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14 juillet

Invité d’honneur de Macron, qui est Narendra Modi et d’où vient son idéologie d’extrême-droite ?

Ce 14 juillet, Macron a choisi d'inviter Narendra Modi pour regarder défiler les armées française et indienne. La venue du chef d'État indien se présente comme une rencontre entre deux néolibéralismes et deux islamophobies d'État sur fond d'intérêts militaires et impérialistes dans l'Océan Indien.

Virdas

13 juillet 2023

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Invité d'honneur de Macron, qui est Narendra Modi et d'où vient son idéologie d'extrême-droite ?

Crédits photo : Hamed Malekpour

Ce sont les forces armées indiennes qui défileront sur les Champs-Élysées cette année. L’animation sera assurée par Ilaiyaraaja, géant de la musique tamoule et soutien affirmé du Premier ministre Narendra Modi. Pour l’Élysée, la visite de ce dernier engage « une nouvelle phase du partenariat stratégique entre la France et l’Inde, en fixant de nouveaux objectifs ambitieux pour les coopérations stratégique, culturelle, scientifique, universitaire et économique, y compris dans un grand nombre de secteurs industriels ».

La présente phase est pourtant déjà intense. La France est le premier fournisseur d’avions de chasse pour l’Inde, le deuxième en armes d’assaut après la Russie. L’Inde bénéficie de son statut de « plus large démocratie au monde », forte de son système parlementaire westminstérien et ses dix-sept élections générales tenues depuis 1951. Géant économique, l’État-sous-continent représente pour les États-Unis et l’Europe une de ses cartes maîtresses contre la Chine. Narendra Modi incarne le mieux cette ouverture diplomatique. C’est avant tout la légitimité que recherche ce dirigeant d’extrême-droite, soutenu par des milices quasi-fascistes.

Que cautionne l’État français dans cette « nouvelle phase » diplomatique avec un régime néolibéral, écocide et génocidaire ? En toute connaissance de cause, une mouvance politique d’extrême-droite s’abreuvant aussi bien aux sources du conservatisme brahmanique que celles des fascismes européens. Cette complaisance assumée de l’Élysée cimente une vieille politique d’entente entre l’impérialisme français et les élites indiennes de haute caste, dont l’extrême-droite hindoue est aujourd’hui l’exécutant décomplexé. Retour sur l’historique d’un long projet de domination réactionnaire.

La Peste Safran : l’idéologie Hindutva de Savarkar à Modi

Autocrate médiatique, Modi est avant tout l’apogée d’une idéologie politique : le suprémacisme hindou. Si depuis 2014 les deux gouvernements Modi ont réussi à conférer à cette pensée un statut hégémonique, c’est l’aboutissement d’un long siècle de combats patients. Dans « Hindutva : Who is a Hindu », pamphlet publié pour la première fois en 1923, Vinayak Damodar Savarkar (1883-1966) développe la théorie de l’Hindutva (« hindouïté »). Savarkar est un nationaliste qui oppose au projet gandho-nehruvien un État indien d’inspiration fasciste. L’Hindutva résume l’idée que l’Inde est une terre primordialement hindoue, menacée par ses minorités musulmanes et chrétiennes.

Face au séparatisme musulman et à la réponse inclusiviste de Nehru, le savarkarisme s’impose comme troisième force politique lors des tensions liées à la Partition. Cette extrême-droite s’appuie d’abord sur la classe-moyenne cléricale hindoue des villes, et ses associations de défense religieuse hostiles aux minorités religieuses comme aux syndicats ouvriers. Ce réactionnariat hindou de haute-caste trouve très vite des mécènes puissants parmi les chefs de seigneuries rurales. C’est parmi les sujets fidèles de cette classe post-féodale que le fascisme hindou forme des milices qui envenimeront les plusieurs vagues de violences islamophobes lors du combat anti-colonial.

