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Xénophobie d'État

Loi immigration : vers l’adoption d’un texte raciste durci par la droite ?

Mardi, le Sénat a adopté une version largement endurcie de la loi immigration qui va être examiné à l'Assemblée Nationale. Si certaines mesures pourraient ne pas être adoptées, la loi immigration ne peut sortir que durcie et promet une brutale offensive xénophobe et raciste.

Raji Samuthiram

15 novembre 2023

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Loi immigration : vers l'adoption d'un texte raciste durci par la droite ?

Crédit photo : Capture d’écran, BFMTV

Mardi, le Sénat a adopté une version largement endurcie de la loi immigration, avec l’ajout de nombreux amendements de la droite. Redevenu le projet phare du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, qui s’est félicité d’avoir pu rallier le Sénat à son projet de loi, le texte constitue une attaque brutale à l’encontre des personnes immigrées, avec ou sans-papiers, sur tous les fronts : accès à la santé, au logement, aux études… et incarne un tournant répressif d’ampleur. Le texte passe désormais à l’Assemblée Nationale, et si les amendements adoptés pourraient ne pas obtenir l’approbation de tous les groupes, notamment en ce qui concerne la suppression de l’aide médicale d’État et le nouveau titre de séjour dit « métiers en tension », la loi s’annonce comme une offensive historique, dans un silence complice de la gauche institutionnelle.

Droit du sol, aides sociales : la surenchère raciste d’une loi réactionnaire

Passée de vingt-sept à une centaine d’articles, la loi immigration représente une offensive xénophobe de grande ampleur. Le projet phare de Gérald Darmanin a été investi largement par la droite pour le durcir. Une « co-construction » dont s’est réjoui le ministre de l’Intérieur, se félicitant du travail avec les sénateurs des Républicains et de l’UDI.

Dans un contexte d’autoritarisme croissant, et alors que Darmanin se plaint de manquer « d’instruments nouveaux pour expulser des étrangers », c’est le volet répressif qui a été durci par l’exécutif et la droite : renforcement de la double peine (en cas de condamnation, les personnes immigrées sont expulsées une fois la peine purgée) ; rétablissement du délit de séjour irrégulier ; augmentation des moyens de placement en rétention des demandeurs d’asile ; retrait d’un titre de séjour en cas de non-respect des « principes de la République »… A cela s’ajoute de nombreuses attaques contre les régularisations, avec notamment de nouveaux motifs pour retirer les titres de séjours, l’instauration des quotas de régularisation, ainsi que le durcissement des conditions du regroupement familial, de la migration étudiante et de la délivrance d’un titre de séjour « étranger malade ».

Parmi tous ces articles, c’est celui qui concerne le « titre de séjour métiers en tension » qui divise les politiques depuis le début des débats. Présenté comme le volet soi-disant « humaniste » de la loi, cette mesure en réalité réactionnaire a été remplacée au Sénat par un nouvel article restreignant encore un peu plus les conditions de régularisation. Dans cette nouvelle version, la possibilité d’accéder à ce titre de séjour sera encore durcie.

Comme le synthétise Le Parisien : « Place désormais à l’article « 4 bis », qui prévoit dans ces secteurs d’activité un titre de séjour accordé par les préfets « au cas par cas » et « à titre exceptionnel », dans une « procédure strictement encadrée » et assortie de multiples conditions, dont celle du respect des « valeurs de la République ». Des contraintes qui viennent s’ajouter aux conditions déjà très restrictives du titre.

L’acharnement se poursuit également sur le plan social : exclusion des personnes sans titre de séjour du droit à l’hébergement d’urgence et des réductions tarifaires des transports, interdiction d’accès au RSA et aux APL pour les personnes étrangères présent depuis moins de cinq ans en France... L’attaque la plus remarquée est la suppression de l’aide médicale d’État, permettant l’accès aux soins pour les sans-papiers, et face auquel 3 500 médecins se disent prêt à désobéir. Autant de réformes précarisantes qui contribueront à détruire les conditions de vie des personnes immigrées, déjà fortement touchées par la pauvreté et par les nombreuses attaques austéritaires du gouvernement.

