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Omar Sy sur la guerre en Ukraine : polémique bidon et racisme ordinaire

Après des déclarations sur le traitement inégal des guerres selon les régions où elles ont lieu par la presse et la soi-disant « opinion publique », l’acteur Omar Sy subit une avalanche de réactions « indignées » qui exposent la « clause raciste » imposée aux personnes racisées dans l’espace public.

Philippe Alcoy

2 janvier 2023

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Ce lundi, BFM TV rapportait les propos de l’acteur Omar Sy sur la guerre en Ukraine dans une interview au Parisien à propos de son nouveau film Tirailleurs. On y lit : « Je suis surpris que les gens soient si atteints. Ça veut dire que quand c’est en Afrique vous êtes moins atteints ? (…) Moi, je me sens menacé de la même manière quand c’est en Iran, ou en Ukraine ». Cela a suffit pour qu’un déluge de réaction « indignées » s’abatte sur l’acteur.

Pour certains, ces déclarations seraient un exemple « d’ingratitude » à l’égard de la France. L’extrême-droite, par la voix du député RN, Julien Odoul, a critiqué l’acteur et sa soi-disant « indignation sélective » tout en lui rappelant son soutien à la famille d’Adama Traoré. Quel rapport ? Sur les réseaux sociaux beaucoup de commentaires racistes ont accompagné cette « indignation ».

Des membres de la majorité présidentielle ont aussi voulu ajouter leur petit commentaire. C’est le cas de l’eurodéputée macroniste, Nathalie Loiseau. « Il y a 58 militaires français qui sont morts au Sahel en luttant contre les jihadistes. Non, Omar Sy, les Français ne sont pas « moins atteints » par ce qui se passe « en Afrique ». Certains ont donné leur vie pour que les Maliens cessent d’être menacés par des terroristes » a-t-elle écrit sur Twitter.

Avant de dire quelques mots sur ce lien fait entre les déclarations d’Omar Sy et les opérations de l’armée française en Afrique, il est intéressant de lire les déclarations de Sy dans leur contexte et de façon plus étendue. Alors que le journaliste du Parisien l’interrogeait sur son nouveau film qui parle des milliers d’Africains enrôlés de force ou par la tromperie pour se battre aux côtés de l’armée française dans la boucherie impérialiste de la Première Guerre Mondiale, surgit la question de l’état actuel du monde et donc de la guerre en Ukraine.

L’acteur répond : « l’Ukraine n’a pas été une révélation dingue pour moi. Comme j’ai de la famille ailleurs, en Afrique, je sais qu’il y a toujours eu des enfants en guerre, des familles brisées et des parents qui perdent leurs gamins, des gosses qui deviennent orphelins. Ça n’a jamais cessé depuis la Seconde Guerre mondiale. Je suis surpris que les gens soient si atteints. Ça veut dire que quand c’est en Afrique vous êtes moins atteints ? J’ai été traumatisé, petit, par le conflit Iran-Irak, j’ai grandi avec ces images horribles. C’était la guerre, à l’ancienne. Puis il y a eu la guerre du Golfe, il y en a sans cesse.

Moi, je me sens menacé de la même manière quand c’est en Iran, ou en Ukraine (…) Une guerre, c’est l’humanité qui sombre, même quand c’est à l’autre bout du monde. On se rappelle que l’homme est capable d’envahir, d’attaquer des civils, des enfants. On a l’impression qu’il faut attendre l’Ukraine pour s’en rendre compte (…) Quand c’est loin, on se dit que là-bas, ce sont des sauvages, nous, on ne fait plus ça. Comme le Covid, au début, on a dit : c’est que les Chinois ».

Comme on le voit, ces déclarations d’Omar Sy n’ont rien d’extraordinaire. Les débats sur le traitement inégal de certains conflits dans les médias selon les régions où ils ont lieu sont courants. De même, le constat de la valeur différente que l’on donne aux vies des personnes dans les grands médias selon leur origine ethnique est fréquent depuis le début de la guerre.

Mais, il est intéressant de voir que, face à ces arguments, la réponse de Nathalie Loiseau et d’autres politiciens libéraux met en avant les soldats français morts au combat au Sahel. Car, justement, le film d’Omar Sy, sur lequel porte l’interview parle des soldats africains qui ont été envoyés se faire tuer en Europe. Alors que le film parle de cette histoire occultée, le sacrifice imposé à des milliers d’Africains lors de ces guerres impérialistes, l’eurodéputée n’a eu d’autre inspiration que d’invoquer d’autres guerres que l’impérialisme français mène en Afrique comme un exemple de comment celles-ci affecteraient « les Français ».

Derrière ce discours, on retrouve la fable réactionnaire habituelle qui fait passer les aventures militaires de l’impérialisme comme des « missions humanitaires » en faveur des intérêts des populations africaines. Évidemment, Mme Loiseau se garde bien de mentionner les millions de morts africains entre les mains des militaires français dans l’histoire, mais aussi dans les guerres et opérations récentes. Elle omet d’évoquer les milliers de morts africains ou moyen-orientaux noyés dans la Méditerranée chaque année. Les mêmes qui fuient des guerres ou la misère provoquées par l’action directe des capitaux et les armées impérialistes, dont la France, et qui se trouvent face à des murs, des barrières et des garde-frontières une fois arrivés en Europe.

Au contraire, Omar Sy devrait se réjouir que l’on défende « les siens » semble-t-elle dire. C’est la même logique qui anime les nombreuses sorties de la droite ou de l’extrême-droite, à l’image de celle de Judith Waintraub, grand reporter au Figaro, qui répond à Omar Sy que la France « accueille énormément de réfugiés africains » malgré les « problèmes d’assimilation » que ceux-ci poseraient. Omar Sy serait donc « ingrat ».

Car, ce qui dérange vraiment dans les déclarations d’Omar Sy ce n’est pas le fait que sa prise de position soit « radicale ». En réalité, le ton de l’interview, au-delà de quelques affirmations critiques, reste assez « conciliateur ». C’est le fait qu’Omar Sy, par ses déclarations, a en quelque sorte enfreint la « clause raciste » tacite qui existe dans la France impérialiste. Les personnes racisées, notamment dans l’espace public, doivent la fermer, spécialement sur les questions de racisme. Les seules exceptions sont faites quand ces mêmes personnes tiennent un discours qui va dans le sens de contrer les prises de position anti-racistes, c’est-à-dire quand elles sont fonctionnelles à maintenir l’oppression raciste.

En ce sens, tout cette « polémique » bidon n’a qu’un objectif clair : faire taire toute personne racisée qui oserait remettre en cause certains discours hypocrites de l’Etat impérialiste français. Dire aux personnes racisées qu’elles sont des « citoyens de seconde zone », et que l’ouvrir c’est synonyme d’ingratitude. C’est aussi une façon de diviser les exploités et les opprimés. Les déclarations d’Omar Sy sont en quelque sorte perçues comme désobligeantes à l’égard de l’hypocrisie de l’impérialisme français. Et c’est pour cela que nous le soutenons face à la déferlante réactionnaire et raciste.


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