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Casse du service public

Colère des contrôleurs à Toulouse : « Nous voyons notre métier progressivement disparaître »

Depuis l’été, la direction régionale de la SNCF impose aux chefs de bord des heures d’accueil devant les guichets de la gare Matabiau. Il s’agit d’un premier pas vers la création d’un métier unique pour les agents commerciaux, qui impacte tant leurs conditions de travail que la qualité du service proposé aux usagers.

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Colère des contrôleurs à Toulouse : « Nous voyons notre métier progressivement disparaître »

Crédit image : Archive médiathèque SNCF. Guichets informations réservations dans le hall de la gare de Toulouse-Matabiau en 1983

Profitant de l’effet « gueule de bois » après la longue grève du printemps contre la réforme des retraites, ainsi que des départs en vacances estivaux, la direction régionale de la SNCF à Toulouse a imposé durant l’été une attaque sans précédent aux agents commerciaux de TER. Voilà plusieurs semaines que les agents de service commercial à bord des trains (ASCT ou contrôleurs) sont tenus de compléter certaines de leurs journées de travail à l’espace de vente (ou NES, Nouvel Espace Service) de la gare Matabiau.

« Un peu sur le modèle des CPAM ou de Pôle emploi, les voyageurs doivent retirer un ticket et attendre qu’on les appelle à un comptoir pour traiter leur demande, explique Charlotte*, contrôleuse TER concernée par la mesure. « Dans ce contexte, il nous est demandé de nous positionner dans le hall d’entrée et d’aller à la rencontre des personnes dans la file d’attente pour leur demander la raison de leur venue. Dans la plupart des cas, nous leur remettons un ticket et leur demandons de patienter jusqu’à ce que leur numéro soit appelé. »

Ces nouvelles fonctions ont été imposées aux agents sans formation supplémentaire. Elles vont de pair avec la fermeture de plusieurs guichets lors de la rénovation de la gare de Toulouse. C’est ce que déplore Charlotte : « Je regrette que l’espace de vente qui comptait autrefois une quinzaine de comptoirs à Toulouse, en compte aujourd’hui moitié moins. Alors même que la gare ambitionne de doubler sa fréquentation. Pour moi cette décision de la direction est incompréhensible. Elle permet sans aucun doute de réaliser des économies, mais ce que nous gagnons d’un côté, nous le perdons de l’autre en provoquant le mécontentement de nos clients. Cela en vaut il la peine ? Depuis l’inauguration du NES, il n’est pas rare d’observer une file d’attente pouvant aller jusqu’au milieu du parvis, avec des personnes contraintes d’attendre en plein soleil ou sous la pluie. Je trouve cela inacceptable. Ce que je constate c’est que la fréquentation dans nos trains augmente, et on peut s’en réjouir, mais dans le même temps, les services en lien avec le ferroviaire diminuent en gare, au profit de boutiques et de restaurants. Les gares sont devenues de véritables centre commerciaux. »

Elle pointe également les particularités de chaque métier, qui nécessitent des formations spécifiques, et se solidarise avec les agents d’escale et de la vente, dits « sédentaires » par opposition aux « roulants » à bord des trains : « Face à une affluence croissante, nos collègues ont commencé à être dépassés et ont alerté la direction, qui au lieu de rétablir un nombre correct de vendeurs a préféré placer des agents du bord à l’accueil pour trier et expédier encore plus rapidement les demandes. C’est une fausse solution. L’escale et la vente sont des métiers à part entière et ils doivent le rester. Je ne crois pas à cette idée de métier unique, qui voudrait que n’importe quel agent devrait être interchangeable avec un autre. »

Des contrôleurs au guichet et des trains sans contrôleurs

Fabien*, son collègue, partage le même constat : « Étant Agent de Service Commercial à bord des Trains (ASCT), je suis habilité à assurer des missions à bord d’un train. Je reste à la disposition du voyageur depuis le quai de sa gare de départ jusqu’à sa gare d’arrivée. À aucun moment j’ai été formé pour assurer des missions en gare, notamment dans un espace de vente. D’autre part, si la Direction estime que les ASCT n’en font déjà pas assez, il est à noter qu’elle préfère nous envoyer en gare pour réaliser des missions qui ne sont pas les nôtres plutôt que de faire circuler un train avec un ASCT à son bord. (Aujourd’hui, encore de trop nombreux trains en Occitanie roulent sans ASCT, ce qui peut poser des problèmes de sécurité et de sûreté notamment). Chaque métier a ses caractéristiques, ses particularités et nécessite une formation spécifique. »

« Je suis opposée à ce que l’on attribue ce type de missions à des agents formés et habilités pour travailler à bord des trains alors même que l’on voit aujourd’hui des trains circuler sans contrôleur », appuie Charlotte. « C’est une aberration. Et du gaspillage de ressources. En tant qu’ASCT, nous avons bien sûr une posture de service, mais nous l’exerçons en parallèle d’autres missions telles que la sécurité, veiller à la sûreté des personnes à bord et la sauvegarde des recettes. C’est cet ensemble qui constitue notre cœur de métier et nos compétences spécifiques en tant que roulants. Et ces compétences nous sommes avant tout formés pour les mobiliser à bord. Remettons des agents du sol en gare et les ASCT dans les trains. »

En effet, l’idée même de placer des agents de bord à l’accueil est corrélée à la mise en place de matériel « équipé agent seul » (EAS) qui permet à la SNCF de faire rouler des trains avec uniquement un agent à bord : le conducteur. Francky*, conducteur TER à Toulouse, n’est pas dupe. « Les collègues ne seront plus en mesure de travailler et nous nous retrouverons seuls à bord des trains en délaissant totalement les voyageurs. Ces derniers n’auront plus le service public qu’ils payent en achetant leur billet et surtout qui leur est dû ! » Il ajoute que l’entreprise recrute de plus en plus via des contrats précaires des agents de bord non formés aux risques ferroviaires et qui n’ont « aucune réelle fonction de sécurité » : « En cas de problèmes et d’arrêt en pleine voie les voyageurs n’ont aucun soutien et aucune considération de ces agents, dépassés et non formés pour affronter ces situations. »

A ce propos, le souvenir est encore vif quant au cauchemar vécu en 2019 par un conducteur seul à bord d’un TER dans les Ardennes, qui avait conduit de nombreux cheminots à exercer leur droit de retrait.

