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Sois jeune et tais-toi

Alimentation, logement, casse de l’université : quel programme face à la précarité étudiante ?

Entre crise du logement et précarité alimentaire, la rentrée universitaire est marquée par la paupérisation grandissante de millions de jeunes. Une conséquence brutale de six ans de macronisme, contre lequel il est urgent de construire une riposte.

Erell Bleuen

18 septembre 2023

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Alimentation, logement, casse de l'université : quel programme face à la précarité étudiante ?

Crédits photo : Rue 89 Strasbourg - Flickr

C’est toujours dur d’être jeune en 2023. A Paris, Toulouse, Lyon, Montpellier tout comme à Poitiers, Metz ou encore Chambéry, pour les trois millions d’étudiants qui retrouvent les bancs de l’université, la rentrée rime de nouveau avec précarité. Après que la crise sanitaire ait plongé des centaines de milliers de jeunes dans l’isolement, l’angoisse et la pauvreté, les deux années consécutives d’inflation ont profondément dégradé les conditions de vie des étudiants.

Une rentrée étudiante marquée par la précarité alimentaire et la crise du logement

Essence à deux euros le litre, hausses des prix du gaz et de l’électricité, augmentation du coût des produits de première nécessité : cette année encore, c’est sous le signe de l’inflation qu’a démarré la rentrée. 87 % de la population fait plus attention à ses dépenses qu’il y a quelques mois selon un sondage Odoxa, les Restos du Coeur sont menacés de faillite face à l’explosion de la demande, près d’un français sur cinq vit à découvert,...chaque jour, sondages et entretiens offrent un tableau dramatique de l’appauvrissement de millions de foyers en France.

Et parmi les premiers touchés, on retrouve les étudiants. Si nombre d’entre eux vivaient déjà dans des conditions difficiles, l’inflation a fortement aggravé la précarité des jeunes et désormais, un quart des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté. Les chiffres sont édifiants : un étudiant sur deux a déjà sauté un repas, 40% d’entre eux ont renoncé à se chauffer cet hiver, à se soigner, le tout en passant leur temps à découvert. Pour Ali*, étudiante en master à l’Université Jean Jaurès à Toulouse, « je travaille à côté de mes études depuis quatre ans mais malgré ça, c’est toujours la galère. Il faut toujours compter, on sort jamais la tête de l’eau ».

Sur tous les campus universitaires, le constat est le même et les associations alertent de la hausse inquiétante des fréquentations des distributions alimentaires par les étudiants, comme l’association Cop1 qui a écoulé 500 colis alimentaires en quelques minutes début septembre et dont le président racontait au Monde : « ça fait trois ans que l’association existe, on s’était dit que ce n’était pas censé durer… Mais la situation empire ».

Et si les moins de 25 ans représentent désormais 19 % de l’accueil de la Banque Alimentaire, la situation est loin d’être plus réjouissante du côté du logement. Comme les 175 000 logements Crous ne peuvent accueillir que 6 % de la population étudiante, nombreux sont les étudiants qui se tournent vers la location privée dont les prix ont bondi dans certaines villes, plongeant des centaines de milliers d’étudiants dans la recherche désespérée d’un logement. A Rennes par exemple, où la crise du logement sévit depuis plusieurs années, « depuis cet été, les offres de location deviennent de plus en plus rares, et disparaissent quelques minutes après avoir été publiées ! Et les prix sont exorbitants : pour trouver un 16m2, il faut mettre 400 euros grand minimum… » nous raconte Annaëlle, étudiante en licence d’histoire à Rennes 2.

Entre précarité et discipline, six ans de mandat du « président des jeunes »

Loin d’être un état de fait où une « étape » du passage à l’âge adulte, la situation dramatique dans laquelle les étudiants sont plongés n’est en réalité que le reflet de la politique menée par le gouvernement Macron depuis son arrivée au pouvoir.

Car mis à part faire quelques vidéos avec des stars de Youtube, le « président des jeunes » n’a pas cessé d’attaquer les étudiants et leurs conditions de vie. Entre la réforme des APL, l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers, le refus de généraliser le repas à 1 euros ou encore la promesse d’une réforme des bourses au rabais, la macronie s’est efforcée de transformer la vie étudiante dans une compétition que seuls les plus aisés peuvent remporter.

D’autant que ces attaques qui risquent de se renforcer dans les années à venir, que ça soit par le renforcement de la sélection à l’université où l’idée esquissée par Macron dans une interview avec Hugo Décrypte d’une nouvelle hausse des frais d’inscription, pendant que la ministre de l’Enseignement Supérieur exigeait au début du mois de septembre des « efforts » budgétaires aux universités – autrement dit, des coupes budgétaires qui vont se répercuter en premier lieu sur les usagers, en plus des travailleurs de l’enseignement supérieur.

Mais si le gouvernement travaille à virer les jeunes les plus précaires de l’université, c’est pour en faire une main d’œuvre bon marché pour le patronat. Et sur ce terrain, il a été force de proposition : de la plateforme « 1 jeune 1 solution » au contrat d’engagement jeune en passant par l’augmentation des services civiques, Macron a multiplié les dispositifs limités dans le temps, qui n’offrent aucune stabilité et sont rémunérés au lance-pierre pour faire des jeunes rejetés hors de l’enseignement supérieur une véritable variable d’ajustement du marché du travail, malléable à souhait selon les besoins des entreprises, qui elles bénéficient de nombreux cadeaux du gouvernement. En écrémant socialement les rangs de l’université, le gouvernement cherche ainsi à adapter la quantité de main d’oeuvre qualifiée aux besoins précis du patronat - ce qui s’accompagne d’une ingérence plus forte des entreprises dans les enseignements ou dans la recherche, qui participent aux Conseils d’Administration des universités ou financent des contrats doctoraux.

