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Polarisation politique

Etat espagnol. Sans majorité absolue, vers un maintien du gouvernement Sanchez malgré sa défaite ?

Ce dimanche, les élections législatives anticipées en Espagne éloignent la perspective immédiate d’une arrivée au pouvoir de la droite et de l’extrême-droite. Dans un paysage politique fragmenté, Sanchez pourrait reconduire le gouvernement de centre-gauche s’il s’entend avec les indépendantistes. Dans le cas contraire, on s’acheminerait vers des nouvelles élections.

Gabriella Manouchki

26 juillet 2023

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Etat espagnol. Sans majorité absolue, vers un maintien du gouvernement Sanchez malgré sa défaite ?

Suite à la débâcle électorale de la gauche de gouvernement face à la droite et à l’extrême-droite aux élections municipales et régionales du 28 mai dernier, le premier ministre Pedro Sanchez, chef de file du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol), avait convoqué des élections législatives anticipées. Une manière de prendre les devants plutôt que de subir six mois d’usure supplémentaires, sur fond d’approfondissement de la crise économique. Alors que ces élections ont mis en place de nombreux gouvernements municipaux ou régionaux de coalition entre la droite et l’extrême droite, Sanchez espérait également profiter du refus de l’extrême droite.

Ce dimanche, alors que les sondages prévoyaient à l’unanimité une victoire du PP (Parti Populaire, droite traditionnelle, descendante du franquisme) et une avancée de Vox (extrême-droite), leurs résultats cumulés ne leur fournissent finalement pas de majorité absolue au Parlement. Cette situation ouvre la voie à une possible recomposition d’une coalition de centre-gauche au gouvernement, sur fond de forte polarisation sociale, mais en cas d’échec des négociations la convocation de nouvelles élections n’est pas à exclure.

Face à la droite et à l’extrême-droite, vers le maintien fragile d’un gouvernement de centre-gauche ?

Les résultats du scrutin sont inattendus. Alors que les sondages prévoyaient que le chef de fil du PP Alberto Nuñez Feijoo rafle jusqu’à 35% des voix et que l’extrême-droite renforce sa position, anticipant la mise en place d’un gouvernement PP-Vox à même de « tourner la page des années Sanchez », le résultat du scrutin est plus complexe.

Si le PP arrive effectivement en tête, gagnant 3 millions d’électeurs de plus qu’en 2019 avec 33 % des suffrages et 136 sièges au Parlement (sur 350), il est loin des 150 sièges attendus qui lui auraient permis de composer avec l’extrême-droite et les autres forces de la droite pour former un nouveau gouvernement. De son côté, Vox enregistre un recul avec 12,5 % des voix et 33 députés, soit 3 points et 19 sièges de moins au Parlement par rapport à 2019.

Il s’agit donc d’une « victoire amère » pour le leader de la droite, qui s’est contenté de commenter sans grande conviction : « En tant que candidat du parti ayant recueilli le plus de votes, je me chargerai d’essayer de former un gouvernement. Et je demande que personne n’ait de nouveau la tentation de bloquer l’Espagne ». En ce début de semaine, les dirigeants du PP demandent au PSOE qu’il s’abstienne sur l’investiture pour permettre à la droite de gouverner, agitant dans le même temps qu’un gouvernement de droite serait le seule légitime. Une manœuvre désespérée qui a très peu de chances d’aboutir. De son côté, le dirigeant d’extrême-droite Santiago Abascal s’est annoncé dimanche soir « prêt à jouer l’opposition ou la répétition des élections ».

A l’inverse, alors que les prévisions le donnaient perdant de ces élections, le PSOE réalise un score qui s’apparente presque à une victoire pour Pedro Sanchez, premier ministre sortant. Avec 32 % des voix et 122 sièges, soit deux députés et 900 000 voix de plus qu’en 2019, le parti socialiste se maintient en force pour tenter de recomposer un bloc de coalition à gauche. Cette sorte d’anomalie européenne social-démocrate se comprend grâce au soutien de la plateforme Sumar (front composé des différents partis à gauche du PSOE dont Izquierda Unida et Podemos) qui a obtenu un score quasi similaire à celui de Unidas-Podemos il y a quatre ans, avec 31 sièges.. Ce sauvetage de la prétendue « gauche radicale » se fait au prix d’importants reculs sur le programme, au cours d’une campagne menée par la ministre Yolanda Diaz, responsable de la dernière loi travail qui a renforcé la précarisation.

