Analyse internationale

Chine. Et si la classe moyenne arrêtait de soutenir le Parti Communiste Chinois ?

Juan Chingo

Chine. Et si la classe moyenne arrêtait de soutenir le Parti Communiste Chinois ?

Juan Chingo

Les mesures répressives adoptées par le gouvernement chinois conséquence de sa doctrine « Covid zéro », les perspectives économiques sombres et un contexte international de plus en plus hostile pourraient pousser une partie de la classe moyenne chinoise à rompre avec le parti dirigeant, et provoquer une grave crise du régime.

Le cauchemar du confinement de Shanghai et ses effets persistants

Comme nous l’avons écrit, le confinement strict pendant plus de deux mois à Shanghai a été une épreuve pour les habitants de la ville. Faisant les gros titres dans le monde entier pour sa dureté, c’est probablement la mesure de contrôle la plus draconienne qu’on ait enregistré pendant la pandémie. Durant le confinement, les enfants testés positifs au COVID-19 ont été séparés de leurs parents ; des barrières ont été construites pour limiter les déplacements des personnes ; les autorités ont euthanasié les animaux domestiques dont les propriétaires étaient testés positifs ; des travailleurs vêtus de blanc sont entrés dans les logements pour pulvériser du désinfectant sans le consentement des résidents ; et au moins 200 personnes seraient mortes, non pas à cause du COVID, mais en raison du manque d’accès aux hôpitaux.

Mais comme le rapporte le quotidien Nikkei Asia, : « bien que le confinement ait officiellement pris fin le 1er juin, les cicatrices psychologiques ne sont pas encore guéries. Wang Qing, une artiste de Shanghai, a déclaré qu’elle pensait souffrir encore du syndrome de stress post-traumatique et qu’elle avait commencé à souffrir d’insomnie et à accumuler de la nourriture de manière compulsive... Certains de ceux qui ont été déplacés de force dans des camps de quarantaine de fortune gérés par la ville, connus sous le nom d’hôpitaux Fang cang, à travers la Chine — une obligation pour toute personne ayant été testée positive pendant le confinement — sont encore terrifiés chaque fois qu’ils entendent frapper à la porte. "Je suis devenu très sensible après avoir été isolé dans un centre de quarantaine", a déclaré M. Xia, un étudiant universitaire de Shanghai qui a été envoyé dans un camp de quarantaine et qui n’a donné que son nom de famille. "J’ai peur qu’on frappe à la porte. Je n’ose pas lire les nouvelles sur Internet. Parfois, je ne peux pas m’empêcher de me parler à moi-même, et mes messages sont pleins de fautes de frappe". » [1].

Les effets ont également été ressentis dans la chaîne de production. Shanghai et ses environs jouent un rôle clé dans la chaîne d’approvisionnement technologique mondiale. Si l’on prend le cas d’Apple, la ville abrite non seulement le plus important centre de production de MacBooks, mais aussi une importante base de fabrication d’iPhone. La ville abrite une Gigafactory de Tesla et est devenue un écosystème pour toute une série de composants électroniques essentiels utilisés par des géants mondiaux de la technologie tels que Dell et HP, de la fabrication et de l’assemblage de puces aux circuits imprimés, en passant par les pièces acoustiques et les composants électriques. En particulier, le confinement strict a affecté la capacité des travailleurs à fabriquer, et s’est donc ressentie sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. La gestion et le bien-être de dizaines de milliers de travailleurs isolés dans un même lieu sont devenus un défi majeur pour de nombreux fournisseurs lors des fermetures drastiques dans la région du Grand Shanghai, qui comprend les villes voisines de Kunshan et Suzhou dans la province de Jiangsu et qui est l’un des plus grands centres de production électronique au monde. Le même quotidien a interviewé Tony Tseng, un responsable de l’approvisionnement d’Apple qui a demandé à s’exprimer sous un pseudonyme : « La chose la plus effrayante dans cette vague omicron n’est pas le virus, mais l’atmosphère effrayante qui se répand parmi nos employés et nos ouvriers ». L’usine de Tseng à Shanghai, qui abrite plus de 25 000 travailleurs, a été fermée au début du mois d’avril. Plus de 40 employés présentaient des signes de troubles mentaux. Il a ajouté qu’un de ses ouvriers a même commencé à dire qu’il était Xi Jinping, à casser des équipements dans l’usine et à devenir agressif envers les infirmières. Les tests COVID obligatoires organisés par les autorités locales ont constitué un autre défi mental et physique. « Plus de 50 % des employés ont été envoyés dans des camps de quarantaine gérés par la ville pendant le confinement », a déclaré Tseng. « Certains d’entre eux sont même entrés deux fois dans l’établissement. C’était une expérience extrêmement traumatisante ». Le responsable de l’approvisionnement a ajouté que depuis la réouverture de Shanghai, plusieurs de ses collègues ont demandé une thérapie. « La reprise de la production n’est pas notre priorité numéro un maintenant, la santé mentale de nos employés l’est. ... Nous devons prendre soin d’eux, et l’essentiel est que nous ne pouvons pas laisser quelqu’un mourir à cause de cette pression. » [2]

