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Billet

« Qui va s’occuper de l’escadron de bébés de Macron ? » Sauvane, travailleuse en crèche

L’annonce du projet de « réarmement démographique » par Macron a réveillé de la colère au sein des milieux féministes et des secteurs du « care ». D’une main, il nous incite à faire plus d’enfants, de l’autre, il continue son projet de casse des services publics. Billet de Sauvane, apprentie auxiliaire petite enfance en crèche.

Sauvane Lemel

29 janvier

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« Qui va s'occuper de l'escadron de bébés de Macron ? » Sauvane, travailleuse en crèche

« Laisse-le pleurer, va, tu n’as pas le temps »

Les places manquent. Les premiers à pouvoir en témoigner sont les parents, qui se retrouvent souvent contraints à demander l’inscription en crèche plusieurs mois avant la naissance de l’enfant, voire même dès qu’ils apprennent la grossesse, s’ils veulent espérer obtenir une place avant la fin du congé maternité. Difficile d’imaginer comment pourra être gardé le futur escadron de nourrissons commandé par Macron s’il n’y a pas assez de berceaux disponibles dans les crèches. Le personnel, payé au SMIC, surchargé d’enfants, régulièrement malade ou en burn out, est en train de déserter le métier. « Je ne veux pas y rester toute ma vie », m’a déjà dit une collègue.

J’ai très vite appris que c’était un métier « de coeur », qu’il fallait endurer, pour les enfants. Mais lorsqu’il s’agit de répondre à leurs besoins spécifiques, le discours est tout d’un coup moins sentimental : « laisse-le pleurer, va, tu n’as pas le temps ». J’ai vu un enfant avec un vécu chargé de traumatismes pleurer pendant toute une journée, tenter d’escalader mes jambes, de se réfugier contre ma poitrine, et des collègues me dire de l’ignorer, pour ne pas qu’il s’habitue à avoir trop d’attention et que ça mette en difficulté l’équipe. De l’autre côté, à l’école où on nous forme au métier, on insiste sur l’importance pour l’enfant de créer un lien d’attachement avec l’adulte en crèche, afin qu’il se sente suffisamment sécurisé pour aller vers l’autonomie, qu’un enfant qu’on laisse pleurer a plus de chances de développer de l’anxiété.

Pourtant, il est difficile de se rendre disponible pour chaque enfant lorsque l’encadrement légal prévoit une professionnelle pour huit enfants marcheurs, et cinq lorsqu’ils n’ont pas encore acquis la marche. Avec de telles conditions de travail, le système des crèches ne peut-être que maltraitant, une fabrique des adultes malades.

La casse de la crèche a créé des fortunes

Au début des années 2000, plus particulièrement pendant le dernier mandat Chirac, le gouvernement a mené une politique de drague envers le secteur privé de la petite enfance. Un secteur aujourd’hui très lucratif, puisque, représentant environ un quart des berceaux en France, il pèse près d’un milliard et demi d’euros de chiffre d’affaires. On peut même retrouver des PDG des « Big Four » du marché de la petite enfance dans le classement des 500 plus grandes fortunes de France publié par Challenges, comme Rodolphe et Edouard Carle, présidents des crèches Babilou, à la 289ème place de l’édition 2023.

Des profits qui se font au détriment de nos enfants. En effet, ces dernières années ont été marquées par une série de scandales dues aux conditions de travail toujours plus déplorables au sein de crèches privées. On peut notamment relever l’empoisonnement d’une enfant de 11 mois au Destop dans la crèche Danton Rêve de People&Baby à Lyon, en juin 2022, ou encore la crèche Couperigne des Petits Chaperons Rouges de Vitrolles qui ne donnait pas assez à manger aux enfants.

Ce projet entre dans la continuité d’une politique au service du patronat. Alors que le gouvernement laisse la gestion des crèches aux entreprises privées, il accorde 10 milliards d’euros aux entreprises pour payer l’électricité, il supprime la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, il remplace l’Impôt de Solidarité sur la Fortune par l’Impôt sur la Fortune Immobilière, faisant ainsi cadeau de 3 milliards d’euros de son budget aux plus riches.

Une autre petite enfance est possible

Tandis que Macron nous sert un projet de relancement de la natalité pour fournir plus de main d’oeuvre à exploiter pour le patronat, c’est aussi nos enfants qu’il livre aux capitalistes de la petite enfance, afin qu’ils soient rentables le plus vite possible. Macron et les gouvernements précédents, main dans la main avec ces entreprises, sont les premiers responsables de la maltraitance des enfants. J’entends des collègues, d’autres apprenties déjà résignées, me dire, « c’est comme ça, écoute... », mais je refuse de me laisser persuader qu’il n’y a pas d’alternatives possibles.

Lorsque je vois la colère qui gronde dans mon secteur, dans celui de l’éducation, ou encore dans les services de l’hôpital public qui craquent de toute part. Lorsque je vois les salariés d’Onet du CHU de Montpellier qui ont su relever la tête l’année dernière, et mener une lutte de 80 jours de grève pour leurs conditions de travail pour arracher le recul de l’entreprise sur certaines revendications. Je garde espoir sur la force de notre classe, et sur le fait que l’on peut changer les choses, pour peu qu’on arrive à unifier nos différents secteurs autour d’un plan de bataille commun contre la privatisation, pour des moyens massifs dans les services publics, pour l’ouverture de crèches sous contrôle des travailleuses et travailleurs. Mais pour cela, il faut tirer le bilan de nos luttes passées : après les Gilets jaunes, après les retraites, après les révoltes des quartiers et maintenant les agriculteurs, il est urgent que les directions syndicales cessent de faire des compromis avec le gouvernement sous l’étiquette du « dialogue social » et appellent l’ensemble de notre classe à se mobiliser dans un même mouvement contre Macron et son projet mortifère.

Le capitalisme promet à mon métier de sombres perspectives et un avenir de bétail pour les enfants, mais ce n’est pas une fatalité. En choisissant de ne pas me résigner à cet avenir, j’imagine des crèches accessibles à tous, financées par l’expropriation des grandes fortunes, à commencer par celles qui se construisent sur la maltraitance en crèche. J’imagine partout du personnel en nombre, parfaitement disposé à répondre aux besoins des enfants, qui a tout le temps dont il a besoin pour mettre en place des activités enrichissantes pour leur développement, forger des générations d’adultes éveillés et bien portants.


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