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Crise inédite

Allemagne : agriculteurs et cheminots font front et bloquent une partie du pays

En Allemagne, les blocages des agriculteurs et la grève des cheminots paralysent une partie du pays depuis lundi. Alors que les prix du carburant et la question des salaires ont été la goutte de trop, le gouvernement d’Olaf Scholz craint aujourd’hui la massification et l’extension de la mobilisation.

Tristane Chalaise

12 janvier

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Allemagne : agriculteurs et cheminots font front et bloquent une partie du pays

Crédits photos : imprimes écrans Twitter.

En Allemagne, une nouvelle crise s’annonce pour le gouvernement d’Olaf Scholz. Depuis lundi, les routes de Berlin, mais aussi de Dresde, Munich, ou encore Cologne, sont bloquées par les agriculteurs en colère, rejoints par les transporteurs et les routiers. Dans le même temps, les cheminots sont entrés en grève ce mercredi, mettant quasiment à l’arrêt le trafic ferroviaire. Une situation de crise inédite dans le pays, où, dans un contexte d’inflation, le gouvernement est confronté à l’accumulation des colères face à ses politiques d’austérité.

L’augmentation des prix du carburant, « la goutte de trop » pour les agriculteurs et les routiers

Dès ce lundi, plusieurs centaines de manifestations ont eu lieu à travers le pays et dans les principales capitales régionales, provoquant le blocage des grands axes de circulation. A Berlin, la presse estime que c’est entre 600 et un millier de tracteurs et de véhicules agricoles qui ont bloqué la ville, rejoints par des transporteurs, des routiers, et même des artisans.

En cause, l’annonce, mi-décembre, de la suppression des allègements fiscaux sur le carburant agricole et sur les tracteurs. D’après l’association des petits-producteurs allemands (VKMB), le manque à gagner s’élèverait en moyenne à 2 500 euros par an, dans un secteur déjà marqué par la crise. Ainsi, pour Christoph, producteur de pommes de terre, « C’est la goutte de trop, et maintenant les routiers aussi rejoignent le mouvement. », tandis que pour Meike Mieke, agricultrice membre de l’Association des agriculteurs du Brandebourg citée dans La Croix, « C’est le couronnement d’une série de restrictions imposées sur un secteur qualifié d’« importance systémique », mais à qui on en demande toujours plus. […] Il est injuste de faire des économies sur le dos d’un secteur qui agit sur autant de terrain et qui ne peut pas attirer de jeunes vu le faible niveau des rémunérations. »

Salaires face à l’inflation, conditions de travail : les cheminots de la Deutsche Bahn en grève depuis mercredi

Parallèlement à la mobilisation des agriculteurs et des transporteurs routiers, celle des cheminots a conduit à la mise à l’arrêt d’une partie du pays depuis mercredi. Elle fait suite à l’échec des négociations entre les syndicats et la Deutsche Bahn, équivalent allemande de la SNCF. Alors que la grève a été votée à 97 % lors de la consultation organisée par le syndicat des conducteurs de trains (GDL), c’est 80 % des trains qui sont aujourd’hui annulés, vidant des gares entières et conduisant le gouvernement à appeler au télétravail.

Après de premières journées de grève en novembre et en décembre, la grève, lancée pour trois jours, porte sur les salaires, l’inflation et les conditions de travail, avec, entre autres, une augmentation 555 euros pour toutes et tous, la réduction du temps de travail de 38 à 35 heures par semaine et une prime de compensation de l’inflation de 3 000 euros. Une situation qui met d’autant plus le gouvernement sous pression que les conducteurs de trains de marchandise menacent eux aussi cesser le travail, et que les syndicats font planer la menace d’une grève illimitée.

Inflation, salaires et austérité budgétaire : une crise qui agrège les colères

La semaine de crise inédite que traverse le gouvernement allemand est ainsi le résultat d’une agrégation des colères, dans un pays qui, tout en étant la première puissance économique de l’Europe, est loin d’être épargné par l’inflation. En 2022, cette dernière a atteint des pics à plus de 11,6 %, contre 7,3 % en France, ce qui n’a pas empêché le gouvernement allemand de poursuivre ses politiques austéritaires, à l’instar de ses homologues européens.

