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Criminalisation du soutien à la Palestine : l’université au cœur de l’offensive anti-démocratique

Le gouvernement tente de tuer dans l’œuf toute mobilisation pour la Palestine en France et, par une répression toujours plus autoritaire, prépare le terrain à de futures attaques. Il faut faire front et lutter pour nos libertés politiques.

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Criminalisation du soutien à la Palestine : l'université au cœur de l'offensive anti-démocratique

Crédit photo : O Phil des Contrastes

Pendant que le monde a les yeux rivés sur la mobilisation des étudiants et des personnels des universités américaines, le gouvernement français tente d’éviter la contagion et réprime à tout-va. Après une semaine où les interventions policières se sont enchaînées à Sciences Po, à la Sorbonne et dans plusieurs établissements universitaires dans le pays, Sylvie Retailleau enjoint désormais les présidences d’université à faire preuve de plus de fermeté et à utiliser pour cela «  l’étendue la plus complète des pouvoirs que [leur] confère le Code de l’Éducation ».

Par une tradition juridique qui remonte au Moyen-Âge, le pouvoir central n’a pas le droit d’envoyer directement la police intervenir dans les universités. Seules les présidences d’université en ont la prérogative. De ce point de vue, la systématisation de l’envoi de la police dans les universités et la propagande médiatique constante qui la justifie cherchent à normaliser une pratique qui a déjà eu cours contre les mouvements sociaux ces dernières années. Mais ces derniers mois, et face au mouvement de solidarité envers le peuple palestinien, la répression et la remise en cause des libertés politiques et académiques dans les universités connaissent un véritable saut.

Conférences annulées, chercheurs intimidés, réunions interdites : les libertés démocratiques s’érodent autour de la question palestinienne

En effet dès le 9 octobre, la Ministre de l’Enseignement supérieur s’adressait aux présidences d’universités dans une lettre, les exhortant à faire respecter « la loi et [l]es principes républicains » et « à apporter à tout manquement les sanctions disciplinaires et suites judiciaires appropriés », tout en rappelant que « la France a exprimé sa pleine solidarité envers Israël et les israéliens ». Un premier coup de semonce.

Le 12 octobre, c’est le Président-directeur général du CNRS, Antoine Petit, qui envoyait un message à ses agents, dont 11 000 chercheurs et 2 000 doctorants, pour leur rappeler que « les agents du CNRS […] ont une entière liberté d’expression, sous réserve de ne pas utiliser leurs fonctions pour manifester leurs opinions politiques et philosophiques personnelles ». Deuxième coup de semonce.

Un mois plus tard, plus de 1300 chercheurs et universitaires publient une tribune intitulée : « Défendre les libertés d’expression sur la Palestine : un enjeu académique ». Ils écrivent ainsi : « nous subissons des intimidations, qui se manifestent par l’annulation d’événements scientifiques, ainsi que des entraves à l’expression d’une pensée académique libre ».

Ces chercheurs dénoncent « des accusations graves d’antisémitisme ou d’apologie du terrorisme [qui] ont déjà été proférées à l’encontre de certain·es collègues spécialistes de la région. […] Cela a pu engendrer des phénomènes d’autocensure chez les chercheur·ses, entravant notre réflexion intellectuelle et remettant en cause notre déontologie professionnelle, dans une conjoncture où celle-ci s’avère d’autant plus cruciale. ».

Concrètement, des chercheurs sont convoqués pour des entretiens disciplinaires, des doctorants travaillant sur la Palestine sont incités à changer de sujet, des spécialistes refusent de s’exprimer par crainte d’être accusé d’ « apologie du terrorisme ». Une enquête de l’Humanité, relevait ainsi «  de la malveillance, de la dénonciation, des insultes et des calomnies à tous les étages. Ce sont ensuite des sanctions possibles, de la mise en retrait à la suspension temporaire […] le climat général vire à la censure et, à tout le moins, à l’autocensure. Et ça, pour beaucoup, ça reste du jamais-vu. ».

Mais les chercheurs ne sont pas les seuls à être surveillés et pourchassés. Quasi-systématiquement, les événements et réunions organisés par des collectifs étudiants sur le sujet de la Palestine sont interdits. A côté du scandale de l’interdiction de la conférence de Jean-Luc Mélenchon et de Rima Hassan à Lille, des dizaines de réunions, conférences, projections sur la Palestine ont été et sont encore interdites dans les universités. Entre février et mars, plusieurs étudiants du syndicat Solidaires EHESS ont même été convoqués par les services de lutte contre le terrorisme pour leur soutien à la Palestine.

« Évènements du 12 mars » à Science Po : le pouvoir panique, réprime, se prépare à réprimer encore

Les choses ont pris une dimension nouvelle à partir du 12 mars, lorsque les étudiants de Sciences Po ont décidé d’organiser pour la première fois une action de solidarité avec la Palestine dans leur école. Dès lors, c’est l’ensemble du sérail politique et médiatique qui s’est emparé de l’affaire, comme pris de panique.

