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Crise au Sahel : 5 clés pour comprendre la crise de l’impérialisme français

Mali, Burkina Faso, Niger, les coups d’État récents au Sahel et la crise qui s’est ouverte autour de l’ambassade française à Niamey viennent confirmer la contestation de la France dans son pré-carré historique. Une situation qui oblige à lutter pour une perspective politique anti-impérialiste et révolutionnaire.

Julien Anchaing

7 septembre 2023

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 Crise au Sahel : 5 clés pour comprendre la crise de l'impérialisme français

Crédits photo : JeanbaptisteM - Flickr

La crise actuelle au Niger interroge sur la profondeur du recul international de la France dans son pré-carré historique. Les récentes mobilisations devant la base militaire de Niamey sont une démonstration de la colère profonde qui existe de la population contre la domination de la France, contrairement à ce que cherche à expliquer la presse internationale en n’y voyant que des militants « pro-junte ». Devant une période d’accélération des tendances à l’affrontement entre grandes puissances dans le monde, la France est rattrapée par sa réalité -et sa fébrilité- : elle pourrait être rétrogradée dans la hiérarchie des puissances mondiales. Le point d’exergue de cette crise se centre tout particulièrement au Sahel, mais pourrait s’élargir très rapidement vers les pays du littoral ouest-africain dont les régimes sont traditionnellement proches de l’impérialisme français. C’est d’autant plus un problème, car c’est sur la domination du continent où la France est le plus remise en question aujourd’hui que s’appuyait un des deux piliers de son rayonnement international (avec l’arme nucléaire) depuis la seconde guerre mondiale. Revenons sur quelques facteurs qui expliquent ce phénomène.

1. Serval, Bakhane : Un échec militaire cuisant

En 2011, la France est dans une position offensive en Afrique. Elle intervient en Côte d’Ivoire, militarise le pays, défend ses intérêts, et place Alassane Ouattara comme son nouveau pion local avec l’appui d’une partie des classes dominantes ivoiriennes. L’explosion de la lutte des classes, tout particulièrement en Libye, pousse la France en première ligne de l’OTAN pour éviter une déstabilisation de ses intérêts au sein du pays. Coopter une partie de la résistance libyenne, quitte à se défaire du gouvernement de Kadhafi pour se distribuer les marchés juteux de Libye, stabiliser les intérêts sécuritaires de la France dans sa zone méditerranéenne... Contrairement au récit habituel sur la place de la France en Afrique, elle ne s’explique cependant pas seulement par des raisons uniquement économiques et de spoliation de ressources : la France voit dans son pré-carré la défense de sa position de grande puissance dans le monde en tant que gendarme prêt à écraser tout phénomène qui pourrait pousser à une déstabilisation des puissances impérialistes dans la région, tout en assurant ses affaires et en se positionnant comme intermédiaire obligé pour les autres puissances.

Comme toute intervention de « stabilisation », les multiples interventions françaises n’ont évidemment fait que déstabiliser la région. En 2013 (Serval) puis 2014 (Barkhane), la France lance sa plus grande opération extérieure depuis la Chute du Mur avec à son pic près de 8000 soldats présents dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. L’argument central utilisé pour justifier cette opération et sortir de l’ombre ses hommes secrètement installés à Bamako n’est autre qu’une pure invention de l’État-Major français, main dans la main avec la presse : la fameuse théorie du complot des « lignes » de djihadistes sur Bamako. Il en reste qu’après neuf ans d’opération (plus longue donc que la Guerre d’Algérie !) la France s’est enlisée. Selon la Armed Conflict Location and Event Data Project plus de 23 500 civils ont été tués au Mali, au Burkina Faso et au Niger depuis 2015 : le nombre de déplacés intérieurs à leur propre pays a quadruplé (!) pour atteindre 1.4 millions de personnes. Emmanuel Macron affirmait avec son mépris habituel (allant jusqu’à vexer l’habituel pro-occidental Jeune Afrique) que sans la France « il n’y aurait sans doute plus de Mali, plus de Burkina Faso. Je ne suis même pas sûr qu’il y aurait encore le Niger ». Au-delà de l’arrogance caractéristique de la France en Afrique, la réalité est toute autre : quel Mali, quel Burkina Faso et quel Niger restent-ils aujourd’hui après des années d’affrontements civils et militaires ? La déroute de la France s’explique d’abord par les conséquences dramatiques de ses aventures militaires sur les populations locales.

