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Culture

Diplôme d’Etat imposé pour les « danses populaires » : les professionnels du secteur se mobilisent

Les députés ont voté le conditionnement de la pratique des « danses populaires, danses du monde et autres » à l'obtention d'un diplôme d’État. De nombreux professionnels dénoncent la mesure, deux d’entre elles témoignent pour RP.

Andrea Desideri

23 avril

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Diplôme d'Etat imposé pour les « danses populaires » : les professionnels du secteur se mobilisent

Alors que seul l’enseignement des danses classiques, contemporaine et jazz était soumis à l’obtention d’un diplôme d’État pour que sa pratique puisse être rémunérée, une majorité de députés a validé début mars une proposition de loi déposée en avril 2023 par une députée LR et une députée Renaissance étendant cette condition à l’ensemble des danses. Au premier rang des disciplines concernées, le hip-hop mais aussi un ensemble de danses populaires. Cette loi répressive menace les structures d’accueil de fermeture administrative et les enseignants d’une amende de 15 000 euros en cas d’enseignement rémunéré sans diplôme. Elle impose également de présenter un casier judiciaire vierge pour pouvoir obtenir ce titre. Bien que la formulation de la loi promette de prendre en compte « la diversité des pratiques », le vote de cette loi a entraîné une levée de boucliers de la part des enseignants des danses dites « populaires », « du monde » ou « traditionnelles ». qui craignent de se voir dépossédés des arts et cultures qu’ils pratiquent, et dont ils revendiquent la dimension populaire voire contestataire.

Une précarisation accrue des enseignants issus des classes populaires et de l’immigration

« L’enseignement supérieur pose un frein aux personnes issues de l’immigration, aux personnes sans revenus réguliers assurés, aux personnes qui ont des charges familiales et financières extérieures, bref à toutes les personnes qui ne peuvent pas s’assurer un parcours sécurisant après le baccalauréat » rappelle la tribune réalisée par le collectif le Moovement. En effet, ces professionnel.les du hip-hop, dancehall, break dance et autres danses populaires dénoncent la mainmise de l’État sur des danses de rue qui attirent de plus en plus et génèrent de nouveaux revenus pour de nombreux enseignants issus de quartiers et pratiquéessurtout par des personnes issues de l’immigration.

Morgane, enseignante de hip-hop à Paris et membre du groupe Sarcellite raconte : « ça faisait super longtemps qu’ils essayaient de faire passer cette loi, mais lorsqu’on a vu que c’était en débat à l’Assemblée, je me suis mise à pleurer car mes cours c’est toute ma vie ». Comme elle, de nombreux professeurs de ces danses risquent tout simplement de ne plus pouvoir vivre de leur passion et de leur travail : « Les gens qui pourront développer ces compétences et passer le diplôme, c’est pas des gens d’Aubervilliers ou Sarcelles. On nous dit que ceux qui sont déjà profs pourront devenir enseignants mais on sait que les VAE vont être impossibles à obtenir. 15 000 euros d’amende pour pouvoir enseigner notre art ! » s’exclame-t-elle en référence aux contrôles du ministère qui pourra désormais décider de qui est légitime ou non pour enseigner ces danses.

Nina, prof de twerk et de pole dance abonde : « moi je n’aurai jamais pu payer mes cours s’il y avait eu le DE, c’est pour ça que je suis devenue prof ». En effet, si le ministère a assuré que l’apprentissage ou la validation d’acquis par l’expérience (VAE) seraient possibles pour obtenir une dispense, la VAE mettrait en réalité plusieurs années pour des professeurs pratiquant pourtant déjà depuis plusieurs années leur métier, avec par ailleurs un coût supplémentaire de 2000€. « Ils parlent d’en finir avec la précarisation du métier mais donnez des subventions en fait ! » s’esclaffe Nina face à la précarisation toujours plus grande que risque de générer le diplôme : « les CDI, ils ne nous les donneront jamais ».

Le casier judiciaire vierge permet lui aussi de filtrer qui aura la possibilité de travailler en visant des populations particulièrement criminalisées. Morgane dénonce ainsi la sélection sociale qui va être engendrée : « Les ministres pensent que c’est juste un diplôme mais c’est très grave : quelqu’un qui pouvait s’émanciper via la danse va en fait rester catégorisé toute sa vie. ».

Une attaque contre l’accès à la culture dans les quartiers

Si la conditionnalité au diplôme d’État va empêcher de nombreux travailleurs issus des quartiers populaires d’exercer leur métier, elle va également limiter l’accès à toutes celles et ceux qui voulaient apprendre ces danses. En effet, étant souvent issus de quartiers populaires et/ou issus de l’immigration, les enseignants affectés par cette nouvelle loi exercent pour beaucoup d’entre eux dans des associations de quartiers et des MJC, au contact des habitants et des jeunes. Les pratiques enseignées sont également souvent liées à des cultures et des histoires peu abordées dans le cadre officiel des écoles et des conservatoires.

