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Impérialisme

« La Nouvelle-Calédonie est française » : Macron multiplie les provocations et avance son projet néocolonial

En visite en Kanaky, Macron a voulu enterrer définitivement toute autodétermination. Après le coup de force du troisième referendum sur l’indépendance en 2021, il a réaffirmé la volonté de discipliner l’île pour qu’elle serve aux intérêts de l’Etat français face à la Chine dans la région Indo-Pacifique

Antoine Weil

26 juillet 2023

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« La Nouvelle-Calédonie est française » : Macron multiplie les provocations et avance son projet néocolonial

Crédits photo : capture d’écran BFM TV

Dans la foulée du remaniement, Macron se rendait en Kanaky cette semaine. Après le coup de force de 2021, où l’exécutif a maintenu le troisième et ultime referendum sur l’indépendance en pleine épidémie de covid, l’enjeu de cette visite pour Macron est d’achever le processus fixé par les « Accords de Nouméa » en 1998, enterrer pour de bon toute possibilité d’indépendance négociée, et préparer l’avenir de l’archipel suivant les objectifs géostratégiques de l’Etat français dans la région.

Un discours triomphant qui valide le vol du referendum sur l’indépendance

Alors que deux ans après le referendum, la colère de la population kanak reste importante et que les indépendantistes réclament un nouveau vote sur l’autodétermination, Macron ne s’est pas embarrassé de nuances lors de son voyage sur l’île. A Nouméa ce mercredi, le discours concluant sa visite a été particulièrement offensif et martial. Macron a insisté sur son refus de revenir sur le troisième referendum « Pas de retour en arrière, pas de bégaiement, pas de surplace », exhortant les indépendantistes d’avoir « la grandeur d’accepter » le coup de force de 2021, avant de ponctuer son allocution d’une ultime provocation : « La Nouvelle-Calédonie est française parce qu’elle a choisi de rester française ».

Derrière la communication cherchant hypocritement à témoigner du respect de la culture et de la mémoire de l’île, avec la visite du Sénat coutumier ou la défense d’une « histoire commune » »sans repentance » mais au service de la « vérité et réconciliation », l’ambition de Macron avec cette visite est bien de forcer la main à la population kanak et acter qu’il n’est plus question de discuter de l’indépendance.

Une position dure de l’exécutif qui suscite le rejet des formations indépendantistes qui dirigent le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie depuis 2021. L’Union Calédonienne et le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) ont ainsi boycotté la réunion du Haut-Commissariat du territoire prévue avec Macron, et dénoncé « un discours d’un nouveau néocolonialiste du XXe siècle ». Là encore, l’exécutif acte le blocage et n’entend pas faire des concessions. Vexé, Macron s’est dit « personnellement blessé » de cette absence, avant de provoquer puis de menacer les formations indépendantistes, leur souhaitant un « prompt rétablissement » et les exhortant à ne pas se « réfugier dans un séparatisme » avec son « risque de la violence » contre le « trésor » que représente la paix sur l’île.

Une allusion directe aux affrontements des années 80, période de répression ultra-violente du mouvement pour la libération de la Kanaky, entre l’execution du leader indépendantiste Eloi Machoro par un sniper du GIGN en 1985, jusqu’aux 19 morts du massacre de la grotte d’Ouvéa en 1988. Par cette déclaration, Macron impute à la résistance du peuple kanak la responsabilité des violences et crimes néocoloniaux de cette époque, et estime que l’opposition indépendantiste, puisqu’elle refuse son coup de force sur le référendum, risque de favoriser des actes de résistance « violents ». Une réthorique outrancière qui résume bien l’objectif de Macron de discipliner les volontés d’indépendance de l’île, en miroir de l’offensive autoritaire qu’il mène en métropole.

Et prépare de nouvelles attaques contre le peuple Kanak

Ce discours s’accompagne de changements à prévoir pour le futur de la Kanaky. Après la tenue du troisième referendum, les accords de 1998 prévoient en effet de modifier la Constitution de la Ve République, et notamment les articles 76 et 77 qui portent sur l’île. A l’issue de sa visite, Macron a ainsi confirmé une réforme constitutionnelle « sur la base d’un consensus ».

Si compte tenu des rapports entretenus avec l’opposition, on peine à discerner comment ce consensus pourrait se concrétiser, ce qui est sur c’est que le gouvernement prévoit des changements pour l’île. Outre l’exécutif collégial qui dirige la Kanaky et les compétences du gouvernement local qui pourraient être modifiés, Macron prévoit surtout de s’attaquer aux conditions de vote. Jusqu’à présent, pour voter aux élections provinciales il faut résider en Kanaky pendant au moins 10 ans, ce qui évite que la venue de population métropolitaine fausse les votes en faveur de l’indépendance. Alors que les troupes loyalistes revendiquent depuis longtemps l’abaissement de cette limite à 3 ans, le gouvernement compte profiter de la réforme constitutionnelle pour rogner sur cet acquis. Gérald Darmanin a proposé réduire le seuil à 7 ans. Une volonté de réduire l’autonomie de l’île, et d’empêcher encore plus l’avancée vers l’indépendance.

