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Quelle panthéonisation ?

Panthéonisation de Missak Manouchian : Macron détourne la mémoire d’un résistant communiste

Emmanuel Macron a annoncé dimanche l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon. Une opération d’institutionnalisation et de consensualisation mémorielles autour d’un résistant arménien, immigré et communiste.

Adèle Chotsky

19 février

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Panthéonisation de Missak Manouchian : Macron détourne la mémoire d'un résistant communiste

Photo : Missak Manouchian (à gauche), Wolf Wasjbrot et Joseph Boczov, peu avant leur exécution en février 21 février 1944 au Mont Valérien. © archives

Edit le 19 février 2024 : Missak Manouchian entrera au Panthéon mercredi 21 février. Pour l’occasion nous republions dans nos colonnnes un article paru en juin dernier, à l’occasion de l’annonce par Emmanuel Macron de sa panthéonisation.

Missak Manouchian va entrer au Panthéon, 80 ans après son exécution. C’est ce qu’annonce en grande pompe un communiqué de l’Elysée, publié – sans hasard – à l’occasion de l’anniversaire des 83 ans de l’appel du 18 juin.

« Le 18 juin 1940, le général de Gaulle disait au monde que la France, vaincue dans les circonstances, n’avait pas perdu la guerre, puisque la flamme de la Résistance demeurait vivante. Cet appel fut l’acte fondateur du mouvement de lutte contre l’occupant nazi et contre l’esprit de défaite. Il fut le flambeau vers lequel convergèrent les milliers de femmes et d’hommes qui voulaient lutter pour rester libres. »

En reprenant à son compte le tableau mystique d’une Résistance unanime dans la France occupée, en oubliant opportunément la collaboration vichyste, bien française elle aussi, Macron, qui se fond dans les pas du bonapartisme gaulliste et de sa Vème République, entend revendiquer l’héritage de la Résistance pour servir son agenda politique. Une résistance en deux dimensions, patriote et univoque, qui célèbre ainsi « l’unité des mémoires de la Résistance », communiste et gaulliste.

La panthéonisation d’un nouveau résistant, après Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay en 2015 sous le quinquennat Hollande, se fait ainsi, une nouvelle fois, au service de la mise en scène d’un catéchisme patriotique exécrable. « Missak Manouchian porte une part de notre grandeur », « incarne les valeurs universelles » et a défendu « une République où l’adhésion aux principes de liberté, d’égalité, de fraternité, permet tous les exploits, autorise tous les sacrifices, réunit et transcende tous les destins », déclare la présidence dans son communiqué.

Mais quelle hypocrisie, quelle récupération grotesque, de la part d’un gouvernement qui joue la surenchère raciste, et prépare une nouvelle loi Immigration, véritable aboutissement de la politique xénophobe et anti-immigrés de l’État français !

Ainsi, Macron peut bien célébrer chez Manouchian, pour servir son propos,« son élan patriote dépassant toutes les assignations, son héroïsme tranquille » et ajouter que Missak Manouchian « choisit deux fois la France, par sa volonté de jeune homme arménien épris de Baudelaire et de Victor Hugo, puis par son sang versé pour notre pays », il se livre à une redoutable manipulation de l’histoire en prétendant que le militant communiste, comme tant d’autres immigrés arméniens fuyant leur pays, « a choisi la France » par amour des belles lettres.

Il est vrai que Missak Manouchian a eu très vite le goût de la poésie, et traduisit Baudelaire, Verlaine ou Victor Hugo dans la revue littéraire Tchank (L’effort) dont il participe à la création en 1930, et qui est consacré à la littérature française et arménienne. Mais Manouchian débarque tout d’abord à Marseille avec son frère en 1925, via un réseau d’immigration clandestine, après avoir échappé au génocide arménien en 1915, durant lequel son père est tué.