Zéro COVID et baisse des salaires : le contrat avec la classe moyenne est en train de se rompre

En juin, après cette épreuve, la plupart des 25 millions d’habitants de la ville sont finalement sortis de leurs immeubles pour tenter de retrouver une vie normale. Mais de plus en plus de citoyens de la classe moyenne envisagent de partir. Ils se demandent si Shanghai a encore un bel avenir et si la ville peut conserver le dynamisme qui la caractérise. Le Financial Times rapporte l’état d’esprit de cette partie de la population :

« Pendant des décennies, la classe moyenne chinoise, en pleine expansion, n’a eu qu’une seule option pour progresser : le neijuan (littéralement, « tourner en spirale, de l’extérieur vers l’intérieur »), c’est-à-dire rejoindre la course de vitesse d’une concurrence acharnée. Puis, l’année dernière, une surprenante forme de résistance est apparue chez les jeunes : le tangping, ou « s’allonger à plat », qui consiste à ne faire que le strict minimum pour joindre les deux bouts. Aujourd’hui, après le retour d’un confinement épuisant dans le cadre de la politique du zéro COVID du président Xi Jinping, une troisième tendance est apparue : le runxue, (« science de la course »), l’étude de la manière de quitter définitivement la Chine. Fin mars, alors que plus de 300 millions de personnes étaient soumises à de nouvelles restrictions, les recherches sur la plateforme WeChat de Tencent sur le thème "comment déménager au Canada" ont augmenté de près de 3 000 %, selon une étude du groupe de réflexion américain Council on Foreign Relations (CFR). Début avril, les recherches sur WeChat concernant l’immigration ont augmenté de plus de 440 %. Les consultants en relocation en Chine et à l’étranger disent avoir été frappés par un torrent d’appels téléphoniques et de courriels. Le phénomène runxue montre que les citoyens ordinaires sont profondément frustrés. Leurs libertés quotidiennes dépendent des résultats des tests Covid-19 obligatoires, qui sont souvent effectués toutes les 48 à 72 heures. Leurs esprits sont occupés par les risques immédiats d’une quarantaine stricte dans des établissements publics, séparés de leurs familles, ainsi que par des inquiétudes plus profondes concernant la sécurité de l’emploi et la baisse des revenus des ménages, alors que l’économie vacille au bord de la récession » [3].

Les changements d’attitude des habitants de Shanghai sont d’autant plus frappants après le choc du confinement. Auparavant, beaucoup blâmaient les fonctionnaires locaux pour l’application désordonnée des restrictions du zéro COVID. Aujourd’hui, selon une chercheuse citée dans le même article du Financial Times, « la plupart des gens sympathisent avec ceux qui sont "pris" en train de faire payer la bureaucratie, "une reconnaissance de l’impuissance de chacun face aux politiques centrales". Jamais, depuis la politique de l’enfant unique, une stratégie nationale n’avait touché la quasi-totalité des individus en Chine. Pris dans un enchevêtrement de règles de restrictions imprévisibles et chaotiques, de nombreux Chinois rêvent désormais de s’envoler définitivement ». La même chercheuse affirme : « Pour de nombreuses élites, l’émigration était une option viable et populaire bien avant les mesures de confinement, mais la soudaine poussée d’intérêt indiquée par les moteurs de recherche et les cabinets de conseil en immigration nous indique qu’une population beaucoup plus importante, probablement de la classe moyenne, commence à l’envisager depuis le confinement. Ils recherchent une solution à long terme, et non temporaire, à leur vie insatisfaisante en Chine. »

Cela ne signifie pas que la grande majorité de la classe moyenne chinoise sera en mesure de concrétiser son désir, en raison notamment des réalités économiques et des contrôles stricts aux frontières. Mais plus la politique du « zéro COVID » persiste, plus les dirigeants risquent de rompre le « contrat social » du parti communiste chinois avec la société chinoise, en particulier avec la classe moyenne urbaine en pleine expansion, que le parti a jusqu’à présent réussi à garder de son côté.

