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Mayotte a soif !

« Une situation de quasi crise humanitaire » : À Mayotte, l’Etat français multiplie les coupures d’eau

À Mayotte, à la suite d’une sécheresse inédite depuis 1997, les habitants subissent des coupures d’eau à répétition. Après l’opération Wuambushu, cette nouvelle catastrophe qui s’abat sur l'île révèle les conséquences de la gestion coloniale du territoire et de la crise climatique par l’Etat français.

James Draoust

31 août 2023

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« Une situation de quasi crise humanitaire » : À Mayotte, l'Etat français multiplie les coupures d'eau

Sur l’île de Mayotte, chaque transition entre la saison sèche et la saison des pluies, liée à l’accentuation du réchauffement climatique, est synonyme de problèmes d’accès à l’eau. En effet, depuis la grave crise de l’eau de 2016, la population connaît des coupures répétées, ainsi qu’une qualité de l’eau lourdement dégradée. La situation est également la conséquence de la déforestation massive de l’île. Grégoire Savourey, chargé de mission biodiversité Océan Indien pour le comité français de l’UICN ( Union Internationale pour la Conservation de la Nature), expliquait ainsi à France Info : « Mayotte a l’un des taux de déforestation les plus élevés de la planète. Si Mayotte était un pays, elle serait sur le podium des pays les plus déforestés au monde. L’île serait même devant le Brésil. [...] La forêt de Mayotte est le château d’eau de l’île .  ».

Cette année, le manque d’eau et les coupures se sont faits sous l’égide d’un préfet de l’eau, spécialement nommé à cette tâche et chargé par l’Etat d’endiguer la crise en 6 mois seulement. Ce dernier organise une gestion de l’eau dans la droite lignée de la gestion coloniale de l’île par l’Etat français. Gilles Cantal, haut fonctionnaire habitué des territoires ultramarins, notamment en poste en Polynésie entre 2012 et 2015, a ainsi été nommé en juin dernier par Darmanin. Il est connu pour sa participation à la commission de cadrage sur la loi des victimes des essais nucléaires en Polynésie et en Algérie en 2017. Une loi coloniale dont les indemnités sont minimales et difficiles à obtenir, sauf pour les militaires et métropolitains.

Cette année, la crise de l’eau a commencé dès le 12 juin à Mayotte avec des infrastructures incapables de répondre aux besoins de la population. Les habitants se sont ainsi vu infliger des coupures d’eau de 17h à 7h du matin, impactant en premier lieu les plus précaires, alors que l’opération Wambushu se déchaînait déjà contre eux. Ces derniers jours, la situation s’est tendue encore davantage, avec une nouvelle série de mesures restrictives. A Mamoudzou, Koungou et Petite Terre, des coupures de 36h le week-end (pour certaines zones industrielles et Petite-Terre) se sont ajoutées aux coupures d’eau toutes les nuits de 16h à 8h. Résultat : ces habitants n’auront accès à l’eau potable que 2 jours sur 7. Globalement et sur le reste de l’île, il y aura 48h de coupures pour 24h d’accès à l’eau. Une situation qui soulève la colère de plus en plus d’habitants, tant sur la gestion de l’eau que sur son utilisation industrielle, alors que les fuites des installations industrielles sont visibles de tous comme à l’usine de dessalement Vinci de Petite-Terre, fonctionnant d’ailleurs à un tiers de sa capacité, tellement la qualité de l’eau est mauvaise.

« Une situation de quasi crise humanitaire » : un professeur des écoles de Mamoudzou témoigne

Alors que la rentrée scolaire s’est déroulée le 23 août à Mayotte, la crise de l’eau qui impacte lourdement les conditions de vie est venue également dégrader les conditions d’éducation. Fabrice*, enseignant du secondaire à Mamoudzou et co-rédacteur de la pétition un département français sans eau : urgence à Mayotte témoigne ainsi auprès de Révolution Permanente : « Dans l’éducation, lors des coupures, les cours sont censés être suspendus, mais les transporteurs publics ne sont pas mis au courant. Les élèves se retrouvent donc livrés à eux-mêmes pendant le battement. La seule mesure prise par le rectorat et la caisse de Sécurité sociale a été d’offrir une gourde vide aux élèves, mais rien n’est fait pour la remplir, encore moins avec une eau de qualité ».