2. Une mobilisation de masse appuyée par une colère contre la domination

« Sentiment anti-français » est le nouveau « Sanglot de l’homme blanc » : pourquoi la France se justifierait-elle d’avoir « donné de soi » tant de temps pour stabiliser un région où elle n’aurait pas d’intérêt, argumentent les vassaux de la Françafrique ? Il en reste que les maliens, les sénégalais, les tchadiens et les nigériens qui se mobilisent contre les grandes enseignes françaises comme Total ou Carrefour et demandent le retrait des troupes militaires françaises de Niamey ne le font pas parce qu’ils n’aiment pas la culture française : nous parlons là de siècles de domination par la France qui ne se sont jamais terminés, et ce malgré la décolonisation.

Si on devait faire un résumé rapide des raisons qui agitent la colère : le Franc CFA, toujours édité par la Banque de France, qui donne un droit de regard de la France sur les politiques monétaires de quatorze pays de la région ; une armée qui se comporte comme des gendarmes d’une force d’occupation ; un quasi-monopole sur la production, l’exploitation et la vente des ressources et l’utilisation des infrastructures du pays (uranium !) alors que 60% de la population nigérienne n’a pas accès à l’électricité ; des pays tellement écrasés par une économie de la spoliation et de la rente des matières premières qu’ils se placent sur les pires marqueurs de développement humain au monde (Mauritanie 161ème, Burkina Faso 182ème, Mali 184ème, Niger, bon dernier, 189ème au monde en terme d’IDH) ; l’adoubement des dictateurs et des « démocrates-dynastiques » (cherchez la différence) par le président français comme avec le fils Déby ; des « frappes chirurgicales » qui touchent un mariage !… La liste pourrait être élargie mais le concept est déjà explicite : il y a toutes les raisons de détester la domination et l’impérialisme français quand on est une travailleuse ou un travailleur, chômeur, paysan, étudiant et que l’on vit dans un pays dominé par la France. Les récentes mobilisations face à la base militaire de Niamey nous montrent en tout cas quelque chose de central : les masses peuvent imposer un rapport de force face à l’impérialisme.

3. Une partie de l’armée qui cherche à multiplier ses partenaires

D’Assimi Goïta à Ibrahim Traoré, Abdourahamane Tiani, des « jeunes colonels » aux sexagénaires de la garde présidentielle, la « ceinture » des coups d’États cache des réalités très différentes en fonction des pays. Il en reste qu’on peut trouver des éléments de comparaison à chacun d’entre eux. D’abord, le fait qu’une partie de l’État, de l’armée, et des bourgeoisies africaines, ne voient plus dans la France le seul partenaire stratégique possible afin de résoudre les problèmes de crise interne au pays. La mobilisation des forces de Wagner au Mali est une démonstration de la recherche par une faction de l’armée de vouloir changer de méthode dans la répression des mouvements dits « djihadistes » ou d’opposition dans le pays. D’autres préféreraient se tourner vers des négociations, logique absolument refusée par la France qui considère qu’elle ne négocie pas avec les « terroristes ». Pourtant, la France a joué un rôle central dans l’édification et le renforcement des appareils militaires du Sahel : financement massif, obligation à augmenter les budgets militaires, formation des officiers...si l’armée a pris la place qu’elle a aujourd’hui au Niger, la France y est pour beaucoup.