Dès le lendemain, le Premier ministre saisit le procureur de la République et fait inscrire dans le contrat de l’école « le respect des valeurs de la République et de la liberté d’expression », participe au Conseil Administratif de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), place l’institution sous la coupe d’un « administrateur provisoire », tandis que Macron évoque l’affaire en Conseil des ministres et fustige un « antisémitisme », « dans la République et à Sciences Po ». Enfin, un rassemblement de soutien envers les étudiants, victimes entre autres de sanctions disciplinaires, est interdit le 14 mars et le quartier est bouclé par des CRS.

Pour couronner le tout, la nouvelle administratrice de l’école, Laurence Bertrand Dorléac également présidente de la FNSP, est convoquée par le Sénat le 20 mars pour être auditionnée sur les « évènements du 12 mars ». D’emblée, le président de la commission annonce l’ordre du jour : « est-ce que la manifestation était autorisée par la direction ? » et « quelles sont les procédures disciplinaires ? ». De la politisation des étudiants aux dispositifs de répression de l’école, s’ensuit une heure d’interrogatoire dont l’objectif est clair : que cela ne se reproduise plus.

Le 21 mars, le président de la commission en charge de l’interrogatoire, Laurent Lafon (UDI), annonce le lancement d’une « enquête flash » contre l’antisémitisme dans les universités. Derrière l’instrumentalisation abjecte de la lutte contre l’antisémitisme, la droite sénatoriale cherche à s’assurer que les présidences d’université disposent des outils nécessaires « pour arriver à maintenir les débats tout en maintenant le respect des valeurs de la République ». L’enjeu pour la classe dominante est de renforcer les possibilités de répression dans les mains des présidences d’université et préparer un serrage de vis en règle.

C’est de cette manière que le Congrès américain a exercé une pression phénoménale sur les présidences d’université, n’hésitant pas à en convoquer directement et à pousser à la démission deux d’entre elles, à l’aide d’une rhétorique assimilant antisionisme et antisémitisme. Dans la pratique, ce nouveau maccarthysme s’est récemment traduit par une répression extrêmement violente sur les campus américains. Depuis une semaine, plus de 1 500 étudiants et professeurs ont été arrêtés, le déploiement de militaire a été évoqué, tandis qu’une police ultra-violente et suréquipée est utilisée.

Maccarthysme à l’université ? Le gouvernement prépare le terrain à de nouvelles attaques, il faut faire front !

Pour le sociologue François Dubet, à l’occasion du colloque organisé à La Sorbonne en janvier 2022 par Michel Blanquer sur le « wokisme », nous pouvions d’ores et déjà parler d’un « maccarthysme soft visant à désigner les ennemis de l’intérieur, leurs complices, leurs compagnons de route et leurs victimes ».

Lors de la première audition du sénat dans le cadre de son « enquête flash » le 10 avril, le sénateur républicain Max Brisson a fustigé les «  liens entre le wokisme, l’islamisme et l’antisémitisme », dans la continuité du président du Sénat Gérard Larcher qui, un mois plus tôt, dénonçait un « problème d’antisémitisme », un « wokisme » et enfin un Sciences Po devenu « bunker de l’islamo-gauchisme ». Ainsi depuis le 7 octobre, l’antisémitisme est devenu le nouveau procédé, après l’islamo-gauchiste et le wokisme, pour désigner les adversaires de l’ordre bourgeois.

Voilà ce qui attend toute personne qui s’oppose à la raison d’Etat, qu’il s’agisse de dénoncer le génocide dont la France se rend complice, la mort de jeunes des quartiers populaires par la police, le passage en force de réformes qui nous font travailler plus longtemps ou la coupe sèche programmée dans les services publics.

Les attaques de ces derniers mois et en particulier de ces derniers jours constituent un dangereux précédent du point de vue de nos libertés politiques et d’organisation, et prépare nécessairement le terrain à de futures attaques à l’université. Alors que Gabriel Attal s’est donné pour mission de mater la jeunesse populaire par des sanctions, des éloignements de leur famille et des amendes aux parents, son offensive répressive cherche aussi à faire marcher les étudiants à la baguette. « Il n’y aura jamais de droit au blocage » dans les universités, a-t-il ainsi déclaré après la nouvelle occupation de Sciences Po le 26 avril. Il y a tout juste un an, les sénateurs LR déposaient une proposition de loi visant, à ce prétexte, à autoriser la police à pénétrer dans les universités sans avoir besoin de passer par les présidences.

L’offensive des classes dominantes cible en particulier les universités pour le danger de politisation, d’organisation qu’elles représentent mais aussi pour le pouvoir de contagion du mouvement étudiant vers d’autres secteurs de la société. C’est ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis alors que les étudiants qui font courageusement face à la répression reçoivent de larges témoignages de solidarité de la part du mouvement ouvrier.

Aujourd’hui, le gouvernement tente d’imposer une chape de plomb sur le monde de la recherche et de normaliser la présence de policiers dans nos campus. C’est pourquoi il y a urgence à faire front face à la répression, pour se battre pour nos libertés politiques et d’organisation. Une lutte qui passera en premier lieu par un soutien à toutes celles et ceux qui sont victimes de répressions administratives, policières ou juridiques en raison de leur soutien à la Palestine. De ce point de vue, la propagation dans plusieurs campus français d’actions pour la Palestine est admirable et réinscrit à l’ordre du jour la possibilité d’un réveil du mouvement anti-guerre, pour la libération de la Palestine et contre l’impérialisme.


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