Le gouvernement de coalition tripartite (SPD/Verts/Libéral) dirigé par le chancelier Scholz s’est engagé à respecter le « frein à la dette » inscrit dans la Constitution allemande depuis 2009, selon lequel le déficit budgétaire ne doit pas dépasser les 0,35 %. C’est suite à une décision du tribunal constitutionnel de Karlsruhe qu’il a supprimé les 920 millions d’euros alloués aux 254 000 exploitations agricoles du pays, mais aussi l’aide d’urgence pour réduire les factures de gaz et de chauffage des ménages et rétablit la TVA à 19 %, conduisant à une hausse des prix de l’énergie de 4,1 %, de l’essence de 1,7 % et du diesel de 6 %.

D’après un sondage réalisé pour le magazine Der Spiegel, 70 % des Allemands soutiendraient les demandes actuelles des agriculteurs sur les prix du carburant, tandis que les bouchers, boulangers, petits patrons du BTP qui ont rejoint les blocages manifestent aussi « contre les charges fiscales élevées, par exemple la levée du plafonnement des prix de l’électricité et du gaz et l’augmentation de la TVA (19 %) dans les restaurants ».

Le gouvernement Scholz entre crainte d’une « gilet-jaunisation » et crise du modèle « cogestionnaire » allemand

« Dehors la coalition ! », « L’Allemagne meurt et le gouvernement est son meurtrier ! » : le gouvernement apparait ainsi en première ligne sur plusieurs pancartes portées ce lundi par les manifestants. Alors que Scholz est déjà le chancelier dont la cote est au plus bas depuis la fin des années 1990, la popularité de la mobilisation des agriculteurs, qui ouvre à des revendications plus larges contre le gouvernement, combinée à la grève à la Deutsch Bahn, fait souffler un vent de panique sur la coalition.

Plusieurs article de presse évoquent ainsi une possible « gilet-jaunisation » en Allemagne, en faisant à grands traits le parallèle entre le mouvement des Gilets Jaunes en France, qui a rassemblé des dizaines de milliers de personnes après l’augmentation des prix du carburant, et les manifestations des agriculteurs, qui ont aussi pour point de départ le prix de l’essence et connaissent une certaine popularité. Si la mobilisation en Allemagne ne peut pour l’heure être comparé au mouvement des Gilets tant ils diffèrent sur de nombreux points que ce soit en termes de composition sociale ou de radicalité, cette crainte révèle la panique gouvernement allemand qui craint une extension et une radicalisation du mouvement – que ce soit par l’agrégation de nouveaux secteurs aux blocages, ou à l’image des agriculteurs qui ont, le 4 janvier, tenté de prendre d’assaut le ferry du ministre de l’économie.

De même, la grève des cheminots est un coup dur pour le gouvernement. Comme le pointent Les Echos « l’ampleur du conflit est particulièrement frappante dans un pays où la cogestion et les compromis entre partenaires sociaux font figure de valeurs partagées ». En Allemagne, les directions syndicales sont en effet encore davantage intégrées aux processus de direction et de négociation au sein des entreprises, et jouent un rôle de contention d’autant plus fort. L’existence d’une grève majoritaire marque ainsi un coup dur à la fois pour la Deutsche Bahn, pour le gouvernement, mais aussi pour les directions syndicales de l’EVG, syndicat majoritaire du rail, qui, en août, avait signé un accord pour une augmentation des salaires de 11 %... répartie sur deux ans et aujourd’hui dénoncée par les salariés. Dimanche dernier, la Deutsche Bahn a entamé un recours pour tenter d’empêcher la grève, pour l’instant sans succès.

La mobilisation révèle ainsi l’agrégation des colères contre le gouvernement Scholz. Face à cette crise, plusieurs témoignages pointent des tentatives de l’extrême-droite de s’insérer dans le mouvement, pour canaliser la colère sur un terrain réactionnaire. Dimanche, dans un entretien au tabloïd Bild que rapporte Le Monde, le président de la Fédération allemande des agriculteurs préfère prévenir : « Nous ne voulons ni de l’extrême droite ni d’autres groupes radicaux aux aspirations subversives dans nos manifestations ».

Contre le gouvernement et l’extrême-droite qui ne sont que les deux faces d’une même pièce, l’extension et la massification de la lutte sont les seules issues pour mettre fin à l’austérité, et lutter pour les salaires et les conditions de travail. Seule la généralisation de la grève et des blocages à d’autres secteurs peuvent transformer cette « semaine noire » en un point d’appui pour faire reculer le gouvernement.


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