Mais cette volonté de mettre au travail la jeunesse sert également à la discipliner et à empêcher son expression politique en la maintenant en situation de précarité. Ces attaques anti-sociales rejoignent en ce sens l’offensive idéologique que mène la bourgeoisie à l’encontre de la jeunesse. En effet, face à la radicalisation croissante de toute une génération qui refuse d’accepter l’avenir que lui promettent l’État et le patronat, le gouvernement tente d’imposer par la matraque ses desseins pour la jeunesse. Chasse contre l’« islamogauchisme » dans les facs, mesure sexiste et islamophobe à l’encontre des abayas, Service National Universel, tout est fait pour préparer les jeunes à défendre docilement les « valeurs de la République » et le système qui les accompagnent, tout en criminalisant tout ceux qui contestent l’ordre établi, à l’image des étudiants et lycéens mobilisés contre la réforme des retraites où encore les jeunes de quartiers populaires qui se sont soulevés contre les violences policières.

La jeunesse mérite un autre avenir !

La rentrée, marquée par l’aggravation de la précarité dans la jeunesse, rappelle l’urgence de la construction d’une lutte d’ensemble contre la politique du gouvernement, pour que les jeunes puissent vivre, étudier et travailler dans des conditions dignes. Car après avoir réussi à imposer la réforme des retraites, Macron ne va pas s’arrêter en si bon chemin et prévoit d’ores et déjà de nouvelles attaques face auxquelles la jeunesse risque de se trouver encore une fois en première ligne.

Et si les mois qui viennent de s’écouler ont montré qu’une colère profonde animait de larges pans de la jeunesse, la structuration de celle-ci autour de revendications capable d’entraîner les différents secteurs qui se sont mobilisés ces derniers mois est une condition sine qua non pour réussir à prendre une revanche contre Macron. Un programme qui comprendrait l’instauration d’un revenu étudiant afin que les jeunes n’aient plus à choisir entre travailler et étudier, financé par un impôt fortement progressif sur les grandes fortunes pour que ce soit au patronat qui s’enrichit sur le dos de l’inflation de payer, et non aux classes populaires de financer par l’impôt le revenu de leurs propres enfants. Mais pour réussir à prendre à bras le corps la paupérisation de la jeunesse, seul un revenu situé au-dessus du seuil de pauvreté à hauteur du SMIC et indexé sur l’inflation pourrait véritablement permettre à l’ensemble de étudiants de vivre et non pas survivre, en cessant d’être dépendants de leurs parents ou d’un travail salarié, pour que leurs études et leur entrée dans la vie d’adulte soit un moment d’émancipation plutôt qu’une période stress et de galères pour finir le mois et payer ses factures.

Et alors qu’au sein des formations professionnalisantes tout comme sur le marché du travail, les jeunes sont utilisés comme main d’œuvre quasi-gratuite et flexible au bon vouloir du patronat, il faut se battre pour un CDI pour toutes et tous de manière à mettre fin aux contrats précaires qui divisent notre camp social, tout en défendant que les stages et les alternances soient rémunérés à hauteur des salaires réels. A travail égal, salaire égal !

Face à une crise du logement qui laisse des centaines de milliers d’étudiants sans solution ou les contraignant à débourser des loyers exorbitants, il est urgent de défendre la réquisition des logements vides dont la France compte plus de trois millions ainsi que la mise en place d’un plan de construction de cités universitaires pour que tous les étudiants aient accès à des logements dignes.

Mais l’ensemble de ces revendications sociales sont indissociables d’une lutte contre l’offensive idéologique du gouvernement, qui cherche à diviser la jeunesse et mieux la mettre au pas à coups d’attaques autoritaires. Ainsi, pour unifier l’ensemble des jeunes dans un même combat contre Macron et le système qu’il défend, il est essentiel de revendiquer l’abrogation de toutes les lois racistes et sécuritaires, à commencer par la loi de 2004, ainsi que l’amnistie pour tous les jeunes qui se sont soulevés contre le racisme d’État et les violences policières que l’État cherche à broyer avec sa machine judiciaire et carcérale.

Seulement, pour obtenir l’ensemble de ces mesures qui permettraient de mettre fin à la dégradation alarmante des conditions de vie et d’études des jeunes, il est nécessaire de construire un rapport de force d’ampleur contre le gouvernement. Car en refusant d’accéder à une revendication aussi minimale que celle de la généralisation des repas à un euro en février dernier, la macronie a montré qu’elle était prête à ne rien lâcher, et surtout pas au terme d’un débat dans les institutions ou dans le cadre d’un vote au parlement. Mais face à la détermination de la classe dominante, le plan actuel proposé par les directions syndicales, qui refusent de prendre une « revanche contre le gouvernement » d’après les mots de la dirigeante de la CFDT, de reprendre le chemin du dialogue social et d’appeler à une journée de mobilisation isolée le 13 octobre, est loin d’être à la hauteur.

A l’inverse, la jeunesse qui a plus que jamais des raisons de se battre doit contribuer à imposer, aux côtés du monde du travail, un plan de bataille qui articule le combat contre toutes les offensives du gouvernement. Pour ce faire, les manifestations du 23 septembre contre les violences policières et du 13 octobre pour les salaires constituent des points d’appui afin de défendre la construction d’une riposte généralisée de toute la jeunesse et du mouvement ouvrier.


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