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Témoignages

Exclusions, profilage racial, harcèlement : comment la chasse aux abayas et qamis va impacter les élèves

L’interdiction du port des abayas et des qamis à l’école n’est pas seulement une « diversion ». Marquant un saut dans l'offensive islamophobe menée dans l’éducation nationale depuis deux ans, elle aura des conséquences dramatiques pour les élèves et pour le personnel. Témoignages.

Gabriella Manouchki

31 août 2023

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 Exclusions, profilage racial, harcèlement : comment la chasse aux abayas et qamis va impacter les élèves

Crédit photo : Révolution Permanente

Après avoir annoncé ce dimanche l’interdiction du port des abayas à l’école, le ministre de l’Éducation Gabriel Attal était interrogé ce jeudi sur France Inter au sujet, notamment, de l’application concrète de cette mesure. Renvoyant à une « note » envoyée ce jeudi aux directions d’établissement, il a précisé que cette interdiction ne visait pas seulement les abayas mais aussi les qamis, tenues considérées comme masculines. Une clarification visant à répondre à celles et ceux qui ont souligné le caractère sexiste de l’interdiction du port de l’abaya, tout en élargissant le champ d’application de ce qui s’annonce comme une systématisation de la chasse aux musulman·e·s déjà engagée dans l’éducation nationale.

Une mesure d’exclusion des jeunes filles et garçons musulman·e·s de l’école

Interrogé par Léa Salamé, le ministre explique comment il entend faire appliquer cette mesure : les élèves dont on estime que la tenue relève de l’abaya ou du qamis seront directement empêchés de se rendre en cours. À la place, ils seront incités à « rentrer dans l’établissement où il y aura un échange avec l’équipe pédagogique » visant à « expliquer le sens de la règle ». En cas de refus de se soumettre aux nouvelles directives, ces élèves seront de fait exclus de cours, y compris si cela doit durer « plusieurs jours ». En d’autres termes, le gouvernement assume une fois de plus de priver des élèves de leur droit à l’éducation publique sur la base de leur stricte appartenance religieuse, qu’elle soit supposée ou réelle.

De fait, depuis la loi de 2004 dite « en application du principe de laïcité », les jeunes filles qui refusent ou sont empêchées par leur famille de retirer leur voile sont déjà exclues de l’instruction publique. Depuis l’année dernière, plusieurs textes réglementaires amènent à réprimer, en plus du voile, les tenues des filles et des garçons considérées comme religieuses par les directions d’établissements. S’il existait jusqu’ici une marge de manœuvre pour faire appliquer ou non ces textes dans la réalité, cela fait un an que la pratique de refuser des élèves en cours pour port d’abaya ou de qamis a commencé à se forger en France.

Lire aussi : Interdiction de l’abaya à l’école : un nouveau saut dans l’offensive islamophobe

Une traque au quotidien, subie par les élèves et par les personnels

« Une élève s’est faite convoquée trois fois dans le bureau de la proviseure. On lui a reproché sa tenue, notamment sa robe qu’elle (la proviseure, NDLR) considérait comme étant ostentatoire car c’était une robe longue. », nous racontait Cassandre*, assistante d’éducation à Toulouse, dès novembre 2022. « J’ai l’impression d’être traitée comme un voile sur pattes », nous confiait alors Samia*, lycéenne. « C’est parce qu’ils auraient soi-disant peur qu’on soit radicalisés, mais radicalisés de quoi ? On va me dire que parce que demain je vais mettre le voile je vais aussi aller faire le djihad, absolument pas je ne partage pas cette idéologie », expliquait-elle.

Une procédure humiliante, qui semble s’être installée dans de nombreux établissements tout au long de l’année avec différentes variantes, à l’image de ce que nous raconte Magali*, AED dans un lycée de Montpellier : « On nous a demandé à la fin de l’année d’être "beaucoup plus strictes sur les abayas". Moi, j’ai demandé ce que c’était, et personne n’était d’accord sur la définition. Finalement, on m’a dit "de toute façon, tu sauras", sous-entendu "si la robe est portée par une arabe, c’est une abaya". À l’entrée du lycée on devait prendre leur carte, on ne devait pas leur dire pourquoi, et on devait les envoyer récupérer leur cartes chez les CPE ».

De nombreux travailleurs·euses, notamment parmi les AED chargé·e·s de sélectionner les élèves suspect·e·s à l’entrée de l’établissement, ont refusé ou contourné ces nouvelles consignes. Pour systématiser cette pratique, de nombreuses « formations laïcité » ont alors été organisées au sein des établissements. Parfois présentées comme obligatoires ou étant fortement recommandées, exposant les récalcitrant·e·s à des représailles de leur direction en cas d’absence, ces formations ont eu pour objet de convaincre idéologiquement les travailleurs·euses de l’éducation du bien fondé républicain des « nouveaux réflexes » à intégrer. « Toute la présentation tournait autour de Samuel Paty pour donner du poids et de l’assise, ils ont répété son nom 100 fois et l’ont instrumentalisé à mort », raconte Benoit*, jeune enseignant en lycée professionnel ayant assisté à l’une de ces formations dès son arrivée dans l’établissement.