Un « métier unique » qui masque des suppressions de poste, une dégradation des conditions de travail et le mépris des usagers

Fabien explique que les heures supplémentaires passées à l’accueil ont un impact direct sur ses conditions de travail et sur le service fourni : « Nous travaillons constamment en horaires décalés, ne dormons pas chez nous plusieurs soirs par semaine et on nous demande d’aller faire de l’accueil au NES en retour de découché (nuit passée hors du domicile). On cherche à multiplier nos missions au détriment de la qualité de service attendue. C’est inacceptable. » C’est notamment ce mal-être au travail qu’avaient mis à nu les ASCT massivement mobilisés à l’hiver dernier, à l’appel d’un collectif qui avait émergé en dehors de toute organisation traditionnelle.

Avec Charlotte, ils comprennent le désarroi des usagers : « Tout le monde n’a pas accès ou n’est pas à l’aise avec le numérique. Tout le monde n’a pas de carte bancaire. Et il y a une infinité de situations dans lesquelles ces outils ne sont d’aucun secours. C’est pourquoi ils doivent coexister avec l’humain et non pas le remplacer, comme cela semble être la tendance. »
« Nous partageons leur déception et leur colère =, » ajoute Fabien. « Nous voyons notre métier progressivement disparaître et ceux de nos collègues être remplacés par des machines. »

Pour les ASCT, la solution est simple. « Nous devons nous battre pour obtenir davantage de guichets, » martèle Charlotte. « Ce n’est pas aux roulants de rattraper les conséquences des choix désastreux de la direction de réduire le nombre de guichets. »

Fabien va dans le même sens en expliquant que selon lui, « une mobilisation massive doit être organisée d’urgence entre les différents services pour une amélioration franche et nette de nos conditions de travail. Il faut que chacun se mobilise pour qu’on fasse entendre à l’unisson que ce poste nécessite des qualifications et une formation qui n’est pas la nôtre. Du personnel compétent doit être recruté pour assurer ces missions d’accueil et de vente en gare. »

Face à une direction qui fait la sourde oreille, une seule solution : la grève et l’auto-organisation

Depuis la mise en place de cette mesure, les syndicats (Sud, CGT, UNSA et CFDT) ont déclenché unitairement plusieurs demandes de concertation immédiate avec la direction, mais ces négociations n’ont abouti sur rien.

« Le dialogue avec l’entreprise s’est soldé par un passage en force, comme toujours, » atteste Francky. « Malheureusement, il faudrait principalement que la direction se reconnecte avec la réalité du terrain pour comprendre la dangerosité de leurs nouvelles idées. Ils devraient venir constater par eux-mêmes les problématiques que nous subissons toutes et tous afin de prendre conscience que leurs idées sur papier ne sont malheureusement pas adaptées au monde réel ; et que les agents qui émettent des réticences face à ces projets destructeurs ne font pas des caprices mais ont bel et bien des craintes pour leurs vies. Étant donné que cette solution, qui me paraît la plus adaptée, ne sera jamais mise en pratique il ne reste plus qu’aux agents d’exprimer leur mécontentement par la grève qui constitue le seul moyen d’être entendu. »

A la suite des concertations, l’intersyndicale a déposé des préavis de grève de 59 minutes, permettant de couvrir les deux créneaux d’accueil sur lesquels les contrôleurs sont sollicités. « J’ai tenu à expérimenter l’accueil au NES une fois pour me faire ma propre opinion, » témoigne Charlotte. « Et je n’ai pas été convaincue. Alors désormais, je serai gréviste à chaque fois qu’on m’enverra au NES. J’espère que la mobilisation sera forte et que nous obtiendrons gain de cause comme cela a été le cas pour nos collègues de Montauban. Nous devons former un bloc uni et nous concerter pour montrer à la direction que cette contestation n’est pas simplement une addition d’actions isolées mais un mouvement structuré. »

Ainsi que l’évoque Charlotte, des mouvements de grève similaires dans la région, notamment à Montauban en 2020, ont déjà permis de faire supprimer des créneaux d’accueil en gare qui étaient alors imposés aux agents de la résidence. Comme le rappellent les cheminots que nous avons interviewés, seule la solidarité des agents concernés et une mobilisation massive permettra de faire reculer la direction. Mais ce mouvement de grève doit également s’organiser à la base, dans le sens de ce que propose Charlotte : « Je souhaiterais dans un premier temps que soit organisée une réunion pour tous les ASCT dans laquelle nous pourrions partager nos ressentis et expériences. »

Et afin de se lier aux autres secteurs, notamment les conducteurs et les agents d’escale et de vente, mais aussi pour faire le lien avec les usagers, il est nécessaire que la mobilisation s’élargisse autour des revendications suivantes : fin de l’EAS, il faut des agents à bord de chaque train ! Réouverture des petites gares et des guichets, valorisation des métiers de la vente et de l’escale !

*Tous les prénoms des cheminot·e·s interviewé·e·s ont été modifiés.


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