Globalement, le manque d’eau se fait ressentir dans tous les secteurs de la vie mahoraise, « la peur de la coupure générale est omniprésente », témoigne Fabrice*. Du point de vue économique, un pack d’eau coûte généralement entre 5 et 6€, les rendant inaccessibles aux plus précaires et creusant le budget du reste de la population. Le secteur des urgences est aussi « à genoux », le manque de personnel et la qualité des infrastructures de santé ont déjà causé la fermeture de nombreux dispensaires. Alors que les ventes d’anti-diarrhéiques ont augmenté de 3 à 4% dans certaines régions, et que le nombre d’infections cutanées a explosé, la menace d’une épidémie de choléra, lié à la consommation d’une eau malpropre, plane.

En réaction à cette situation, la communication de l’Agence Régionale de Santé témoigne d’un mépris ahurissant. En effet, selon l’ARS, il n’y a pas de problèmes d’eau potable, mais plutôt une responsabilité individuelle sur le respect des règles d’hygiène. Olivier Brahic, directeur général de l’ARS a ainsi déclaré au Journal de Mayotte : «  Quand il y a coupure, il n’y a plus de pression, donc potentiellement les germes peuvent y entrer. C’est pendant cette période de purge lors de la remise en eau qu’il faut faire bouillir l’eau, sinon l’eau en elle-même est tout à fait potable.  ». L’ARS préconise également des mesures de consommation inapplicables pour certains habitants : « l’ARS nous dit qu’il n’y a pas de problèmes d’eau potable, mais on nous dit aussi de faire bouillir l’eau et d’attendre 6h avant de la consommer. On est face à une situation de quasi-crise humanitaire »

Plus profondément encore, comme pendant la pandémie de COVID-19, la crise reflète la structuration coloniale de l’île sous l’égide de l’Etat français : « L’activité industrielle n’est pas touché par les coupures, les populations des bidonvilles ne sont pas impactés de la même manière que les administrateurs et militaires ». Ainsi, Fabrice* explique que la plupart des habitants n’ont accès à l’eau que sur leur lieu de travail la plupart du temps. Un véritable chantage qui vise à subordonner encore plus les travailleurs vis-à-vis de leurs employeurs : « Dans certains métiers, des ouvriers partent sans eau chez eux le matin et reviennent sans eau le soir : la propriété des industries et du profit prime » . Il n’y a d’ailleurs aucun moyen de récupération des eaux pluviales sur l’île, les gouttières et moyen de récupération d’eau sont à un prix inaccessible pour la plupart de la population.

Wuhambushu, coupures d’eau, racisme environnemental : il faut combattre l’impérialisme français !

Si la situation montre les conséquences de la gestion coloniale de l’ile, les vestiges de l’opération Wuambushu se font également sentir dans la gestion de l’eau. En effet, selon le journal les Nouvelles de Mayotte, 4 unités de dessalement, installées près de la plage des Badamiers, utilisés par les militaires pendant l’opération de Wuambushu, seraient reparties avec les militaires dès la fin de l’opération, le 20 juin dernier et en pleine crise de l’eau. Un signe supplémentaire des politiques coloniales françaises et du racisme d’État appliqué aux populations des dits outremers.

De la fin de l’opération Wuambushu à la gestion de la crise de l’eau, l’impérialisme français continue de mener des politiques coloniales et xénophobes, y compris face aux conséquences du réchauffement climatique. Face à ça, le mouvement écologiste doit opposer une réponse anti-raciste et anti-impérialiste claire, en alliance avec les populations les plus opprimés par l’Etat français.

*Le nom a été modifié pour respecter l’anonymat du témoin


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