Face à ces attaques de l’Etat et du gouvernement, les organisations indépendantistes semblent pourtant prêtent à lutter essentiellement sur un terrain institutionnel. Si le vice-président de l’Union calédonienne Gilbert Tyuienon a adopté une position ferme déclarant « tant que l’État n’aura pas compris que nous n’accepterons pas, et que nous n’accepterons jamais, les résultats de la 3e consultation, on ne pourra pas aller plus loin » le chef du parti Roch Wamytan a lui un annoncé envisager un retour à la normale, en cas d’échec du recours porté auprès des Nations Unies. Il a ainsi déclaré : « Nous attendons, avec impatience, le résultat de l’avis consultatif que nous avons demandé à la Cour internationale de justice concernant le troisième référendum. Une fois que cette cour aura donné son avis sur la question posée - ‘est-ce que les conditions du troisième référendum respectent le droit des peuples à disposer d’eux mêmes’, et notamment le droit du peuple kanak - nous allons peut-être, on va dire ça comme ça, admettre le troisième référendum ». Une perspective qui place l’essentiel de ses espoirs dans la décision de la Cour Internationale et qui semble particulièrement illusoire, tant l’Etat français n’hésite pas à contrevenir au droit international lors qu’il s’agit de ses anciennes colonies d’Outre-Mer.

De la même façon, le leader indépendantiste a pointé du doigt la responsabilité du gouvernement actuel dans la situation de blocage : « Quand on regarde ce qu’a fait M. Macron depuis cinq ans, il [est] sorti de l’impartialité de l’Etat (…) puisqu’il a pris parti pour les catégories de populations, de responsables calédoniens, qui souhaitent garder la Calédonie dans la France ». S’il est certain que les macronistes, qui comptent dans leur gouvernement l’ancienne cheffe de file des loyalistes Sonia Backès, sont du côté des caldoches et descendants de colons, l’intérêt de la Kanaky pour l’Etat français est plus large, et rejoint les projets stratégiques de la puissance impérialiste, comme l’a montré la visite de Macron.

Exploitation du nickel, démonstration militaire : la Kanaky au service de la stratégie impérialiste dans l’Indo-Pacifique

Au cours de son séjour sur place, Macron n’a en effet pas fait secret de l’intérêt qu’occupent les ressources et la situation géographique de l’île. Il a notamment insisté sur l’importance de l’exploitation du nickel, dont l’archipel abrite 10% des réserves mondiales de ce métal utilisé notamment pour la production de batteries électriques. Alors que les usines calédoniennes qui traitent le nickel sont gérées par des provinces de l’archipel et que la majorité de la production est exportée vers la Chine, l’Etat français veut profiter de la mauvaise santé financière de ces usines pour reprendre la main.

Macron a ainsi taclé la gestion de l’exploitation du nickel par les autorités locales et a annoncé un «  projet nickel d’avenir » pour développer les usines qui exploitent ce minerai « stratégique » dans le but avoué de concurrencer la Chine. Situé dans le Pacifique Sud, l’archipel Kanak intéresse en effet l’Etat français en raison de la compétition avec la Chine qui prend place dans la région Indo-Pacifique.

La rivalité avec la Chine était à cet égard omniprésente dans les prises de paroles officielles lors du déplacement, comme le résume la déclaration de Macron : « Si l’indépendance c’est de choisir demain d’avoir une base chinoise ici, bon courage, ça ne s’appelle pas l’indépendance ! », prenant l’exemple des Etats voisins qui « ont perdu leur souveraineté » au profit de la Chine selon lui.

Cette visite accompagne ainsi la volonté de la France d’étendre son influence dans une région disputée par les Etats-Unis et la Chine à partir de ses positions existantes, à savoir les territoires d’outre-mer et vestiges de l’empire colonial. A cet égard, Macron a profité de son voyage en Kanaky pour faire un crochet par les îles Vanuatu et proclamé « un réengagement fort sur les territoires voisins des outre-mer français » dans un archipel courtisé aussi bien par les puissances régionales, Australie et Chine en tête, que par les Etats impérialistes comme la France et les Etats-Unis.

Ce renforcement industriel s’accompagne naturellement d’une présence militaire accrue. Là encore, la thématique était très présente de la visite de Macron, qui a par exemple procédé à une cérémonie militaire mardi à Nouméa en présence de deux avions de combat Rafale déployés dans la région, alors que le contingent militaire français en Kanaky a été renforcé l’année dernière.

Dès lors, l’importance de l’archipel pour Macron répond à des objectifs de long terme pour l’Etat français, qui joue dans la région Indo-Pacifique une part importante de sa place parmi les grandes puissances. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les provocations du voyage de Macron, dans la continuité du scandale du troisième référendum.

L’arrivée en 2022 de Darmanin aux ministres des Outre Mer et le tournant sécuritaire et autoritaire de l’Etat français passe en effet par un renforcement des politiques impérialistes françaises. Ainsi les outre mers sont les poins centraux du déploiement de l’autonomie stratégique française à l’heure où la politique étatsunienne tend à la discipliner et la reléguer au second plan, et c’est en ce sens que la politique menée à la fois en Kanaky avec un renforcement contre les indépendantistes, mais aussi à Mayotte avec l’opération militaro-policière contre l’immigration, vise à résoudre des contradictions historiques de la France, avec une main plus dure de l’Etat. Cette solution de renforcement autoritaire ouvre des brèches pour la résistance de la classe ouvrière, de la jeunesse et des secteurs populaires des territoires ultramarins et notamment de la Kanaky, avec la nécessaire expression depuis la métropole d’une solidarité anti-impérialiste du mouvement ouvrier.


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