Et ce risque augmente à mesure que l’incitation économique s’affaiblit. Comme le rapporte toujours le Financial Times :

« De nombreux économistes s’attendent à ce que le produit intérieur brut de la Chine se contracte ce trimestre, ce qui constitue la deuxième entrée en récession du pays en 30 ans. Les prévisions de croissance pour l’ensemble de l’année ont été révisées à la baisse à 4 %, soit la moitié des 8,1 % enregistrés l’année dernière, et en dessous de l’objectif de Pékin de 5,5 %, déjà le plus bas en trois décennies. La réduction du niveau de vie qui en résulte s’étend des travailleurs faiblement rémunérés aux classes professionnelles et aux chefs d’entreprise. Eko, un professionnel de l’industrie d’exportation travaillant pour une multinationale à Changsha, dans le centre de la Chine, déclare que "la plupart de mes amis connaissent une baisse de revenus et des pressions financières croissantes, y compris les employés du gouvernement. Andy Zhu, un programmeur informatique de 30 ans basé à Shenzhen, le centre technologique du sud de la Chine qui a été brièvement bloqué en mars, déclare que si l’impact a été "massif sur toutes les industries", il a personnellement été obligé de repenser la façon dont il gère ses propres finances. "La pandémie m’a fait prendre conscience des récessions.... nous devons épargner davantage", dit-il. Une comptable de 24 ans de la ville de Nanjing, dans l’est du pays, qui a demandé à ne pas être nommée, s’attend à ce que ses revenus diminuent de moitié cette année en raison de la récession. Le projet de ses parents d’acheter une nouvelle voiture a récemment été mis en veilleuse » [4].

Sans parler de la hausse de l’inflation, alors que la normalisation de l’activité économique à Shanghai n’entraînera pas la même reprise en V qu’en 2020. Les différences avec cette puissante reprise tiennent au fait que le confinement actuel s’est produit au cours de ce qui était déjà un cycle économique à la baisse et surtout au fait que les mesures de relance ont été beaucoup plus faibles dans ce cycle qu’en 2020. Cette prudence des responsables politiques est liée au fait que la Banque populaire de Chine (PBOC) ne peut pas baisser considérablement les taux d’intérêt pendant un cycle de durcissement de la Réserve fédérale américaine. La crainte du scénario de sortie de capitaux de 2015 pèse lourdement sur le calcul de la PBOC.

De leur côté, de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) ne se sont pas totalement remises du précédent arrêt et sont aujourd’hui en plus mauvaise posture qu’en 2020. Selon une enquête nationale, environ 40 % des PME ne disposent de suffisamment de liquidités que pour un mois d’activité. Plus inquiétant encore, le chômage des travailleurs âgés de 18 à 24 ans a atteint le chiffre record de 18,4 %. Selon le Financial Times : « La hausse du chômage des jeunes a déjà placé la Chine au même niveau que la Slovaquie et l’Estonie. Le problème va bientôt s’aggraver, car plus de 10 millions d’étudiants universitaires vont recevoir leur diplôme dans les semaines à venir ».

Le ras-le-bol des mécanismes disciplinaires

Ces dernières années, en particulier depuis l’arrivée de Xi Jinping et son bonapartisme de plus en plus fort en réponse aux difficultés et aux contradictions de la restauration capitaliste en Chine, la bureaucratie centrale a de plus en plus amalgamé un style technocratique moderne, qui a caractérisé et prévalu dans l’ère post-Mao de la Chine, avec la poussée des "campagnes dirigées" comme méthode puissante de gouvernance, bien que cette méthode de gouvernance d’origine maoïste n’ait jamais disparu dans la période post-1978. La campagne zéro COVID a poussé à l’extrême l’utilisation de ces dernières.