Un débat qui s’annonce dominé par la droite à l’Assemblée Nationale

Alors que Darmanin salue l’adoption de ce texte ultra-réactionnaire au Sénat comme une victoire politique, la loi doit encore passer à l’Assemblée Nationale, où la majorité est loin d’être acquise. Dans le camp de l’exécutif déjà, le durcissement du texte ne fait pas entièrement accord y compris parmi les sénateurs, qui l’ont pour certains voté pour « que le texte aboutisse ». Si les désaccords sont de nature « tactique », une partie des députés rejette certaines dispositions, notamment sur les métiers en tension et la suppression de l’AME, contre lesquelles s’est prononcée y compris Elisabeth Borne. En ce sens, le président Renaissance de la commission des lois Sacha Houlié, a prévenu : « à l’Assemblée, nous rétablirons le texte ambitieux de l’exécutif, tout le texte de l’exécutif. Y compris le volet sur les régularisations ».

Une promesse pour le moins ambitieuse alors que dans son camp, nombreux sont ceux qui se rangent plutôt derrière Darmanin. Le ministre, s’il tergiverse encore sur la suppression de l’AME, semble surtout vouloir éviter un énième recours au 49-3 et préfère focaliser le débat sur les « 4 000 étrangers délinquants que je ne peux pas expulser » et pour lequel il n’attend que le passage de la loi. Du côté de la droite, les Républicains victorieux au Sénat préviennent que la réintroduction du volet métiers en tension constituerait une ligne rouge, tandis que certaines voix comme Aurélien Pradé s’élèvent pour critiquer la version amendée par le Sénat, pas assez durcie selon lui.

Dans tous les cas, quels que soit l’issue des débats, c’est un texte ultra-réactionnaire qui devrait être mis en œuvre. D’autant plus que la gauche institutionnelle joue un rôle scandaleux. Lors de la présentation du projet initial par le gouvernement, une partie était ainsi venue légitimer la loi. Des élus socialistes, écologistes, et communistes s’étaient en effet joint à l’aile gauche de la majorité pour défendre le volet « titre de séjour métiers en tension » comme une mesure « progressiste ». Une « caution de gauche » qui a participé à entretenir l’illusion d’un texte progressiste, et qui est désormais largement silencieuse aujourd’hui face au durcissement proposé par le Sénat.

Du côté des Insoumis, qui avaient dénoncé le tri raciste induit par le volet « métiers en tension », c’est aujourd’hui un relatif silence qui prévaut quant au passage de la loi à l’Assemblée. S’ils prévoient de s’opposer à la loi en déposant des amendements, le groupe parlementaire aurait décidé de renoncer à toute obstruction parlementaire. Une petite victoire pour Darmanin note Politico. Dans le même temps, des députés LFI sont allés plus loin, à l’image de François Ruffin, qui a récemment défendu « l’intégration par la langue, par le travail » tout en prenant sa part dans le débat sur les expulsions en prônant « une politique d’OQTF qui soit beaucoup plus ciblée et beaucoup plus effective ». Une adaptation totale au climat réactionnaire et xénophobe actuel.

Ni amendable, ni négociable, il faut se battre pour le retrait total du projet de loi !

Alors que la gauche institutionnelle ne porte, à l’heure actuelle, aucune voix à la hauteur de l’offensive, c’est une mobilisation importante par en bas qu’il est urgent de construire. Ce, afin d’arracher le retrait total de cette loi qui représente une nouvelle expression de l’offensive réactionnaire menée par le gouvernement, en pleine criminalisation du soutien à la Palestine.

De nombreux collectifs et organisations de travailleurs sans-papiers appelaient en ce sens à rejeter la loi dans son entièreté la semaine dernière, parmi lesquels des collectifs de travailleurs sans-papiers. « Nous demandons la régularisation de tous les sans-papiers » expliquait ainsi à RP Modi Diawara, président du Collectif des Sans-Papiers de Montreuil. Une manifestation à l’appel de ce collectif aura lieu en décembre contre la loi immigration.

Face à une loi fortement endurcie dans le contexte répressif actuel, il est impératif de faire du combat contre la loi immigration et pour la régularisation de toutes et tous un enjeu central de toutes celles et ceux qui s’opposent au gouvernement. Des revendications qui doivent s’articuler à la mobilisation qui commence à se dessiner en soutien à la Palestine.


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