Si l’Hindutva prône superficiellement une union de toutes les castes hindoues contre l’ennemi musulman, elle sert avant tout les intérêts des propriétaires terriens brahmanes (caste érudite) et rajputs (caste martiale) jaloux de leurs droits sociaux menacés par le Congrès, à travers sa vison d’une république laïque et social-réformiste. Fondé en 1925, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, « Service National des Volontaires ») devient le bras armé de l’Hindutva. Cet immense corps milicien est régimenté consciemment sur le modèle des jeunesses mussoliniennes et hitlériennes. Le but est clairement défini : un nettoyage ethnique systématique qui vise musulmans et chrétiens, pour instituer un État hindou qui agence la société selon le patriarcat brahmanique. Savarkar et ses disciples reprennent à leurs modèles européens leur anti-communisme fondamental, s’attaquant aux syndicats révolutionnaires et aux nombreuses formations marxistes du sous-continent. En 1948, lorsque Gandhi est assassiné par un membre du RSS, ce parti-milice menaçant est dissous pour deux ans par l’État indépendant créé un an plus tôt.

Long road to unfreedom : du RSS au BJP

Les premières décennies de l’indépendance indienne sont marquées par l’hégémonie nehruvienne, forte de succès industriels et agraires pérennes. L’extrême-droite hindoue entame au niveau national une relative traversée du désert, avec pour stratégies limitées l’entrisme au sein des partis d’opposition et la consolidation d’avant-postes militants dans des régions-clés. Lorsque, acculé de partout, Indira Gandhi proclame l’état d’urgence en 1975, le RSS se retrouve avec les communistes et les syndicats urbains parmi les principaux opposants au régime. Lorsque les libertés sont formellement restaurées en 1977, l’extrême-droite compte capitaliser sur ce sursaut de respectabilité.

En 1980 est formé le Bharatiya Janata Party (« Parti du Peuple Indien »), qui domine jusqu’à aujourd’hui la scène électorale indienne avec le Congrès. Le BJP est le rassemblement de plusieurs forces de droite, allant de bureaucrates syndicaux opportunistes jusqu’aux extrémistes hindous les plus rétrogrades. Stratégiquement relégué à une marge néanmoins influente, le RSS gagne à travers le BJP une centrale électoraliste, républicaine et, en façade, démocrate. Les cadres du nouveau parti restent pour la plupart issus des rangs du RSS, formés à son militantisme paramilitaire. Les forces parlementaires et associatives de la droite hindoue sont rassemblées sous une seule grande confédération politique : le Sangh Parivar (« La Famille du RSS »).

Le deuxième mandat d’Indira Gandhi se termine en 1984 par son assassinat, en représailles de son action contre le séparatisme punjabi. Un pogrom anti-sikh ravage Delhi, fomenté par les militants du Congrès. Le BJP se positionne comme parti de l’ordre et d’une décence politique désormais absente de la dynastie Nehru-Gandhi. Très conscient de cette opposition, Rajiv Gandhi gouverne par sa droite, mais échoue face à la pièce maîtresse du BJP : la Babri Masjid (« mosquée de Babur »). Construite au 16ème siècle par le premier empereur moghol (dynastie musulmane d’origine mongole) sur le lieu de naissance du dieu hindou Rama, cette mosquée symbolise pour le Sangh l’humiliation historique de la majorité hindoue par la minorité musulmane.

Au long des années 80, la droite hindoue milite avec force sa volonté de restaurer à Ayodhya un culte exclusivement dédié à Rama, érigé comme la divinité tutélaire salvatrice d’un État postcolonial décadent. Alliant fierté majoritaire, restauration économique et peur des minorités, ce militantisme ultranationaliste permet d’élargir la base électorale du Sangh aux classes moyennes urbaines et aux ouvriers hindous, le plus souvent de haute caste.

Tous deux anciens shorts bruns du RSS, les leaders du BJP Lal Krishna Advani et Atal Bihari Vajpayee font campagne en 1990 pour la construction d’un temple à Ayodhya. A travers un pèlerinage long d’un mois à travers l’Inde du nord, le BJP met en scène son autorité à travers les sites de tensions historiques entre hindous et musulmans. Ce processus dramatique est illustré de manière vivide par le documentaire de Anand Patwardhan, Raam ke naam. « Au nom de Rama ».

1992 est la première grande explosion de violence de l’Hindutva. L’année constitue un traumatisme sans précédant pour les forces progressistes indiennes. Le 6 décembre à Ayodhya, un grand meeting rassemblant les différentes composantes du Sangh est débordé par la foule. Avec la complicité de la police, 150 000 militants hindous rasent la mosquée moghole. Face aux décombres, Advani et Vajpayee jouent l’apaisement. Mais la répercussion ne se fait pas attendre. Dans la grande ville de Bombay, des conflits éclatent entre hindous et musulmans éclatent, avec pour conséquence 900 décès. C’est avant tout un pogrom islamophobe, orchestré par les alliés du BJP qui dirigent la ville. Un an après, un attentat islamiste ébranle la ville en guise de représailles.