Comme l’explique Dan Macklin : « en théorie, l’approche "zéro COVID" de la Chine est une politique descendante du gouvernement central du président Xi Jinping. En réalité, la tâche d’interpréter et de mettre en œuvre la politique incombe en grande partie aux acteurs gouvernementaux régionaux. Cela a conduit le Parti communiste chinois (PCC) à revitaliser sa technique traditionnelle de gouvernance sur la base de la mobilisation des masses (...) Évoluant à partir des "campagnes de masse" révolutionnaires de Mao Zedong, l’État chinois moderne continue de mobiliser ses cadres et ses citoyens de base. Cependant, plutôt que d’essayer de remodeler l’idéologie comme par le passé, l’objectif de la mobilisation d’aujourd’hui est avant tout de réformer la façon dont les gens se comportent en public, comme l’ont analysé des chercheurs tels qu’Elizabeth Perry (...) Au premier plan de cette mobilisation se trouvent les niveaux inférieurs du gouvernement urbain chinois - comités de quartier et bureaux de sous-district - ainsi que les membres du PCC et les volontaires locaux ».

Nous pourrions dire que le régime "oriental" de la Chine, fondé sur une forte centralisation de l’Etat - où se concentre son caractère répressif - est complété par une dimension disciplinaire à la Foucault, c’est-à-dire des configurations de pouvoir et de savoir qui façonnent le sujet. Mais le zèle avec lequel les bureaucraties locales ont appliqué les directives du Grand Mandarin a donné lieu à une série de "dérives" [5] qui, bien qu’elles soient ensuite temporisées pour éviter une explosion sociale [6], ont suscité une certaine lassitude et une perte d’efficacité de cette méthode de contrôle social.

Il semble que cette ingérence croissante de l’État dans la vie quotidienne cristallise des griefs accumulés ainsi qu’un mécontentement croissant. Un exemple : « Joy Zhou, 23 ans, qui travaille pour une organisation non gouvernementale à Pékin, prévoit de se rendre au Canada d’ici un à deux ans pour y étudier et espère y établir sa résidence permanente. M. Zhou a commencé à envisager de partir à l’étranger l’année dernière pour faire l’expérience d’un nouvel environnement culturel. Maintenant, elle éprouve un sentiment d’urgence. "L’idée de s’en aller ne naît pas seulement d’une question liée à la pandémie. Je ne me reconnais pas dans 80 % des valeurs sociales dominantes ici", a-t-elle déclaré, faisant part de ses préoccupations concernant les droits des femmes, le traitement des travailleurs et la liberté d’expression de plus en plus limitée en Chine. "Ce système est définitivement arriéré. Les gens semblent avoir appris à faire face à la vie dans un système irrationnel, mais nos vies s’amélioreront-elles un jour ?" ».

Encore un exemple : “...les internautes, jeunes et moins jeunes, publient des articles longs et détaillés sur la logistique et les aspects techniques de la migration, même s’il est peu probable qu’ils agissent selon ces conseils. Discuter de la possibilité de la migration devient une forme de fantasme et de défoulement. "Les gens ont l’impression que le runxue est une façon non seulement d’imaginer une vie différente. C’est une façon d’imaginer leur autonomie", explique M. Xiang, de l’Institut Max Planck. "C’est une façon d’exprimer la colère, l’impuissance et la déception ».

Un dernier exemple : « l’une de mes amies de Shanghai, qui est depuis longtemps favorable au gouvernement, a décrit son attitude pendant le confinement comme étant passée "de l’impuissance à la déception et au désespoir". Zhang Qiang, un médecin de Shanghai devenu homme d’affaires, a déclaré que, jusqu’à l’arrêt de la production, il ne croyait pas aux récits de la famine de 1959-61 provoquée par le Grand Bond en avant, au cours de laquelle des dizaines de millions de Chinois sont morts de faim ».

Et comme nous l’avons affirmé tout au long de cet article, le désespoir touche les secteurs qui ont jusqu’à présent bénéficié des réformes, la principale base sociale du régime qui lui permet d’établir une couche de plomb réactionnaire sur les travailleurs et surtout les migrants, ceux qui sont réellement responsables du miracle chinois. Cet exemple est éloquent : « dans la plupart des cas, Zhu Aitao a tout. Maintenant, elle est prête à laisser tout ça derrière elle. Cette femme de 35 ans, originaire de la province chinoise du Shandong, vit dans le quartier le plus riche de Pékin avec son mari - son amour de lycée - et leurs deux jeunes enfants. Ils sont propriétaires de leur maison et de deux voitures, une BMW et une Lexus. Tous deux ont un emploi stable : Zhu est responsable des relations publiques pour une multinationale automobile, tandis que son mari écrit pour un journal gouvernemental. Lassée de voir sa vie dictée par les mesures de la pandémie - les arrêts fréquents et soudains, les interminables séries de tests de masse et l’incertitude constante - Zhu espère déménager sa famille en Thaïlande dès que possible et émigrer éventuellement en Europe ou aux États-Unis. "J’ai l’impression de faire une dépression émotionnelle", a-t-elle dit. "Je me sens impuissante. C’est comme si un parent autoritaire vous disait que c’est pour votre bien. Il suffit d’écouter. Ne posez pas de questions" ».

