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Anti-validisme

Toulouse. Handi-Social se mobilise contre l’exploitation des travailleurs handicapés dans les ÉSAT

Mercredi 20 mars, des militantes d'Handi-social ont pris la parole à l'occasion d'une conférence d'un directeur d'ÉSAT louant ces structures d'exploitation et d'exclusion des travailleurs handicapés. Une action qui s'inscrit dans la continuité des luttes anti-validistes menées depuis plus de 60 ans d'existence des ÉSAT.

Dorian Maffei

27 mars

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Toulouse. Handi-Social se mobilise contre l'exploitation des travailleurs handicapés dans les ÉSAT

Crédit photo : capture d’écran Handi-social (Youtube)

Une prise de parole contre le système validiste des ÉSAT

Mercredi 20 mars, Philippe Hurteau, directeur des ÉSAT de la Haute-Garonne de l’ASEI, une association gestionnaire, a animé une conférence intitulée « ÉSAT, entreprises adaptées : des passerelles vers l’emploi en milieu ordinaire » dans le cadre du salon Autonomic Sud, visant à présenter ces établissements comme une chance pour les travailleurs handicapés. Des militants de l’association Handi-social qui luttent contre le validisme sont intervenus pour dénoncer l’apologie de ces structures d’exclusion.

Un ÉSAT, un « établissement et service d’aide par le travail », est une structure qui vise à faire travailler des personnes en situation de handicap dans un environnement censément adapté à leurs besoins propres. Prétendument une « passerelle vers le travail en autonomie », ou comme le prétend le titre de la conférence, « vers l’emploi en milieu ordinaire », ces établissements se considèrent comme des structures médico-sociales d’aide, ce qui permet de dénier à leurs travailleurs les droits les plus minimaux dont bénéficient le reste de la classe ouvrière.

Sur son site, l’ASEI se félicite de faire travailler 850 ouvriers dans 7 établissements de la Haute-Garonne, de l’Hérault et du Tarn. De nombreux métiers sont listés sont et presque tous associés à des secteurs déjà très précaires : sous-traitance industrielle (aéronautique, électromécanique et conditionnement), fabrication, imprimerie, bâtiment (menuiserie, ferronnerie, peinture, béton préfabriqués), nettoyage, restauration-traiteur et entretien des espaces verts.

Lors de la conférence, E., militante à Handi-social, a lu un texte un texte intitulé « Les ÉSAT, une chance pour les personnes handicapées, ou pas ». Comme préambule, elle a rappelé ce qui devrait être une banalité : « les personnes qui travaillent dans les ÉSAT sont bien des travailleurs et des travailleuses, et non pas des usagers comme on le prétend », et ce qui justifie, aujourd’hui encore, qu’ils soient exclus des protections garanties par le Code du travail.

Dans son livre « Handicap à vendre » (mars 2022), Thibault Petit explique ainsi que la logique qui a conduit à rapprocher toujours plus les ÉSAT de l’exploitation capitaliste « ordinaire » s’est accompagnée de l’alignement de quelques uns de leurs droits, tels que les congés payés et la formation professionnelle. Mais devant le directeur d’ÉSAT de la Haute-Garonne, les militants d’Handi-social ont pu lister tous les droits élémentaires qui demeurent refusés aux travailleurs : « Pas de recours aux prud’hommes, pas de cotisations ni de droit au chômage, pas d’indemnités de départ à la retraite, pas d’indemnités de licenciement et pas de salaire minimum garanti par le SMIC ».

De la même manière, le droit de faire grève et de se syndiquer n’a été obtenu par les travailleurs des ÉSAT que le 1er janvier 2024 dans le cadre de la réforme « France Travail » après plus de 66 ans d’existence de ces établissements ! Mais dans le même temps, cette réforme de casse sociale prévoit que France Travail, le « rebranding » de Pôle emploi par Macron, sera automatiquement mis au courant des noms de toutes les allocataires de l’AAH (allocation adulte handicapé), d’une pension d’invalidité ou d’une rente d’incapacité. Dans un de nos article de février, nous expliquons comment cela facilitera l’envoi des travailleurs handicapés vers les structures de travail ségrégué que sont les ÉSAT, au sein d’un système validiste qui perpétue la marginalisation des travailleurs handicapés dans la société.

Quant à l’AAH, Thibault Petit décrit dans son livre comment elle sert à imposer des salaires minables dans les ÉSAT dans la mesure où elle est réduite proportionnellement au salaire perçu par les travailleurs dans les ÉSAT, établissements par ailleurs financés à 70% par l’État. « La dignité des personnes handicapés passe par l’accès à un vrai emploi. Et tant qu’on aura des entreprises gestionnaires qui feront la promotion de ce système, ça empêchera que les pouvoirs publics se décident à respecter nos droits fondamentaux, et se décident à imposer aux entreprises, non pas par des incitations mais par de vraies obligations, l’emploi de toutes les personnes handicapées » a aussi expliqué Odile Maurin, présidente d’Handi-social et conseillère municipale d’opposition.

Ainsi, la loi organise le recours des entreprises aux produits et aux services des travailleurs d’ÉSAT, ce qui sous couvert de générer des « emplois indirects » leur permet tout simplement d’échapper aux obligations légales faites aux entreprises. « Les ÉSAT et plus largement les travailleurs handicapés sont aussi utilisés pour nettoyer l’image des entreprises. Typiquement, des restaurants mettent avant que ce sont des ÉSAT, et qu’en mangeant chez eux tu permets de soutenir les personnes handicapées qui travaillent. C’est dégueulasse car en plus de nettoyer l’image tu entretiens cette idée de charité qui ne permet pas de politiser la question » ajoute E.

