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Offensive autoritaire

Provocation « implicite » à la violence : l’État veut pouvoir dissoudre n’importe quelle organisation

Après le décisions rendues par le Conseil d’État de dissoudre administrativement la GALE et du CRI, deux rapports parlementaires plaident pour faciliter les dissolutions administratives, ce qu'appuie Darmanin. Un nouveau signe du glissement autoritaire de l’État.

Antoine Chantin

20 novembre 2023

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Provocation « implicite » à la violence : l'État veut pouvoir dissoudre n'importe quelle organisation

Les 14 et 15 novembre derniers la commission d’enquête sur « les groupuscule violents » et la mission d’information sur « l’activisme violent » ont rendu à l’Assemblée nationale leurs rapports respectifs sur les violences politiques lors des manifestations contre la réforme des retraites et les méga-bassines, du printemps 2023.

Ces deux rapports, principalement orchestrés par des députés de la majorité, s’inquiètent d’un « glissement » vers des « formes d’action de plus en plus radicales » et d’une « violence beaucoup plus visible ». Ils préconisent, dans la lignée des offensives autoritaires du ministère de l’Intérieur, de faciliter les dissolutions administratives des associations, sur la simple base de provocations « indirectes » ou « implicites » à la violence.

Un rapport parlementaire appelle à faciliter les dissolutions administratives en réaction aux mouvements sociaux

Une volonté de s’en prendre à des groupes politiques qui s’inscrit dans la continuité de la politique active de dissolution menée par Macron depuis son arrivé au pouvoir, avec 33 groupes dissouts depuis 2017, qui l’avait déjà poussé à élargir le cadre juridique des dissolutions administratives, afin de les faciliter. Jusqu’alors cantonné, depuis 1936, aux « provocations à des manifestations armées dans la rue » le champs des motifs permettant au Président de la République de dissoudre une association ou un groupement de faits avait été élargi par la loi « séparatisme » du 24 août 2021, aux « provocation à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens. »

Désormais, les parlementaires de la majorité souhaitent donc aller plus loin en s’attaquant à toute forme de provocations « indirectes » ou « implicites ». Une volonté qui n’est pas sans lien avec le contexte de poussée autoritaire de la part de l’Etat en réaction à la radicalisation des mouvements sociaux et la poussée de la lutte de classes, dont les manifestations contre la réforme des retraites et contre les méga-bassines sont des expressions.

Selon les corapporteurs de la commission d’enquête sur « les groupuscule violents », Florent Boudié (Renaissance) et Patrick Hetzel (Les Républicains), « un cap supplémentaire a été franchi » lors des mobilisations de 2023, ce qui serait des symptômes de « l’émergence et (de) l’enracinement de nouvelles radicalités et d’individus ayant basculé dans l’extrémisme ». Un prétexte pour renforcer l’arsenal répressif du gouvernement contre toute expression contestataire.

En préconisant de telles mesures, les parlementaires répondent à la volonté du ministère de l’Intérieur qui milite déjà pour imposer aux juges les « provocations implicite et indirecte » comme motifs légitimes de dissolution. Comme l’indique la directrice des libertés publiques (sic) et des affaires juridiques de la place Beauvau, citée dans le rapport de la commission d’enquête, « la plupart du temps, la provocation est implicite, indirecte et presque subliminale. Mais tant pour l’émetteur que pour le récepteur, elle est évidente. (…) Notre travail consiste donc à convaincre le Conseil d’État qu’il n’existe pas uniquement de la provocation directe, mais aussi la provocation implicite et indirecte ».

On ne peut qu’imaginer les conséquences qu’aurait la possibilité de procéder à des dissolutions pour des provocations « subliminales ». Ce motif permettrait dans les faits de dissoudre n’importe quelle organisation formulant une critique d’institutions, d’entreprises, d’Etats ou du capitalisme, celles-ci pouvant être aisément associées à des provocations indirectes.