Une question vitale : la fin de l’optimisme des élites ?

La gravité de la fermeture de Shanghai et la tendance croissante des contrôles politiques entament l’optimisme à long terme des élites chinoises, entraînant une importante perte de confiance qui pourrait compromettre le développement économique du pays. Les conjectures et l’ironie se multiplient. Les Shanghaïens ont ensuite émis l’hypothèse que Pékin avait imposé cette fermeture brutale dans le cadre d’une lutte de factions contre les politiciens de Shanghai, qui préconisent un contrôle plus favorable aux entreprises et moins strict du COVID que le gouvernement central. Plus cyniquement, ils ont plaisanté sur le fait qu’enfermer tout le monde à l’intérieur, les riches comme les pauvres, était la façon dont le dirigeant Xi Jinping voulait atteindre la "prospérité commune" de la ville.

Jusqu’à présent, l’une des principales raisons pour lesquelles les étrangers et de nombreux Chinois restent dans le pays est la conviction que la Chine reste une magnifique histoire de croissance pour la prochaine décennie. Cependant, des doutes commencent à émerger dans un contexte de ralentissement de la croissance, de niveaux historiques de chômage des jeunes, d’un système politique devenu plus rigide et résistant au changement que jamais, de l’absence de stratégie de sortie de l’approche zéro COVID [7], et d’un risque géopolitique croissant suite à l’invasion de l’Ukraine et au danger de Taïwan dans le contexte d’un environnement international plus incertain.

Loin du radar de l’opinion publique internationale captée par la guerre en Ukraine, les perspectives de la Chine s’obscurcissent. Le dur confinement de Shanghai et ses séquelles persistantes marqueront-ils un tournant pour l’opinion publique, notamment la classe moyenne, dans son soutien aux autorités du pays ? Nous ne le savons pas, mais comme nous avons essayé de le montrer dans cet article, les symptômes sont inquiétants pour la bureaucratie de Pékin. Observant de loin, une Chinoise vivant à Londres qui donne des conseils gratuits à ceux qui souhaitent s’installer en Grande-Bretagne, avec des rendez-vous pris jusqu’en novembre et des personnes sur des listes d’attente, déclare : "J’ai l’impression que beaucoup de mes interlocuteurs se fesaient des illusions sur le système de leur pays. Après la fermeture de Shanghai, ces illusions ont été brisées. Ils ont compris que s’ils veulent vivre librement, ils doivent partir".

Ce qui est clair, c’est que, si le runxue n’a pas déclenché de migration massive [8], il est un signe sérieux d’un pessimisme plus profond en Chine. Comme le dit ce citoyen, originaire de la province de Hebei, qui a obtenu la résidence permanente au Japon l’année dernière et qui dirige aujourd’hui une entreprise de commerce électronique à Osaka : "Ce n’est certainement pas un phénomène normal, ni quelque chose dont on parlerait beaucoup dans une société saine". Le fait que de nombreuses personnes en Chine comparent maintenant cette crise à certains des jours les plus sombres sous le régime du parti communiste montre l’ampleur de l’enjeu.

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NOTES DE BAS DE PAGE

[1Cissy Zhou, Lauly Li, Cheng Ting-Fang And Ck Tan, « Inside Shanghai’s COVID lockdown nightmare », Nikkei Asia, 22/6/2022.

