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Racisme d'Etat

Interdiction de l’abaya à l’école : un nouveau saut dans l’offensive islamophobe

Ce dimanche, Gabriel Attal annonçait au JT de TF1 l’interdiction du port de l’abaya à l’école. Un serrage de vis pour durcir une politique islamophobe déjà largement initiée par les précédents ministres de l’Éducation nationale.

Alexis Taïeb

29 août 2023

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Interdiction de l'abaya à l'école : un nouveau saut dans l'offensive islamophobe

Crédit photo : Gabriel Attal au JT de TF1

Dans une interview donnée au journal de 20h sur TF1 ce dimanche, le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, a annoncé que l’« on ne pourra plus porter l’abaya à l’école », affirmant que ce vêtement constituerait un « geste religieux, visant à tester la résistance de la République sur le sanctuaire laïque que doit constituer l’École ». L’ancien ministre délégué chargé des Comptes publics a fait également savoir qu’il s’entretiendra avec les chefs d’établissement pour faire appliquer la mesure dès la semaine prochaine. *

Cette annonce constitue une nouvelle attaque qui vise à stigmatiser les élèves de confessions musulmanes ou considérées comme telles, qui s’inscrit dans la continuité de la politique islamophobe du gouvernement mais aussi des prédécesseurs d’Attal au poste de ministre de l’Éducation nationale. Devenue presque un symbole ces derniers mois, l’abaya a été au centre de ces offensives les plus récentes. A titre d’exemple, en juin dernier Le Parisien faisait de l’abaya la une de son journal. On pouvait y lire notamment que celui-ci serait devenue un « cheval de Troie de l’entrisme islamique ».

En septembre dernier, alors sous le ministre Pap Ndiaye, un courrier envoyé par les recteurs d’académie visaient à inciter les établissements à sanctionner le port de l’abaya et du qamis. Dans la foulée, l’Education nationale avait envoyé le 10 novembre une circulaire interne relative au « plan laïcité dans les écoles et les établissements scolaires » invitant à punir toujours plus les élèves dont la tenue manifesterait « par intention » un caractère religieux. Cependant, jusqu’ici, la décision de sanctionner le port de l’abaya incombait aux chefs d’établissements.

Un saut dans l’offensive islamophobe dans la continuité de la loi de 2004

L’annonce de Gabriel Attal vise donc à serrer la vis et à assumer une ligne claire sur le port de l’abaya, en officialisant son interdiction, préparant ainsi la systématisation de la stigmatisation et du profilage racial qui accompagne cette mesure, déjà dénoncée par de nombreuses élève. Cette décision fait aussi écho à la proposition déposée par le sénateur Stéphane Ravier, membre de Reconquête (parti d’Eric Zemmour) en juin dernier au Sénat visant à interdire les « vêtements religieux par destination » et dénonçant spécifiquement les abayas et les qamis portées par certaines élèves. Ce que l’extrême-droite de Zemmour voudrait, Gabriel Attal, bras droit de Macron, l’applique.

Une manière pour le ministre d’affirmer sa volonté de fermeté après l’éviction de Pap N’Diaye, qui avait été critiqué pour son manque d’autorité par le camp présidentiel. Le 24 août, lors d’une réunion avec les recteurs d’académie, le nouveau ministre avait notamment déclaré vouloir remettre de « l’autorité » à l’école. Une manière, par ailleurs, de couper court aux critiques de l’opposition de la droite et de l’extrême-droite qui accusent la majorité de laxisme sur la loi immigration, et plus généralement, de poursuivre l’offensive autoritaire en réponse aux révoltes des quartiers populaires.

Dans cet objectif, la mesure signifiera un saut en termes de répression à l’égard des élèves de confessions musulmanes ou présumés comme tels, notamment en élargissant le spectre du « signe religieux » à l’ensemble des vêtements portés par les élèves. De quoi élargir les domaines d’application de la loi éminemment discriminantes et islamophobe de 2004, dite « loi du foulard », portant sur les signes religieux « ostentatoires » à l’école et visant spécifiquement les jeunes filles de confessions musulmanes.

Sur ce plan, la situation des derniers mois donne d’ores et déjà une idée claire des conséquences de la mesure. Entre convocations, remarques islamophobe et sanctions, en novembre dernier nous publions déjà dans nos colonnes un article relatant de nombreux témoignages d’élèves musulmanes ayant subi harcèlement et discriminations à l’école. « Le proviseur arrête les filles, même une amie à moi qui portait un bandeau et dont on voyait les cheveux. Elle n’est même pas voilée et il l’a forcée à l’enlever, lui disant que c’était religieux, alors que ça n’a aucun rapport avec la religion, […] c’est un accessoire. » témoignait par exemple l’une d’entre-elles.