Au programme : des exercices de résolution de « cas-types », mettant à l’épreuve la capacité des membres du personnel à répondre aux « atteintes à la laïcité » définies par le gouvernement voire par les chefs d’établissement eux-mêmes. « L’exercice qui m’a le plus choqué est celui avec des filles qui ne veulent pas aller à la piscine en cours d’EPS. Ce n’est pas précisé sur la feuille, mais la formatrice ajoute qu’elles sont musulmanes. Le débat est guidé pour arriver à la conclusion que c’est à cause de la radicalisation qu’elles ne veulent pas aller à la piscine, sans même envisager d’autres possibilités, comme celles où elles n’auraient tout simplement pas envie de se mettre en maillot de bain, notamment vis à vis des mecs de leur classe », poursuit Benoît.

Quand les membres du personnel contestent les nouvelles consignes, ils sont souvent eux-mêmes stigmatisés par la direction, voire directement réprimés par l’institution avec des méthodes allant de la convocation au rectorat jusqu’au licenciement par non renouvellement de contrat, en passant par le harcèlement moral. « La proviseure a fait en sorte que les collègues qui s’étaient mobilisés contre ces nouvelles consignes ne puissent pas travailler ensemble, une AED a fait un burn-out car elle s’est pris un gros harcèlement de la part de direction », nous raconte par exemple Gaspard*, AED en région parisienne. À Marseille, les AED qui se sont mobilisés contre le racisme d’un proviseur ont même fini en garde-a-vue au début de l’été.

Lire aussi : Profilage racial, harcèlement, contrôle vestimentaire… Les lycéennes face à l’islamophobie d’État

Non aux exclusions de cours, au profilage, au harcèlement : organisons-nous au côté des élèves !

L’interdiction des abayas et des qamis à l’école s’inscrit dans la continuité directe de l’offensive islamophobe en cours. Face à une application inégale des textes récents du gouvernement, du fait notamment de nombreuses résistances à différents niveaux du côté du personnel d’éducation, cette interdiction vient imposer la systématisation au niveau national de pratiques d’exclusion, de profilage et de harcèlement des élèves musulman·e·s ou supposé·e·s l’être.

Contrairement à ce qu’affirme la gauche politique et syndicale, à l’instar des dirigeants de la NUPES ou de la CGT et de la FSU, il ne s’agit pas d’une simple tactique de diversion ni d’une répétition d’une même norme visant à « masquer l’ensemble des problèmes de l’école en cette rentrée », mais bien d’une mesure qui aura des implications très concrètes sur la vie des élèves et du personnel de l’éducation nationale. L’interdiction des abayas et qamis sert tout autant à renforcer la mise au pas de la jeunesse qu’elle va permettre la répression des personnels qui luttent pour défendre leurs conditions de travail dans leurs établissements et se retrouvent de plus en plus souvent convoqué·e·s en procédure disciplinaire sous couvert d’une non application de la loi de 2004.

Lire aussi : Abayas à l’école : Sophie Binet de la CGT valide l’offensive islamophobe de Macron

Alors qu’élèves et personnels sont visés par différentes attaques du gouvernement, tant du point de vue du manque de moyens pour la rentrée scolaire et que de celui des questions d’oppression, il est urgent de construire une réponse conjointe. Cela passe nécessairement par une lutte contre l’interdiction des abayas et des qamis au côté de celles et ceux qui se feront exclure de classe, mais aussi contre toutes les réglementations qui tendent à opposer les élèves et les membres du personnel en faisant de ces derniers le relai de la politique islamophobe du gouvernement. Comme le dit Benoit : « Si tu as passé toute l’année à réprimer tes élèves sur leurs vêtements, vous n’allez pas lutter ensemble ».

À rebours de cette logique, que l’on soit travailleur de l’éducation, élève ou parent d’élève, il est urgent de nous organiser pour donner une réponse collective, par la base, à cette nouvelle interdiction. L’urgence pour les directions du mouvement ouvrier comme pour les organisations politiques qui dénoncent la mesure devrait être de construire un programme de lutte pour la rentrée, qui articule opposition aux lois racistes, en exigeant l’abrogation, entre autres, de la loi séparatisme, de la loi de 2004 ou encore l’abandon de la future « loi immigration », lutte contre l’offensive autoritaire, et combat pour les salaires et les conditions travail de toutes et tous. Un programme dans lequel l’exigence de moyens pour l’éducation aurait évidemment toute sa place, et qu’il faudra défendre par la grève et dans la rue, aux côtés de l’ensemble des organisations du mouvement ouvrier, mais aussi de l’antiracisme, du féminisme ou de l’écologie, condition pour construire un rapport de forces à la hauteur face au gouvernement.

*Les prénoms des personnes qui témoignent dans cet article sont anonymisés.

C’est pour discuter de cette situation politique et s’organiser contre l’offensive raciste et islamophobe d’Attal et de Macron que les travailleuses et travailleurs de l’éducation de Révolution Permanente et le Collectif d’Action Judiciaire organisent une nouvelle réunion publique ce jeudi 14 septembre à 19h à Paris. Venez nombreuses et nombreux.


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