Gagné autant par la peur que la promesse d’un ordre économique fort, l’électorat indien se tourne massivement vers le BJP, qui remporte sa première élection générale en 1998. Vajpayee devient premier ministre tandis qu’Advani gère le parti. Le BJP poursuit une politique de dédiabolisation, s’appuyant sur son nouvel électorat urbain, et se présentant comme le défenseur d’une laïcité hindouïsée mais protectrice des minorités. Le gouvernement cherche à reprendre à son compte la tertiarisation de l’économie entamée par le Congrès au début des années 1990. En cherchant à trop ressembler à son rival, le BJP n’obtient pas de second mandant. Il est défait en 2004 par un Congrès dynamisé. Le Sangh connait alors une nouvelle traversée du désert au niveau national. Sauf dans un état : le Gujarat. A l’Ouest de l’Inde, cette région fait office de laboratoire d’un BJP décomplexé. À l’image du chef-ministre de l’État, Narendra Damodardas Modi.

Césarisme, terrorisme et business : la formule Modi

En tant que région et État de l’union indienne, le Gujarat est un bastion conservateur. Un régime de prohibition et une culture publique végétarienne y sont strictement imposés depuis l’indépendance du pays. Les groupes socio-politiques dominants sont les castes marchandes, qui ont trouvé dans le capitalisme colonial la fructification d’un éthos industriel et corporatiste. Depuis Savarkar, le RSS a su se positionner au Gujarat comme défenseur de cette bourgeoisie régionale contre ses ennemis : commerçants non-hindous, syndicats ouvriers et le prolétariat musulman. Déjà bastion d’une aile droitière du Congrès sous Nehru, l’État est gouverné systématiquement par le BJP depuis 1989. En 2001, Modi remplace son mentor Keshubhai Patel comme chef-ministre. C’est la récompense d’un technocrate fidèle de l’extrême-droite hindoue.

Modi nait en 1950 dans une petite ville rurale du Gujarat. Il est issu d’une famille d’épiciers et d’une caste considérée comme relativement basse. Il est accusé de falsifier l’image de cette jeunesse supposément modeste, affirmant avoir vendu du thé dans des gares, comme avoir travaillé comme balayeur public. Car Modi se présente comme la tête d’affiche d’une ascension sociale du prolétariat hindou que seul permettrait le militantisme d’extrême-droite. Il porte l’uniforme du RSS depuis l’âge de huit ans, et grimpe déjà adolescent les échelons paramilitaires du parti. Entre les années 60 et 80, le jeune organisateur est remarqué par les autorités centrales du RSS, qui le propulsent au premier plan des manifestations anti-Congrès lors de l’état d’urgence. Devenu responsable régional du RSS au Gujarat en 1980, il organise la campagne de Advani et Vajpayee contre la Babri Masjid. Stratège apprécié, il est nommé secrétaire national du BJP en 1995.

Modi a toujours incarné la tendance la plus fasciste du Sangh, et c’est ce service sans faille de milicien technocrate qui est récompensé par la nomination à la tête de la région-État en 2001. L’impunité du petit chef est déjà grande. Le 27 février 2002, un train prend feu dans la ville gujaratie de Godhra et soixante passagers perdent la vie. Les wagons transportaient principalement des pèlerins hindous revenus d’Ayodhya. L’incident est imputé très vite aux musulmans, thèse soutenue dès la première heure par Modi et son gouvernement. Un pogrom islamophobe s’en suit. Après plusieurs massacres, incendies et viols en série, le nombre de morts s’élève à 2000 victimes, principalement musulmanes.

Jusqu’à aujourd’hui, le BJP plaide le débordement par la foule et quelques meneurs extrémistes, et, avant tout, la provocation minoritaire. Pendant et après les faits, Modi va jusqu’à se présenter comme le pacificateur d’une violence subite. Le travail journalistique, comme celui du reportage Final Solution de Rakesh Sharma, documente la longue escalade d’un pogrom directement orchestré par le dirigeant d’extrême-droite. Voilà l’homme que Macron présentera au balcon.

