Les mots pour le dire

Flic, schmitt ou condé ? Ne pas se tromper

Dominique Valda

Flic, schmitt ou condé ? Ne pas se tromper

Dominique Valda

Monsieur l’agent, c’est comment qu’on vous appelle, dans la vraie vie ? Poulet, condé, schmitt, flic, keuf, vache, bourre, cogne ou encore vingt-deux ? Petit abécédaire de ce que nommer la police veut dire.

Illust. Fresque représentant Quick, Flupke et... l’agent 15. Bruxelles

Si l’étymologie n’est pas une science exacte, l’étymologie de l’argot l’est encore moins. Elle relève, en effet, davantage de l’interprétation que de la précision horlogère. A la différence des ordres jappés par un commissaire de police que l’agent est censé appliquer sans moufeter, elle fait la place belle à l’herméneutique. L’avantage, avec l’étymologie de l’argot, c’est que dans la libre République des Apaches, à la différence de la très rigide République des Lettres française, il n’y a pas d’autorité ni d’Académicien pour trancher. En français comme dans la plupart des autres langues, la police est affublée davantage, sans doute, que les autres professions, de multiples sobriquets, indiquant combien la population porte la corporation dans son cœur. Proposer des pistes étymologiques de ces différents termes et revenir sur leurs origines, permet également de faire l’histoire de la réputation policière et des policiers – mauvaise - , de leur rôle social – néfaste - et de leurs pratiques - violentes.

« Poulet » : le premier terme qui vient à l’esprit est sans doute le plus neutre même s’il heurte l’honneur de la maison poulaga. Il lui en faut peu, et on le comprend, pour se sentir insultée. A trois reprises déjà, en 2010, en 2012 et 2014, les « syndicats » de policiers avaient protesté contre la marque « Poulets de Loué » qui avait osé jouer, lors de campagnes publicitaires, sur l’analogie volatile-policier. L’origine du surnom est en réalité liée à la localisation du 36 quai des Orfèvres, siège actuel de la Préfecture de police de Paris. A la suite d’un accident malencontreux, à savoir l’incendie, par les Communards, au cours de la Semaine sanglante, de l’ancienne Préfecture, rue de Jérusalem, Jules Ferry attribue à la police de la capitale et du département de la Seine une caserne construite sur l’ile de la Cité à l’emplacement de l’ancien marché aux volailles. Il n’en fallut pas plus pour que, malicieusement, les marchandes des quatre-saisons, qui ont la mémoire des lieux, commencent à affubler les policiers qui venaient parader aux Halles du surnom de « poulet », avec ses variantes, « poulaga », « perdreau », « poulettes », etc. L’histoire, par ailleurs, voudrait que la première réaction d’Yvonne de Gaulle après avoir été informée de l’attentat raté du Petit Clamart, perpétré par l’OAS, en 1961, contre son mari, ait été « espérons que les poulets n’aient rien eu ». Si même l’entourage de « Mon Général » utilisait le terme, on peut s’estimer être en droit d’y avoir recours quand bien même la Préfecture s’en offusquerait puisque, paraît-il, les poulets sont sots alors que les policiers ne le seraient pas.

« Condé » : à l’origine associé aux sauf-conduits et autres attestations ou laissez-passer qu’un agent de l’État, sous l’Ancien-Régime, peut délivrer ou, le cas échéant, choisir de ne pas octroyer. Par la suite, au début du XIXème, il s’agit de la protection, tacite, accordée par la police à un informateur. Dans les deux cas, le « condé » se réfère à une pratique bureaucratique le plus souvent associée à une certaine forme d’arbitraire ou aux pratiques douteuses des forces de l’ordre. Le terme devient progressivement l’attribut du policier puis son synonyme.

« Schmitt » et « flic » avec sa variante « keuf » : nous nous trouvons là aux limites de l’Hexagone, à une époque où les ouvriers, que ce soit ceux de la pègre ou de l’atelier, ne connaissent ni patrie, ni frontières. Ils sont souvent forcés de se déplacer, d’émigrer et ils emportent avec eux leur parler qui est versé, par la suite, à l’argot. C’est le cas de nombre de prolétaires originaires des provinces à cheval sur le Rhin et qui débarquent en France tout au long du XIXème. « Schmitt » vient ainsi de l’allemand « Schmied » ou des langues dérivées de l’allemand, à l’instar de « shmid », en yiddish, « forgeron ». Celui qui fabrique les chaînes avec lesquelles sont faites les menottes devient, par synecdoque (la partie pour le tout) et zeugma sémantique (rattachement de deux éléments ne pouvant être mis sur le même plan), puis translation linguistique (de l’allemand ou du yiddish au français), le policier ou le gendarme. Encore une preuve de créativité et de poésie populaires, sans doute trop compliquées à saisir pour un esprit policier. Pour ce qui est de « flic », le terme viendrait de l’allemand « Fliege », « la mouche ». Il désigne dès le XVème ce que l’on appellerait, aujourd’hui, un indic’, ou tout simplement un mouchard. Le policier est associé, ici, à ses propres pratiques interlopes et à ceux qui sont prêts à trahir tout principe pour renseigner l’ordre établi, comme dans le cas de « condé ». Le « schmitt », donc, grand ennemi de la liberté et passionné de menottes, ne vaut pas mieux que les balances sur lesquelles le « flic » appuie son réseau. « Keuf », comme on le sait, n’est jamais que ce dernier terme, avec apocope finale, décliné en verlan, cet argot dont les origines remontent au XIXème. En tout état de cause, le « flic » n’est jamais loin des deux autres piliers de la société telle qu’elle existe, à savoir les curés et les patrons. C’est ce qui fait dire à Paul Eluard, dans sa « Critique de la poésie » publiée dans la revue Le Surréalisme au service de la Révolution, en 1933 : « C’est entendu je hais le règne des bourgeois / Le règne des flics et des prêtres ».