Le soir du scrutin, Pedro Sanchez affichait donc une position triomphaliste, annonçant devant le siège du parti ce dimanche : « Le bloc de la réaction, du recul, qui voulait supprimer les avancées obtenues ces quatre dernières années, a échoué ». Et la foule de ses soutiens d’entonner le slogan antifasciste hérité de la révolution espagnole de 1936 : « No pasaran ! »

Pourtant, la reconduction du gouvernement de centre-gauche n’est à l’heure actuelle pas une certitude. Avec 153 sièges cumulés pour PSOE et SUMAR, on est loin des 176 pour obtenir une majorité. La gauche devra donc compter sur le soutien des différentes formations indépendantistes comme ERC (Gauche républicaine de Catalogne), EH Bildu (parti de la gauche indépendantiste basque), ou le BNG (Bloc nationaliste galicien), et sur l’abstention des indépendantistes catalans de droite de Junts. Pour être reconduit comme Chef de Gouvernement, Pedro Sanchez a en effet besoin d’obtenir la majorité relative au Parlement, et donc de cumuler un nombre de soutiens supérieur au nombre de rejet lors de l’investiture. La clé du gouvernement espagnol se trouve donc en Catalogne et d’intenses négociations sont en cours. Pour l’instant Junts demande l’amnistie des 4000 indépendantistes poursuivis en justice et un referendum sur l’autodétermination de la Catalogne, ce que le PSOE, fervent soutien de la Constitution qui refuse ce droit aux catalans, ne compte pas accepter.

Si la situation de blocage se poursuit et que ni le PP ni le PSOE n’obtiennent l’investiture, on se dirigerait vers de nouvelles élections. Quoi qu’il en soit, même si Sanchez réussit à trouver un accord avec les indépendantistes, son futur gouvernement s’annonce particulièrement instable et précaire. Alors que la droite et l’extrême-droite ont prospéré sous le gouvernement de coalition Podemos/PSOE, le maintien du même attelage gouvernemental n’offre aucune perspective pour lutter contre les avancées des idées et des forces réactionnaires.

« No pasaran » ? Une forte polarisation sociale quelle que soit l’issue des élections

L’élection du 23 juillet est en effet l’expression d’une très forte polarisation sociale qui promet de mettre en difficulté le prochain gouvernement. Alors que la crise économique frappe toujours plus durement les travailleurs et les secteurs populaires, si la logique du « moindre mal » bat son plein pour « éviter le pire », l’adhésion de la population au maintien du statu quo défendu par les deux partis traditionnels du régime est loin d’être acquise.

Dans des témoignages illustratifs relevés par Le Monde lors du scrutin, cette polarisation est palpable : d’un coté on vote PP car « [Sanchez] ne pouvait pas faire pire. Il a divisé les Espagnols et provoqué un affrontement comme jamais, en blanchissant des terroristes et des sécessionnistes [les Basques ou les Catalans, axe d’offensive de la droite dans la campagne] » ; de l’autre on vote PSOE « pour freiner la montée de l’extrême droite et les risques de perdre des droits pour les femmes et les collectifs LGBT » ; d’autres encore votent blanc ou nul : « Je ne me sens représentée par aucun part. J’ai la sensation que tous ne nous conduisent qu’à la bagarre au lieu de défendre un programme qui permette à la société d’avancer ensemble ». Des témoignages qui illustrent une tendance à voter « contre » plutôt qu’à voter « pour », et préfigurent la teneur des conflits qui ne manqueront pas d’agiter les années à venir, que ce soit sous un gouvernement de gauche ou de droite. Car si la société se divise, ce n’est pas de la faute de tel ou tel politicien, mais bien parce que la crise économique, sociale et politique tend encore davantage les intérêts contradictoires entre la bourgeoisie et les travailleurs. Une opposition déformée par la démagogie de l’extrême droite avec ses boucs émissaires classiques (les LGBT, les migrants, les femmes, les nationalités autonomes) et par la gauche qui explique aux classes populaires qu’ils trouveront leur salut dans l’Etat monarchique.