Une jurisprudence administrative adaptée aux exigences de Darmanin

Des déclarations d’autant plus inquiétantes que ce travail de pression sur les juridictions administratives par les services de Gerald Darmanin semble déjà porter ses fruits. En effet, la haute-fonctionnaire citée précédemment affirmait également devant la commission d’enquête que le ministère de l’intérieur essayait déjà de « faire progresser la jurisprudence afin que les provocations retenues ne soient pas seulement explicites. (…) Il y avait débat sur la question de savoir si des messages avec un pouce levé ou un “bravo” pouvaient être caractérisés comme de la provocation. Il a fallu ferrailler pour convaincre, mais nous y sommes parvenus. »

Les propos de la fonctionnaire font échos aux récentes décisions du Conseil d’État concernant les dissolutions des Soulèvement de la Terre de la GALE et du CRI qui avaient été prononcées par Emmanuel Macron en conseil des ministres, en juin dernier. Comme nous le soulignions dans un précèdent article, l’annulation de la dissolution des Soulèvements de la Terre par la juridiction suprême de l’ordre administratif n’était qu’une victoire en demi-teinte pour le mouvement social, et la décision du Conseil d’Etat donnait surtout un avant-gout des futures offensives autoritaires de l’État.

En effet, même s’il a annulé la dissolution des Soulèvement de la Terre sur la base des éléments fournis par le ministère de l’Intérieur, dans sa décision, qu’il qualifie de « mode d’emploi » du contrôle de la mise en œuvre de la dissolution administrative, le Conseil d’État affirme que le groupement aurait diffusé des propos constitutifs d’une « provocation explicite et implicite à des agissements violents contre les biens », ce qui aurait pu permettre de fonder, en droit, sa dissolution.

Dans son communiqué revenant sur cette décision, il explique qu’« une dissolution est justifiée à ce titre si une organisation incite, explicitement ou implicitement, à des agissements violents de nature à troubler gravement l’ordre public », confirmant ainsi la lecture faite par Darmanin pour élargir le périmètre des dissolutions.

Une jurisprudence réactionnaire qui s’illustre d’autant plus concernant la décision rendue quant à la dissolution de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI). En effet, les seuls faits reprochés à cette association, accusée de « provocations à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens », sont d’avoir « publié en grand nombre, notamment dans la période comprise entre 2019 et sa dissolution en 2021, des propos, dont certains outranciers, sur l’actualité nationale et internationale, tendant, y compris explicitement, à imposer l’idée que les pouvoirs publics, la législation, les différentes institutions et autorités nationales ainsi que de nombreux partis politiques et médias seraient systématiquement hostiles aux croyants de religion musulmane et instrumentaliseraient l’antisémitisme pour nuire aux musulmans ».

Pire encore, ce ne sont pas tant les propos de l’association qui justifierait sa dissolution, mais ceux tenus dans l’espace public par des personnes sans liens avec cette dernière. En effet, selon le juge administratif, « ces publications ont suscité, sur ces mêmes comptes, de nombreux commentaires haineux, antisémites, injurieux et appelant à la vindicte publique, sans que l’association ne tente de les contredire ou de les effacer ». Comme nous le rappelions dans un article précédent, « comme pour le CCIF avant lui, le Conseil d’Etat s’appuie donc exclusivement sur l’attribution fallacieuse de propos tenu par des tiers sur les réseaux sociaux pour bâillonner les acteurs de la lutte contre l’islamophobie en France. »

Un projet qui s’inscrit dans l’offensive autoritaire en cours

Alors que la protection de la liberté d’association est déjà faible, puisque le juge administratif n’apprécie pas l’opportunité de la dissolution administrative mais seulement sa légalité, l’Etat met en place progressivement la possibilité de dissoudre n’importe quelle organisation.

La systématisation de cette « arme de dissolution massive » par le gouvernement contre toute forme de groupement qui contesterait sa politique a également été confirmée à la suite des mobilisations en soutien à la Palestine et de leur criminalisation. Tandis qu’une organisation comme Palestine Vaincra faisait déjà l’objet d’une procédure de dissolution au printemps 2022, suspendue ensuite par le Conseil d’État, Darmanin a profité de la séquence pour repartir à l’offensive. Le 14 octobre dernier, il annonçait lors d’une conférence de presse, avoir « demandé à l’ensemble des services du ministère de l’intérieur de travailler à la dissolution de plusieurs associations ou collectifs relayant ou parfois finançant le Hamas ».

Alors que l’usage des dissolutions administratives se multiplie sur des fondements toujours plus larges, comme ceux de provocations indirectes et implicites à la violence, le renforcement que le gouvernement et des parlementaires de la majorité veulent opérer est une grave menace contre le droit à s’organiser. Il faut construire une réponse large, en solidarité avec les organisations attaquées actuellement, et contre l’offensive autoritaire qui se poursuit, dans laquelle le mouvement ouvrier a un rôle central à jouer.


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