Nina rappelle ainsi que le twerk est issu de danses d’Afrique de l’Ouest et des Caraïbes avant d’avoir été popularisé aux États-Unis dans les clips de rap.L’explosion de ces danses populaires a également permis à des jeunes précaires un plus grand accès au sport et à la culture dans des territoires souvent sous-dotés et présentant peu d’offre culturelle, notamment via une forte tradition de transmission orale. Paris et la Seine Saint-Denis sont ainsi les départements qui accueillent le plus d’associations hip-hop. « Moi je suis arrivée pour enseigner à la communauté LGBT à qui on enseignait que le waacking et le voguing, si demain on arrête ça, on referme une porte qu’on vient d’ouvrir ... » regrette Morgane. Pour les personnes LGBT également, cela risque d’être un manque à gagner, de nombreuses danses subversives comme le waacking ou le voguing ayant été inventées dans les clubs par ces communautés marginalisées.

« Évidemment si on leur dit "vous aurez un inconnu qui n’y connaît rien à votre culture et à vos valeurs", les enfants vont être déçus et partir » prévient ainsi Morgane quant au risque de la perte d’héritage culturel qu’engendrerait le vote de cette loi. « La danse c’est une histoire de vécu que les institutions ne peuvent pas recréer et ce sont aussi les gens qui font la danse, un diplôme va figer la pratique dans un instant T, sans pouvoir la faire évoluer » rappelle Nina.

Les danseurs contre une institutionnalisation dictée par le Ministère de la Culture

En plus de limiter l’accès à la profession à celles et ceux qui pourront payer des formations à plusieurs milliers d’euros par an, Morgane dénonce la forte dégradation du niveau de sa discipline que la loi va entraîner : « En interne, on a déjà ce certificat de pionniers ! Mais là, le niveau de danse va baisser, notamment en freestyle dans laquelle la France est très bonne : on ne peut pas dire qu’on va se former en seulement 2 ans car on est en perpétuelle évolution, on développe ce niveau dans nos rues ! » Avec moins de professeurs formés à cette culture de la rue, de nombreux pratiquants de ces danses craignent de les voir perdre leur ancrage socio-culturel. En effet, « la danse jazz a subi cette réforme en 1989 comme un couperet qui a mis fin à plusieurs courants artistiques créatifs, elle meurt aujourd’hui dans l’indifférence générale », avaient déjà dénoncé les professionnels dans une précédente pétition.

C’est cette institutionnalisation que dénoncent de nombreux professionnels, qui s’organisent pour dénoncer une gentrification de leur discipline qui se fera à leur détriment. Celle-ci ne date pas d’hier : la proposition de loi avait déjà été soumise en 1998, 2013 et 2015 ! A l’époque, l’organisation de la communauté hip-hop, notamment via des pétitions, avait permis de faire reculer le ministère qui souhaitait proposer un DNSP (Diplôme National Supérieur Professionnel de danseur Hip-Hop). Selon Morgane, c’est l’émergence toujours plus grande de ces formes de danse qui a poussé le ministère à remettre le projet sur la table. « C’est une discipline hyper populaire, maintenant elle figure même aux JO ! Ils savent que ça rapporte énormément d’argent mais ils ne veulent plus que ça tourne juste entre nous. »

C’est l’Organisation Nationale du Hip Hop (ONHP), dont les professionnels récusent la légitimité, qui entend assurer l’institutionnalisation de la pratique en lien avec le Ministère de la Culture, qui l’a auditionnée avant de publier sa proposition de loi. Pourtant, selon Morgane : « on n’a jamais voté pour eux, et on aurait dit non car le hip-hop appartient à tout le monde et à personne ». Pour la professeure, l’ONHP a en fait seulement été créée par le ministère pour « récolter les sous » de la professionnalisation, tandis qu’aucun des professionnels qui témoignent n’ont été contactés.

Pour répondre à cette nouvelle attaque, le collectif « non à la loi 1149 », aussi appelé « Le Moovement » se mobilise pour préserver l’indépendance de ces danses. Ces derniers ont lancé une tribune largement signée ainsi qu’une pétition rassemblant plus de 25 000 signatures, avec l’espoir de pouvoir tenir un référendum sur la question. Des assises du hip-hop se sont également tenues le 31 mars dernier pour dénoncer la loi et son instrumentalisation des esthétiques populaires.

Alors que la loi va bientôt passer au Sénat, les professionnels mobilisés craignent sa validation et l’avenir qui les attend, notamment pour les danseurs de hip-hop. Rachida Dati peut bien se rendre au DVM Show et se donner une image de démocratisation de la culture hip-hop, on ne peut oublier qu’elle a été l’artisane de politiques autoritaires et sécuritaires dans les quartiers populaires en tant que ministre sous Sarkozy, qui voulait nettoyer les banlieues au karcher. Alors que le gouvernement continue son offensive répressive de la jeunesse dans les quartiers, sa politique culturelle menace d’exclure de nombreux professionnels tandis que l’imposition de critères de casier judiciaire pour pouvoir enseigner constitue plus largement un précédent dangereux pour de nombreuses pratiques. Face à un gouvernement qui tente de limiter et diviser l’accès à la culture, défendre la possibilité de l’enseigner et d’y accéder est aussi une tâche du mouvement ouvrier, en alliance avec celles et ceux qui s’organisent en ce sens.


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