêts communs. Cette logique est profondément réactionnaire et devrait être dénoncée par l’ensemble des féministes et des organisations qui militent pour un accès de toutes et tous à la santé publique.

À rebours de cette logique transphobe et antisociale, il est urgent de revendiquer des moyens massifs dans le système de santé pour contrer des décennies de casse néo-libérale, la gratuité totale de tous les soins de santé pour tous·tes, ainsi qu’une formation systématique des soignant·es à la prise en compte des besoins des femmes et des personnes trans, et à chercher activement à faire reculer les préjugés oppressifs dans l’ensemble de la société. Des revendications qui, loin de ne concerner que les personnes trans, concernent l’ensemble des travailleuses et des travailleurs et des secteurs opprimés de la société.


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