Après s’être lavé les mains Modi devient le repoussoir parfait pour le Congrès, comme pour plusieurs pans de la bourgeoisie urbaine libérale qui l’embrasseront dix ans après. Interdit de territoire aux États-Unis et visé par plusieurs chefs d’accusation, Modi devient de plus en plus populaire parmi l’électorat hindou du Gujarat, ouvrant l’entreprenariat et l’économie de services à des couches sociales plus larges que les réactionnariat de haute caste. Réélu en 2009, Modi réussit au Gujarat là où le BJP a échoué au niveau national en 2004 : imposer l’idéologie de Shining India, un capitalisme entrepreneurial ancré dans le majoritarisme Hindutva. Face à un Congrès réélu en 2009, le modèle Gujarati devient le joker parfait du BJP face à une économie nationale en peine.

Si son autocratisme agace d’abord la vieille garde républicaniste de Advani et Vajpayee, Modi réussit à s’imposer comme candidat idéal aux bureaux régionaux du BJP et son électorat. Surjouant une image quasi-royale et militariste à la manière d’Erdogan ou Poutine, Modi s’impose dans toute l’Inde comme « empereur des cœurs hindous ». Ses promesses de développement technologique comme son savoir-faire médiatique gagnent fortement la petite-bourgeoisie urbaine de haute caste, particulièrement sa jeunesse. Modi a aussi réussi à étendre son réseau d’agents financiers aux grandes fortunes du pays comme au milieu associatif diasporique, profondément nationaliste et conservateur. Dans des États comme l’Uttar Pradesh et le Gujarat, le Sangh peut compter sur un prolétariat hindou mobilisé et déterminé à imposer sa force aux ennemis minoritaires de l’intérieur. Le BJP remporte les élections générales de 2014. India has been « modified ».

Bilan de deux mandats : l’œuvre de la pieuvre

En 2014, le BJP semble pour longtemps revitalisé grâce à l’image du superhéro « NaMo ». L’interdiction de séjour sur sol américain levée, Modi est reçu en grande pompe par Obama, s’adressant à la nation américaine à Hyde Park aux côtés d’élus et de stars hollywoodiennes. Cette dédiabolisation internationale est un signe saillant du pouvoir intermédiaire de la bourgeoisie d’affaire indo-diasporique entre l’Inde et les gouvernements occidentaux. Modi resserre les liens entre son gouvernement et les grandes fortunes indiennes, comme le milliardaire Mukesh Ambani. Pour tout un public libéral, le premier ministre semble avoir réussi à se délester de son image de troupier fasciste, reléguée au ministre de l’intérieur Amit Shah.

En 2016, le gouvernement Modi lance le grand projet économique de son quinquennat : la démonétisation. Les billets de 500 et 1000 roupies perdent leur cours légal, au profit de nouveaux billets de 500 et de 2000. Modi défend ce projet comme une attaque contre l’économie sous-terraine, ne manquant pas de souligner la participation du terrorisme islamique à cette économie. La démonétisation est un désastre. Les banques sont vites à cours de billets, et l’économie des villes court-circuitée. Les familles ouvrières et agricoles se retrouvent vite précarisées par la démonétisation de leur fortune souvent conservée en liquide. L’image de sage national de Modi est durement ébranlée.

En 2017, l’état de l’Uttar Pradesh voit arriver à sa tête le Yogi Adityanath, religieux extrémiste du BJP, qui renoue avec le discours génocidaire du RSS. Si la respectabilité comme l’efficacité du BJP « modifié » sont remises en question, Modi remporte haut la main l’élection générale de 2019. Son adversaire Rahul Gandhi, l’arrière-petit-fils de Nehru et fils de la présidente du Congrès, a échoué dans sa politique de concessions à un électorat hindou de plus en plus réactionnaire. Modi et Shah ont désormais la voie libre pour assouvir les desseins les plus violents du Sangh.

Le premier grand coup est l’abrogation de l’autonomie du Kashmir, qui passe en Août 2019 sous l’autorité de la constitution indienne. La région frontalière à majorité musulmane est occupée militairement par l’Inde, dans une opération de contrôle colonial sous couvert d’anti-terrorisme. Le gouvernement encourage l’installation de citoyens indiens sur le territoire kashmiri, devenu une promesse de propriété et de stabilité pour le prolétariat hindou. Une politique qui n’est pas sans parallèle avec le colonialisme de peuplement israélien.

