Lorsqu’un dirigeant syndical quitte ses responsabilités, on s’attend à ce qu’il réintègre son ancien poste. Mais pour les dirigeants de l’intersyndicale, pas question de retourner en bas de l’échelle ! Après sa déconvenue au Congrès de la CGT, Philippe Martinez était retourné travailler chez Renault, non pas comme technicien métallurgiste, le poste qu’il avait avant d’être détaché à 100%, mais dans un poste de responsabilité en ressources humaines.
Pour Laurent Berger, il aurait même été difficile de retourner à son ancien boulot : le dirigeant syndical n’a travaillé en tout et pour tout que deux ans, entre 1994 et 1996, entre son poste de secrétaire général de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne et son détachement syndical à l’union locale CFDT de Saint-Nazaire. Après une longue carrière de bureaucrate, Laurent Berger va donc finir au Crédit Mutuel, chargé de la création et de la direction d’un think tank « centré sur la protection des écosystèmes et sur la lutte contre le réchauffement de la planète », comme le précise Le Monde.
L’objectif du nouveau poste ? Tout simplement une opération de greenwashing au service d’une banque qui a fait 3,5 milliards d’euros de bénéfices en 2022, soit un tiers des 10 milliards qui manquait, selon lui, pour éviter la réforme des retraites. Peut-être suggèrera-t-il à la banque de les verser aux caisses de retraites pour empêcher la réforme ? Ce n’est a priori pas le plan, le think tank devrait être chargé de produire « des données pour que l’entreprise fasse évoluer ses pratiques » continue d’expliquer le Monde.
En réalité, l’ancien dirigeant de la CFDT s’est engagé dans une banque qui traîne, depuis dix ans de très nombreux scandales de blanchiment d’argent, de fraude fiscale, mais aussi de manquements dans la lutte contre le financement du terrorisme. Alors qu’en 2015 Vincent Bolloré avait fait censurer une enquête de « Spécial investigation » qui révélait un système, mis en place par les dirigeants du Crédit Mutuel, d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent, trois ans après, la même banque est condamnée par la Banque de France à une amende d’un million d’euros pour son comportement laxiste concernant les vérifications de ses clients, qu’ils soient liés à des paradis fiscaux pour certains d’entre eux, ou au terrorisme pour d’autres.
Cerise sur le gâteau : en plus d’être aussi pourrie que les autres banques françaises, l’association Oxfam explique dans un rapport en novembre 2018 que le groupe Crédit Mutuel-CIC finance lourdement les énergies fossiles qui précipitent le monde dans la crise climatique. En 2016-2017, le groupe a investi dix fois plus dans les énergies fossiles que dans les énergies renouvelables : 430 millions dans le pétrole et le gaz, contre 43 pour le renouvelable. On comprend dès lors son besoin de lancer un think tank pour verdir un peu son image. On pourrait continuer à liste les scandales liés au conglomérat des banques et assurances, mais on finira par rappeler la profonde implication du CIC, racheté en 1998 par le Crédit Mutuel, dans la ruine d’Haïti : après l’indépendance accordée par la France au prix d’une dette étouffante, l’un des principaux acteurs de la ruine du pays sera le CIC, qui vivra pendant plus de cent ans sur cette dette coloniale savamment entretenue. Un crime que la banque ne reconnaîtra jamais.
Laurent Berger défend pourtant la banque. « Car c’est une banque mutualiste, relevant du secteur de l’économie sociale et solidaire, qui développe une véritable stratégie pour contribuer à une transition écologique socialement juste » explique-t-il. Chacun se fera sa propre idée du caractère social et solidaire d’une telle banque, et on peut se demander quel montant l’ex-dirigeant de la CFDT touche aujourd’hui pour laver l’image de la cinquième banque française.
La trajectoire de Laurent Berger est tout sauf une exception. Il ne fait qu’imiter ce que font les anciens dirigeants de confédérations syndicales (pas seulement à la CFDT). François Chérèque, secrétaire général de la CFDT de 2002 à 2012 avait fini président du think tank Terra Nova, et avait été nommé par le gouvernement à l’Agence du Service Civique. Nicole Notat, qui l’avait précédé à la tête de la CFDT, avait quant à elle créé une société de notation des entreprises, accordant des « bons points » aux entreprises, avant d’être présidente du club de bourgeois Le Siècle ou encore de diriger pour le gouvernement l’arnaque du Ségur de la Santé à la sortie du Covid. Laurent Berger vient confirmer que, lorsque l’on sert fidèlement l’Etat français en mettant toute son énergie à empêcher la victoire de mouvements sociaux, celui-ci remercie vos services par une retraite dorée.
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