Les ÉSAT, ces « ghettos d’handicapés » dénoncés depuis des décennies par les militants anti-validistes

Dans leur intervention, les militants ont cité cette phrase de « Handicap à vendre » : « Afin de maintenir leur viabilité économique, certains établissements font le choix de garder les travailleurs les plus susceptibles de faire l’objet d’une intégration en milieu ordinaire car ils sont également les plus productifs », Ils ont aussi expliqué que « seuls 0,5 à maximum 2% des personnes auront un jour accès au milieu ordinaire. Soit la passerelle est très étroite soit elle n’est pas accessible ». C’est un point central de la dénonciation des militants : « Les ÉSAT ne sont que des passerelles entre l’IME ou IEM, et le foyer de vie. Ils vivent de l’exploitation du travail des personnes handicapées au bénéfice d’associations gestionnaires qui prétendent de surcroît représenter les personnes handicapées. Il est clair qu’il y a un conflit d’intérêt entre gestion et représentation ».

Alors que 120 000 personnes travaillent dans des ÉSAT, Handi-social dénonce les associations comme l’ASEI qui, « en protégeant et en perpétuant les structures ségrégatives telles que les ÉSAT, [...] trahissent leur mission première qui devrait être d’œuvrer pour l’égalité des droits. Leur soutien tacite à un système qui exploite et discrimine les travailleurs et travailleuses handicapées révèle leur véritable intérêt : préserver un modèle économique qui repose sur l’exploitation de la vulnérabilité humaine ».

Ancêtres des ÉSAT, les CAT ont été créés en 1957. Dans une intervention lors d’un colloque organisé par l’université de Clermont 2018 et intitulé « Le travail comme terrain de luttes politiques des personnes handicapées : l’exemple des mobilisations en France dans les années 1968 », Cécile Morin, porte-parole du CLHEE, un autre collectif de lutte contre le validisme, relate comment ces militants qui se sont mobilisés en Mai 68 et après, les désignaient déjà comme des « ghettos d’handicapés », des « usines-prisons » et des casernes. Par la précarité, la difficulté du travail mais aussi la par la marginalisation et le contrôle social jusque dans leurs logements, elle explique qu’il n’y a « rien d’étonnant [...] si les activistes handicapés s’identifient aux franges les plus dominées de la classe ouvrière : aux prisonniers qui travaillent également en sous-traitance mais aussi aux travailleurs immigrés »

Profiter de la nouvelle possibilité de se syndiquer pour combattre les « usines-prisons » et porter un projet anti-validiste et anticapitaliste

Depuis des décennies, les ÉSAT organisent le travail par une politique de ségrégation validiste et de privation de libertés. Leur régime d’exception leur permet d’exploiter d’autant plus les travailleuses et les travailleurs handicapé.es et de leur refuser les moyens d’améliorer ces conditions. Il faut en finir avec ces institutions ségrégatives et se battre pour que les travailleurs handicapés soient réellement embauchés par les entreprises, quand bien même la logique des profits rend au patronat insoutenable l’idée d’embaucher des personnes qui peuvent être moins productives et de devoir s’adapter sur l’accessibilité.

Si les militants anti-validistes ont toujours combattu ces structures, la question a été largement laissée de côté par le reste du mouvement ouvrier. Dans les années 60-70, la direction stalinienne de la CGT était en phase avec les intérêts patronaux et glorifiait une image viriliste du travailleur, généralement masculine et surtout très productive, donc pas en situation de handicap. Ceci, alors que certains handicaps physiques ou psychologiques sont fortement liées aux conditions de travail capitalistes qui les provoquent ou les accentuent.

Dernièrement, on a pu trouver, dans certaines luttes légitimes pour les salaires des moniteurs d’ateliers des ÉSAT, un discours contre-productif opposant travailleurs handicapés et valides, alors que le manque de moyens touche aussi, et même en premier lieu, les premiers. Intrinsèquement, les ÉSAT perpétuent des divisions de classe, jusqu’à interdire à leurs salariés durant des décennies de s’organiser en tant que travailleurs. Cécile Morin décrit comment, après Mai 68, des grèves ont éclaté dans les CAT, malgré l’illégalité, et notamment à Besançon où les grévistes arrachent le SMIC pour tous les travailleurs du centre en 1975. Cette conquête leur sera retirée quelques années plus tard, générant une nouvelle mobilisation avec cette fois une occupation de l’usine sur le modèle des célèbres grèves des LIP qui se sont produites dans le même ville et à la même époque : « les travailleurs en lutte s’emparent de l’outil productif et organisent des ventes sauvages pour écouler les produits qu’ils continuent à fabriquer ».

Depuis cette année, les travailleurs des ÉSAT peuvent se syndiquer et faire grève légalement. C’est une étape qui doit permettre de construire des syndicats combattifs regroupant tous les travailleurs handicapés ou valides de chaque ÉSAT et de chaque entreprise privée derrière un projet social, anti-validiste et en lutte contre toutes les autres oppressions qui traversent notre classe (de genre, racisme) qui permette d’obtenir des conquêtes sociales en réponse à l’exploitation qu’ils subissent tous et face à laquelle les travailleurs et travailleuses handicapé.es sont en première ligne.


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