Dans ce contexte, si le PSOE de Pedro Sanchez et Sumar de Yolanda Diaz crient à la victoire face au recul relatif de Vox, il faut rappeler ce que représentent les avancées de la droite et de l’extrême-droite dans les institutions. Alors que 3 millions d’électeurs supplémentaires ont apporté leur soutien au PP qui gouverne déjà avec l’extrême-droite dans de nombreuses municipalités et régions, le recul relatif de Vox correspond principalement à un transfert de voix des électeurs d’extrême-droite vers la droite dans une logique de « vote utile » et de radicalisation du parti de droite. Comme l’écrivaient les militants du Courant Révolutionnaire des Travailleurs dans La Izquierda Diario au lendemain des élections de mai : « Le renforcement du pouvoir institutionnel de la droite est énorme. Il faut remonter à 2011 pour voir une carte aussi teintée de bleu [couleur du PP], même si, à cette occasion, le vert du parti d’Abascal [Vox] s’y est mêlé. Le programme réactionnaire du PP et de Vox représente une menace sérieuse pour la classe ouvrière, les secteurs les plus pauvres et les droits des femmes, des personnes LGTBI et des immigrés. Un programme qui vise à promouvoir la précarité au travail, l’autsérité, le renversement des acquis démocratiques et une ligne autoritaire contre toute dissidence, qu’elle soit indépendantiste ou de lutte sociale. ». Le succès d’un tel programme a été largement alimenté par une campagne médiatique réactionnaire très offensive du PP et de Vox contre le « sanchisme », les « terroristes » auxquels Sanchez serait prétendument allié ou encore contre le « lobby LGBT ». Mais, plus profondément, elle repose principalement sur le dégoût des politiques menées par les gouvernements de coalition « de gauche » Sanchez-Iglesias puis Sanchez-Diaz.

En effet, les nouvelles promesses électorale du PSOE et de Sumar comme les quelques miettes symboliques distribuées pour coopter dans les institutions le mouvement féministe et le mouvement LGBT ne feront pas oublier, comme le rappelle l’économiste Michel Roberts, que c’est sous leur gouvernement que la crise du Covid a été gérée de manière catastrophique ; que les salaires réels ont depuis chuté dans les pires proportions d’Europe ; que l’inflation à deux chiffres a été la plus forte d’Europe après celle du Royaume-Uni.

La politique de ceux qui se présentent aujourd’hui comme un « rempart face à l’extrême-droite » a été d’arroser le grand patronat d’argent public tout en précipitant les travailleurs, la jeunesse et les secteurs populaires dans la précarité, notamment avec une loi travail et une réforme des retraites au service de la bourgeoisie néolibérale. À ce bilan dramatique, il faut ajouter les nombreuses politiques répressives et racistes menée par les derniers gouvernements de coalition, de l’arrestation des indépendantistes à la répression des manifestants et des grévistes, en passant par le massacre à la frontière de Mellila et le militarisme forcené de l’État espagnol, qui a fait de ce gouvernement de gauche le bon élève de l’OTAN. Comme nous le rappelions peu avant les élections : « Dès lors la menace de la droite et de l’extrême droite ne sort pas de nulle part : la politique du gouvernement actuel lui a pavé la voie. Pour des millions de travailleurs, impossible donc de faire confiance à cette « gauche ». »

Alors que le PSOE espère pouvoir se maintenir au pouvoir avec l’aide de la prétendue « gauche radicale » de Sumar, l’expérience des trois dernières années de coalition ont démontré qu’un tel gouvernement ne représenterait en aucun cas un rempart aux politiques réactionnaires et à la montée de l’extrême droite. Seule une politique de classe, en indépendance de la gauche bourgeoise et des institutions de l’Etat, pourra riposter face aux politiques de droite, quels que soient le parti de ceux qui les appliquent, pour empêcher que les travailleurs paient pour l’inflation et l’austérité, et que les migrants subissent la répression impérialiste qui fait rage aux portes de l’Union Européenne.


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