[2Idem. Le même magazine rapporte : « Un cadre d’un autre fournisseur d’Apple, dont le site de Shanghai emploie environ 10 000 travailleurs, a déclaré qu’environ 10 % de son personnel qui ne vivait pas dans des dortoirs sur le site s’est vu interdire de quitter l’enceinte de l’usine lorsque la fermeture inopinée a été annoncée. Ils n’ont pas été autorisés à rentrer chez eux pour se préparer ou récupérer leurs effets personnels. Selon le directeur, beaucoup pensaient que la fermeture surprise ne durerait que quelques jours. Les travailleurs qui n’étaient pas autorisés à rentrer chez eux étaient contraints de passer la nuit dans l’usine : "[Les employés] devaient dormir sur le sol dur de l’usine..... Ce n’est pas quelque chose que les gens normaux peuvent supporter", a-t-il déclaré, ajoutant que les fournitures, telles que les serviettes et les couvertures, étaient très limitées. "Si vous vous plaignez de tous ces désagréments auprès des autorités, les choses pourraient empirer", a déclaré le dirigeant. "Il faut faire attention, sinon les fonctionnaires pourraient déployer des règles et des contrôles encore plus stricts contre votre usine". »

[3Edward White, Eleanor Olcott « Covid in China : Xi’s fraying relationship with the middle class », Financial Times, 27/06/2022.

[4Idem

[5Comme le dit Macklin : "A Shanghai et ailleurs, les fonctionnaires locaux ont joui d’une autorité considérable pour interpréter les politiques venant d’en haut, pour autant qu’ils contribuent à la cause globale du COVID-19. Mais cette focalisation a conduit certains cadres à prendre des mesures excessives, allant de la pulvérisation aveugle de désinfectant à la construction de barricades, voire à l’abattage d’animaux domestiques. Des rapports anecdotiques suggèrent que certains comités de résidents ont prolongé les fermetures locales en violation des directives officielles."

[6Dans le même article de Macklin, nous lisons que "comme l’ont écrit Ching Kwan Lee et Yong Hong Zhang, la centralisation du pouvoir en Chine signifie que l’agitation sociale doit toujours être dirigée vers l’État comme source et solution des perturbations et des privations de la population. Selon eux, ces conditions ont conduit à une stratégie d’"autoritarisme négocié", dans le cadre de laquelle les autorités locales offrent des incitations pour maintenir les citoyens en paix et donc la stabilité. Dans le cadre du COVID-19, ces incitations ont pris la forme d’allocations de chômage pour les travailleurs licenciés et d’allégements fiscaux pour les entreprises fermées".

[7« Partout en Chine, les entreprises vivent désormais avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête : à tout moment, la production peut être interrompue en raison du risque sanitaire et des restrictions décrétées par les autorités, zélées pour mettre en œuvre une stratégie dictée par le leader Xi Jinping. La Chine est devenue totalement imprévisible", déplore un industriel français sur place. Avant, nous savions où allait le pays, avec des plans stratégiques clairs et des règles du jeu relativement connues. Avec la fermeture de Shanghai et d’autres bassins industriels, nous avons compris que les autorités politiques étaient capables de décréter la mort de notre entreprise. Et s’il y a une autre crise demain, vont-ils nous tuer une deuxième fois ?" Il y a un an, les multinationales avaient déjà été prises par surprise lorsqu’elles avaient été contraintes d’arrêter leur production sans avertissement en raison de pénuries d’électricité ».

[8Une autre chose est en relation avec la population étrangère de Shanghai. Sa population de travailleurs étrangers était de 164 000 en 2020, soit près de trois fois plus qu’à Pékin. Nous ne disposons pas de statistiques plus récentes, mais il est clair que de nombreux étrangers ont déjà quitté Shanghai et que peu d’entre eux seront désireux d’y trouver un emploi avant un certain temps. Les cadres étrangers ne seraient pas disposés à s’engager dans de nouveaux séjours en Chine ou mettraient fin à leur contrat de manière anticipée. La Chambre de commerce allemande a publié une enquête indiquant que 28 % des employés étrangers envisagent de quitter la Chine en raison de ses politiques de COVID. Autre signe de difficulté, un grand nombre d’enseignants étrangers des écoles internationales de Shanghai ont démissionné. Sans ces écoles, les cadres étrangers ayant une famille trouveront que la Chine est une destination peu attrayante. Cela dit, cela ne signifie pas que les entreprises occidentales vont renoncer à leurs activités en Chine : aucune autre région ne peut remplacer à court terme la taille de leur marché ou leurs capacités de production. Au lieu de cela, cela signifiera des opérations plus localisées, avec une gestion composée principalement de ressortissants chinois, et moins de nouveaux investissements progressifs. Apple n’a pas vraiment réduit sa dépendance à l’égard de la fabrication en Chine après la guerre commerciale du président américain Donald Trump, mais elle demande désormais à ses fournisseurs de transférer davantage de production en Inde et en Asie du Sud-Est.
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