Face à cette occupation territoriale, l’opposition indienne est confrontée à sa propre complaisance historique vis-à-vis de la revendication indienne sur le Kashmir. La zone de non-droit demeure toujours. En décembre 2019, le gouvernement entreprend une réforme légale qui tend à criminaliser les groupes minoritaires. L’Acte de Citoyenneté de 1955 est amendé, restreignant le statut de réfugiés aux Hindous, Sikhs et autres religions non-musulmanes. Le but est d’exacerber les tensions avec le Pakistan et le Bangladesh, comme de stigmatiser les nombreux migrants économiques musulmans venus de ce dernier état. Pour l’opposition, cette mesure est le chemin qui mène à la déchéance de nationalité de toute personne issue d’une minorité religieuse. La résistance au BJP est sans précédent. Les manifestations et les sit-ins se multiplient dans les grandes villes, menés par les membres de l’opposition et des grandes figures de la société civile. Toute une partie de l’électorat urbain, attaché aux fondations nehruviennes de la laïcité indienne, tourne le dos à Modi.

Ce mouvement social dure plusieurs mois, la répression ne se fait pas prier. En février 2020, des groupuscules fascistes s’en prennent aux quartier musulmans, aux journalistes et aux manifestants. Dans l’Uttar Pradesh, le Yogi Adityanath lance une déferlante de pogroms islamophobes avec l’aide de la police et de ses milices. Décrété le 24 mars, le couvre-feu du Covid met fin à quatre mois de défi inédit à l’extrême-droite indienne.
La gestion de la pandémie est objectivement catastrophique. Près de 45 millions d’indiens sont touchés, 531 892 en décèdent au total. Tout au long de 2020 les scènes d’hécatombes urbaines se multiplient, tandis que Modi appelle la nation à chanter des mantras. Maître de l’image, il cultive désormais le style d’un pénitent hindou à longue barbe plutôt que celui d’un chef militaire athlétique.

En septembre 2020, le gouvernement entreprend son chantier de libéralisation de l’agriculture. Notamment en abolissant tout contrôle public sur la privatisation des terres et du labeur agraire, dans l’intérêt de la bourgeoisie d’affaire dont la fidélité à Modi est constante. Avec l’État rural du Punjab comme épicentre, les syndicats agricoles s’organisent et manifestent contre la marchandisation de leur travail. La contestation dure un an, culminant avec l’occupation de Delhi par les manifestants la dernière semaine de janvier 2021. Ni la police ni les milices du Sangh ne réussissent à affaiblir le mouvement qui parvient à faire fléchir le gouvernement. Le projet de loi est abandonné en novembre 2021. La grève des fermiers est une offensive démocratique pérenne, qui prouve la fébrilité de l’extrême-droite indienne, son gouvernement et ses soutiens capitalistes. L’opposition institutionnelle peut profiter de cette brèche radicale.

En septembre 2022, Rahul Gandhi et le Congrès entament le Bharat Jodo Ratra (« Marche pour Unir l’Inde »). Ce grand pèlerinage médiatique à travers tout le pays compte renouer avec la symbolique gandhienne et mobiliser des bases populaires contre le projet de haine du BJP. Avec le soutien des éditorialistes libéraux, des syndicats réformistes et même du géant industriel Tata, Gandhi se garde bien de remettre en question l’ordre capitaliste installé par son père au début des années 90. Le petit-fils de Nehru évite aussi une remise en cause trop radicale du castéisme d’État et de la dominance de Delhi.

Il n’empêche que l’opération de communication est un succès, la figure de proue du Congrès ayant réussi à s’imposer comme l’adversaire naturel de Modi. Le couperet tombe vite. A la fin de la marche en mars, une cour pénale au Gujarat frappe Gandhi d’inéligibilité pour injure diffamatoire envers Modi. Les aboutissants de la bataille juridique en cours sont incertains. C’est formellement la première grande attaque du BJP contre le processus électoral. C’est cette nouvelle phase de répression anti-démocratique que Macron semble vouloir honorer.