Lorsqu’il arrive en France, il exerce le métier de menuisier aux chantiers navals de la ville, puis monte à Paris avec son frère où il est embauché à l’usine Citroën comme tourneur. Il fait partie de ces nombreux immigrés réfugiés arméniens et Juifs polonais ou hongrois embauchés par des capitalistes français en quête de main-d’œuvre pour reconstruire l’économie après la première guerre mondiale. Arrive ensuite la crise économique de 1929 et ses répercutions : Manouchian est licencié de l’usine au début de la crise et doit gagner sa vie dans l’économie parallèle, en exerçant des travaux irréguliers. Condamné au chômage, il se consacre à des activités artistiques et fonde une revue littéraire en langue arménienne.

Marqué comme beaucoup d’immigrés par les évènements de février 1934, avec la manifestation antiparlementaire du 6 février organisées par les ligues d’extrême droite et la réponse massive du mouvement ouvrier, Manouchian adhère au Parti communiste et rejoint le Comité de secours pour l’Arménie, à la fois organisation de masse du PCF en direction de la communauté arménienne en France et section arménienne de la MOI (main-d’œuvre ouvrière immigrée).

Il est alors interné en 1939 comme communiste étranger dans un camp puis incorporé dans l’armée. À son retour dans la capitale occupée en 1940 il reprend ses activités militantes clandestinement, puis rejoint le FTP-MOI (Franc-tireurs et partisans – Main d’oeuvre immigrée de Paris) : groupe armé dirigé par les communistes, menant des actions contre l’occupant (sabotages, déraillements). La soixantaine de FTP-MOI de Paris, dirigé à partir de l’été 1943 par Missak Manouchian, sont des Juifs polonais ou hongrois, des Italiens, des Arméniens.

Arrêté en novembre 1943 et exécuté le 21 février 1944 avec 21 autres de son groupe sur le Mont-Valérien, Manouchian sera, avec ses camarades, stigmatisé par « l’Affiche rouge », affiche de propagande xénophobe placardée massivement dans la France vichyste, qui présentait Manouchian comme le chef d’un groupe de « terroristes étrangers communistes » et dénonçait une « armée du crime » aux mains de juifs et d’étrangers.

C’est là la deuxième mystification historique de la panthéonisation de Missak Manouchian « mort pour la France » ou pour « une République » et son « adhésion aux principes de liberté, d’égalité, de fraternité ». Ni Manouchian ni ses camarades n’étaient français, et ils ont été arrêtés par les Brigades spéciales de la police française avant d’être remis aux allemands.

Ni Manouchian ni ses camarades, ne sont mort « pour la France » ni pour les « valeurs de la République » qu’instrumentalise aujourd’hui Macron. Ils sont morts pour la liberté, beaucoup comme Manouchian pour un idéal communiste et internationaliste, dont il fait le récit dans sa dernière lettre à sa femme Mélinée, rêvant de « paix » entre « les peuples :

« Je m’étais engagé dans l’Armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. »

Et de conclure loin de toute effusion patriotique : « Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... ». Célébrons donc Manouchian et ses camarades, immigré clandestin, poète arménien, internationaliste convaincu, en luttant comme il l’a fait, avec sa classe et avec les siens, loin des hommages hypocrites d’une « patrie reconnaissante » qui contrôle aux frontières et traque les immigrés.

Avant la tombée de la nuit, tu as parcouru le monde,
Tu nous apportes l’écho de tous les horizons de la vie,
De toutes ses mains usées par le travail, des luttes et des victoires,
Ton appel semblable à la lumière sans entrave des rayons de l’aube.
Transi et fouetté par la tempête, tu es le feu qui nous réchauffe.
Dans l’obscurité maudite, de notre serment tu es la flamme ardente,
Flambée éternelle que les esprits en furie
Vocifèrent de leur haine impudente pour t’éteindre à jamais.
Il semble parfois que tu vas t’éteindre, cependant chaque jour
Des volontés d’acier t’attisent, te tiennent debout,
Et toi haletant, comme un apôtre aux jours de combat,
Tu montres le chemin de la lumière pour la grande victoire de l’Humanité

– M. Manouchian, poème paru dans L’Humanité en 1934

Biographie de Manouchian


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