Ces secteurs de l’armée voient dans l’affaiblissement de la France et dans la prise de poids de nouveaux partenaires (Chine, Turquie, Russie, mais aussi Allemagne ou États-Unis) l’opportunité de s’appuyer sur la colère des masses populaires pour négocier de meilleures conditions géopolitiques et une domination moins flagrante. Si personne n’a de doute sur le fait que les « démocraties » comme celle défendue par la France de Mohammed Bazoum n’étaient que des simulacres visant à défendre les intérêts français et des bourgeoisies africaines, les coups d’États actuels ne sont pas une alternative progressive : ces secteurs de l’armée voient dans les classes populaires une simple marge de manœuvre pour négocier leur rapport aux institutions internationales et s’insérer dans les évolutions actuelles des tendances géopolitiques.

4. Une menace d’intervention remplie de contradictions

La situation en Afrique de l’Ouest aujourd’hui apparaît largement divisée entre deux blocs : d’un côté, la Cédéao, se porte comme défenseur légitime des intérêts des puissances impérialistes dans la région, de l’autre, les États de la zone des trois frontières cherchent à construire une logique de blocs pour se défendre face à une potentielle intervention impérialiste avec une logique simple. La France (contre l’Union Européenne et même les États-Unis) pousse à une intervention de la Cédéao car elle ne peut pas tolérer un tel recul dans son pré-carré historique : humiliation de son ambassadeur ; soldats français entourés par des milliers de Nigériens demandant leur départ ; remplacement des soldats français par Wagner au Mali… L’image internationale de la France, déjà largement frappée hors du pré-carré (sous-marins australiens, Aukus, « autonomie stratégique » dont elle est la seule à vouloir) est désormais prise dans un ouragan de colère dans une région dans laquelle, quelques années auparavant, ses soldats étaient applaudis par la population et l’opposition malienne.

Les faiseurs de guerre comme Catherine Colonna ou Emmanuel Macron n’ont cependant peut-être pas tout à fait compris que nous ne sommes plus en 2011 quand la France intervenait pour installer Alassane Ouattara au pouvoir en Côte d’Ivoire et que la situation a changé : au Sénégal, des mobilisations massives traversent le pays tous les ans contre Macky Sall ; au Nigeria, le Sénat s’oppose à l’intervention de la Cédéao ; au Tchad, la fébrilité est telle que le moindre événement pourrait faire exploser la situation contre le fils Déby. En d’autres termes, la France et ses alliés régionaux pourraient être très vite rattrapés par leurs contradictions internes. L’intervention de la Cédéao pourrait ouvrir les portes à des courants profondément réactionnaires et un massacre de masse entre le Nigeria et le Niger, mais elle pourrait aussi déclencher une crise historique pour les régimes encore « stables » de la zone.

5. A bas l’impérialisme ! A bas la Françafrique !

On l’aura compris : la France ne joue qu’un rôle réactionnaire dans les pays qu’elle domine. Elle est une puissance qui malgré ses piliers encore stables (CFA, exploitation de ressources, poids militaire) connaît un revers tel qu’il pourrait entraîner des conséquences très graves sur le régime de la Ve République, historiquement constitué autour de la défense de la place politique et militaire de la France dans le monde. Il ne reste que pour construire une alternative qui soit progressiste, la première des tâches du mouvement ouvrier et des organisations politiques qui se revendiquent de la classe ouvrière va être l’opposition la plus totale à la potentielle intervention de la Cédéao au Niger.

Les récentes mobilisations au Niger contre l’armée française ont montré que les masses populaires et la classe ouvrière nigérienne peuvent ouvrir la voie à une lutte de front contre l’impérialisme français. Une condition à cela n’est autre qu’une intervention réelle de la classe ouvrière et des classes populaires de manière totalement indépendante des intérêts de la junte militaire actuelle. La solidarité que pourrait exprimer la classe ouvrière française contre une telle intervention pourrait être un point d’appui essentiel pour en finir avec la Françafrique et ouvrir les voies d’une issue véritablement progressive : la fin de la domination Française, le retrait de toutes les troupes militaires étrangères de la région, l’expropriation de tous les grands groupes économiques et leur mise sous contrôle ouvrier dans les intérêts de la population, le monopole du commerce extérieur, seront entre autres, les critères qui permettraient de conquérir une véritable voie vers l’autodétermination nationale qui ne peut être garantie que dans le cadre d’un gouvernement des travailleurs et d’un État socialiste.


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