« Vache » : la bête à cornes est ici associée au policier par une malencontreuse association sonore due à une prononciation incorrecte de l’allemand par des francophones et non, comme dans les exemples précédents, par l’introduction déformée de termes d’origine germanique dans l’argot français. Après la défaite de Sedan, en septembre 1870, une partie du territoire est occupée par les armées prussiennes qui font le siège de Paris. Pour le petit peuple, notamment celui qui sera à l’origine du soulèvement de la Commune, en 1871, Bismarck, qui commande les armées allemandes, est le fourrier de la réaction. C’est celui avec qui font cause commune les monarchistes français et les bonapartistes. Mais les seuls Prussiens que l’on croise, en zone occupée, ne sont ni officiers, ni galonnés, mais de pauvres conscrits qui jouent aux sentinelles, « Wache / Wachen », en allemand. D’où le terme « vache » dont héritent bientôt ceux qui, sous la IIIème République, vont prendre la relève et veiller au maintien de l’ordre tout droit issu de l’écrasement de la Commune. Le terme est donc fréquemment utilisé dans l’expression « Mort aux vaches ! », relativement cristalline quant à l’amour de celui qui la prononce vis-à-vis de l’institution policière, mais également insérée dans une chanson du répertoire populaire du début du XXème, parfois attribuée à Aristide Bruant, « Mort aux vaches ! Mort aux Condés ! [voir supra], Vive les enfants d’Cayenne, à bas ceux d’la Sûreté ! ». En tout état de cause et avec tout le respect que l’on peut avoir pour les bovidés, comme l’écrit avec justesse Jacques Roubaud dans l’un de ses poèmes, « Quand on est chat on n’est pas vache / on ne regarde pas passer les trains en mâchant les pâquerettes avec entrain / on reste derrière ses moustaches (quand on est chat, on est chat) ».

« Bourres » et autres « cognes » : les appellations font ici références aux méthodes, peu sympathiques, de la police. Elle « bourre » de coups et « cogne » sur la gueule des malheureux qui lui tombent sous la main. Dans Les Misérables du grand Hugo, c’est le terme consacré, à plusieurs reprises. C’est d’ailleurs le mot qu’emploie Gavroche [1] dans la leçon de vie qu’il donne à ses deux petits frères avant de les border, pour les coucher. Il faut savoir, recommande le héros d’Hugo, « passe[r par-dessus les murs et se fiche[r] du gouvernement. V’la ! ». « Monsieur, [hasarde l’aîné de la fratrie, respectueux d’un ordre social dont il est pourtant la première victime,] vous n’avez donc pas peur des sergents de ville ? ». La réponse de Gavroche est sans appel : « Môme ! On ne dit pas les sergents de ville, on dit les cognes.. La « cognade », autre terme pour désigner « la flicaille », n’a donc guère varié dans ses méthodes, depuis les années 1830, pour mériter un tel sobriquet.

Vingt-deux : L’origine du dernier terme, qui ne s’emploie que dans l’expression consacrée, « vingt-deux, v’la les flics ! » est plus obscure. En fonction de l’étymologie que l’on souhaite adopter, le mot devient soit une invitation à déguerpir, à prendre ses jambes à son cou, soit à se donner du cœur au ventre et à en découdre. Selon certains, donc, à l’époque où les policiers patrouillaient par deux, « vingt-deux » ferait référence au nombre de boutons, onze, figurant sur la vareuse de chaque agent qui, multiplié par deux, donne vingt-deux. L’autre interprétation est plus séduisante. « Vingt-deux » serait lié à la longueur de la lame de vingt-deux centimètres du couteau d’arsouille en usage chez les apaches, les mauvais garçons et les mauvaises filles du Paris de la Belle époque. Un couteau, on l’aura compris, aux dimensions non conformes à la législation en vigueur, y compris au début du XXème. C’est l’étymologie qu’en donne Charles Virtmaître dans son Dictionnaire d’argot fin-de-siècle, publié en 1894, et qui évoque l’expression « jouer de la vingt-deux » comme synonyme de « donner des coups de couteau ». « Vingt-deux ! », dans ce cas-là, serait une sorte de cri de ralliement pour convoquer tous les marlous et toutes les filles à faire front unique et à s’opposer « par tous les moyens nécessaires » aux descentes de la maréchaussée. Il s’agirait donc d’une d’injonction argotique à l’autodéfense populaire. Tout ceci, bien entendu, fait référence à un temps révolu et saurait être pris au pied de la lettre ou comme un exemple à suivre.

VOIR TOUS LES ARTICLES DE CETTE ÉDITION
NOTES DE BAS DE PAGE

[1Voir dans l’édition illustrée par Brion page 526
MOTS-CLÉS

[Violences policières]   /   [Police]   /   [Littérature]   /   [impunité policière]   /   [Culture]