L’impérialisme français complice du suprémacisme hindou

Le gouvernement français choisit donc en pleine conscience d’honorer un dirigeant d’extrême-droite, soutenu par des groupes paramilitaires et responsable avéré de violences de masse. Ce choix est assez prévisible compte tenu du rapport impérialiste que la France a toujours cultivé avec la péninsule indienne. L’empire colonial français a manqué de peu d’en être le souverain absolu au 18ème siècle, si les anglais n’avaient pas gagné la bataille de Plassy en 1757. La fleur de lys puis le tricolore continueront néanmoins de flotter sur les comptoirs de Pondichéry, Karikkal, Mahé et Chandernagor. Le pouvoir français y favorise déjà les intérêts conservateurs de l’aristocratie hindoue de haute caste. Dans les années 50, ces villes sont rétrocédées à Nehru par la Quatrième République. L’illusion impériale perdure cependant.

Toute une partie de la bourgeoisie française est historiquement « indophile » pour avoir longtemps envoyé au sous-continent ses fils amiraux, missionnaires, archéologues, administrateurs coloniaux puis diplomates. Sous le gouvernement d’Indira Gandhi, alors que l’Inde est encore relativement alignée sur le bloc de l’Est, la première ministre cultive l’image d’une cheffe d’état francophone et francophile lors de ses visites à Paris. Dans les années 90, la néo-libéralisation du pays retire à l’Inde son statut de simple pays du « tiers-monde », et fait de l’État un partenaire inévitable pour l’Amérique du Nord et l’Union Européenne. Jokers anti-Pékin, Manmohan Singh puis Modi sont reçus à l’Elysée dans une continuité parfaite. Il faut souligner l’action de toute un groupe intermédiaire d’homme d’affaires franco-indiens entre Pondichéry et Paris, bien décidés à émuler leurs comparses de classe britanniques et nord- américains dans leur allégeance au BJP.

L’arrivée au pouvoir de Macron intensifie ce lien diplomatique. Son fondement est l’approvisionnement militaire de l’Inde, dans un moment crucial d’hégémonie régionale. Tandis qu’il impose la loi des armes au Kashmir, New Delhi essaie d’imposer celle de l’argent dans son espace de conquête géopolitique : l’Océan Indien. Sous la dynastie Gandhi, l’Inde a déjà tenter de s’imposer comme arbitre des Maldives et du Sri Lanka, avec le meurtre de Rajiv Gandhi comme échec cuisant. Plus au sud, l’île Maurice constitue une agence régionale naturelle en raison du pouvoir politique de la communauté indo-mauricienne.

En 1983, Indira Gandhi projette même d’intervenir militairement dans l’île dans le cas non-avéré d’une victoire de la gauche mauricienne, perçue comme pro-minorités et « anti-indienne ». Déjà sous Vajpayee, le BJP, par son traditionalisme hindou, réussit plus aisément à rallier la bourgeoisie indo-mauricienne et les communautés diasporiques de l’Océan Indien au projet régional de l’État sud-asiatique. Depuis 2014, New Delhi peut compter à la Réunion sur le soutien fidèle du Tamij Sangam, dont la présidence se positionne ouvertement en agent de l’extrême-droite indienne sur le territoire dit d’outre-mer. Bien qu’incertains, les projets de base militaire indiennes sur les territoires mauriciens et seychellois témoignent d’une volonté indienne de s’affirmer en gendarme de l’ouest de l’océan. À cela s’ajoute aussi une volonté de s’imposer commercialement au Kenya, en Tanzanie et au Mozambique. Mais c’est sans compter le dernier mot de Total, de l’armée française et du quai d’Orsay.

La visite de Modi ce 14 juillet est grave sur deux plans. Premièrement, c’est offrir encore plus de légitimité à un gouvernement criminel et toute l’idéologie suprémaciste hindouiste qui la nourrit. C’est l’entente entre deux islamophobies d’État dans un climat de répression continu. La visite de Modi entend approfondir la convergence des bourgeoises nationales des deux pays dans leur projets d’accumulation et d’exploitation. C’est, entre autre, l’élitisme de cette bourgeoisie indienne qui est ciblée par le programme « Bienvenue en France » au sein de l’université.

Deuxièmement, sous couvert de cordialité, cette visite est pour le gouvernement de Macron de réaffirmer sa puissance impérialiste, en rappelant au géant indien qui lui fournit ses armes, et qui reste le premier maître du canal du Mozambique comme du vaste territoire maritime qui l’entoure. Notre devoir révolutionnaire nous appelle à nous opposer pleinement à Modi, au BJP et à l’idéologie suprémaciste de l’Hindutva. Nous devons affirmer en profondeur notre solidarité aux forces d’opposition de l’Inde et de l’Océan Indien.


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