De même, en juin dernier, nous avons mené une enquête sur le lycée Victor Hugo à Marseille, dans lequel les élèves subissent des remarques racistes régulières de la part des professeurs. « Tu mets un voile et tu veux faire de la socio ? », « Tu n’as pas chaud comme ça ? ». « Depuis la rentrée, la direction est très autoritaire à ce sujet. (…) Si on porte le moindre foulard, ou une simple robe longue par simple style vestimentaire, on ne peut pas rentrer dans l’établissement, car c’est assimilé à des signes religieux » témoignait de même une lycéenne de Joliot Curie à Nanterre, où les élèves se sont mobilisés l’année dernière pour la liberté de pouvoir s’habiller comme ils et elles le souhaitent et contre la répression syndicale qu’a subi un de leur professeur Kai Terada.

En effet, en plus de stigmatiser et de punir certains élèves, l’offensive islamophobe du gouvernement va de pair avec une intense répression contre les personnels de l’Éducation nationale qui s’exprime contre ces attaques. Ainsi, des AED du lycée Victor Hugo à Marseille qui s’étaient mobilisés en solidarité avec les élèves n’ont pas été renouvelés, et ont même fini par être placés en garde-à-vue pour s’être mobilisés contre cette répression. Plus frappant encore, dès 2019 au lycée Angela Davis où 4 enseignants étaient convoqués et 2 sanctionnés pour n’avoir pas fait respecté la loi de 2004 dans leur classe, en janvier 2022, un professeur du lycée Paul Eluard, dans le 93, avait été convoqué par le rectorat pour avoir lu un poème en conseil d’administration dénonçant l’islamophobie en réaction à la formation « Laïcité et valeurs de la République » qui s’était déroulée dans son établissement.

Contre l’offensive islamophobe et le racisme d’État, il faut riposter !

Face à cette nouvelle attaque islamophobe, il est urgent de s’opposer fermement à cette mesure et de réclamer la liberté pour les élèves se s’habiller comme elles le souhaitent. De ce point de vue, les réactions d’une partie de la Nupes sont scandaleuses. Ainsi, Fabien Roussel et plusieurs figures du Parti Socialiste ont exprimé un clair soutien à la mesure. De son côté, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT a également exprimé son accord avec cette offensive, tout en dénonçant une diversion qui évacuerait « les questions centrales de la rentrée […] qui sont d’abord le manque d’enseignant et d’enseignantes ».

Malgré un ton un peu différent, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du premier syndicat enseignant Snes-FSU a répondu avec la même logique ce lundi 28 août. Sur France Inter, elle a dénoncé le fait que le gouvernement cherche à « masquer l’ensemble des problèmes de l’école en cette rentrée » qui doit encore compter sur le « manque de professeurs », les « classes surchargées » sans dénoncer l’interdiction islamophobe et raciste de l’abaya, expliquant simplement que les lois et circulaires actuelles permettaient déjà aux enseignants d’« entamer le dialogue avec ces jeunes filles » pour « leur expliquer pourquoi la loi de 2004 ne permet pas d’entrer dans un établissement avec un abaya ». Une façon de se délimiter de l’offensive actuelle tout en ne condamnant pas son fondement islamophobe.

De son côté, si la France Insoumise a dénoncé l’interdiction, elle le fait en continuant de revendiquer la loi de 2004. Dans Le Monde, Eric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, note en ce sens que l’abaya relèverait d’une « mode culturelle », opposant la mesure d’interdiction du gouvernement à la loi de 2004 sur le voile. Pour s’en justifier, il explique : « il y avait une volonté très claire de courants intégristes de l’imposer [le voile] dans les écoles » et en se disant « très attaché » à ce texte sur la lutte contre les signes religieux ostentatoires de 2004. Pourtant, cette interdiction de l’abaya, revendiquée également par Sophie Binet, s’appuie directement sur les possibilités ouvertes par la loi de 2004 et qui permet aujourd’hui l’offensive de Macron et d’Attal. Dans le même temps, face à cela, la France Insoumise propose comme unique perspective de saisir le Conseil d’État.

Face à la nouvelle attaque raciste du gouvernement, l’urgence pour les directions du mouvement ouvrier comme pour les organisations politiques qui dénoncent la mesure devrait pourtant être de construire un programme de lutte pour la rentrée, qui articule opposition aux lois racistes, en exigeant l’abrogation, entre autres, de la loi séparatisme, de la loi de 2004 ou encore l’abandon de la future « loi immigration », lutte contre l’offensive autoritaire, et combat pour les salaires et les conditions travail de toutes et tous.

Un programme dans lequel l’exigence de moyens pour l’éducation aurait évidemment toute sa place, et qu’il faudra défendre par la grève et dans la rue, aux côtés de l’ensemble des organisations du mouvement ouvrier, mais aussi de l’antiracisme, du féminisme ou de l’écologie, condition pour construire un rapport de forces à la hauteur face au gouvernement.


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