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Quand Berlin écoutait Paris pour le compte de Washington

NSA, BND et barbouzeries. Petit espionnage entre amis

Jean-Patrick Clech Tous les ingrédients d’un bon roman d’espionnage sont réunis et on se croirait revenus au bon vieux temps de la Guerre Froide : le BND, les services secrets allemands, ont très probablement écouté, pour le compte de la NSA américaine, de hauts fonctionnaires français du Quai d’Orsay et de l’Elysée ainsi que des membres de la Commission Européenne entre 2001 et 2013. Les informations, publiées par la presse d’Outre-Rhin, jettent un froid au niveau du « couple franco-allemand ». La chancelière Angela Merkel, qui s’était elle-même posée en victime de la NSA à la suite des révélations d’Edward Snowden en 2013, s’est refusée à toute déclaration. Mais les barbouzeries sont loin d’être l’apanage des services secrets américains ou allemands.

Jean-Patrick Clech

30 avril 2015

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Après les révélations du quotidien allemand Bild au sujet de l’espionnage d’EADS (aujourd’hui Airbus) et d’Eurocopter (aujourd’hui Airbus Helicopters), c’est au tour de la très sérieuse Süddeutsche Zeitung de dénoncer les pratiques du BND, dont, selon le quotidien munichois, « le cœur de l’activité est l’espionnage politique de nos voisins européens et de l’Union Européenne ». L’Elysée, très poliment, n’a fait aucun commentaire mais le ministère des Affaires étrangères a être en contact avec Berlin pour faire toute la clarté sur les faits. La tension entre les deux capitales, cependant, est palpable.

Le BND en service commandé de Washington ?

Par-delà le partenariat affiché entre l’Allemagne et les Etats-Unis, les rivalités sourdes et les dissensions entre la première des puissances impérialistes et le principal impérialisme européen n’ont jamais été aussi importantes, que ce soit par rapport à la question de la crise de la zone euro que vis-à-vis du dossier ukrainien. Comment expliquer, par conséquent, que le BND ait travaillé pour le compte des services de renseignement américains ?

Pour certains analystes, ce serait là l’expression de l’héritage des années de Guerre Froide, indiquant comment dans certains pays d’Europe occidentale comme l’Allemagne, la Belgique ou l’Italie des pans entiers de l’appareil d’Etat le plus profond, à savoir les services secrets, la police ou encore l’armée, seraient encore pilotés par Washington, comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il est probable que certains de ces liens aient perduré, y compris après les années 1980, mais l’explication des racines du dernier scandale en date est sans doute plus terre-à-terre et lié à l’incapacité de l’Allemagne, aujourd’hui, à se projeter intégralement dans la dispute qui l’oppose aux Etats-Unis.

Il semblerait en effet que Merkel ait été parfaitement au courant des agissements de ses services secrets par l’intermédiaire de Thomas de Maizières, chef de la chancellerie, entre 2005 et 2009, à ce titre supervisant le travail du BND et aujourd’hui ministre de l’Intérieur du gouvernement de große Koalition. Cependant Merkel aurait laissé faire sur la question de l’espionnage de certains de se voisins par ses propres services pour ne pas multiplier les terrains d’affrontements avec les Etats-Unis et se consacrer, à l’inverse, à ceux qui lui semblait prioritaires.

La Süddeutsche Zeitung aussi scandalisée que Mélenchon : quelques enseignements de ces révélations

Le porte-parole de Merkel, Stefan Seibert, a tenu à souligner le 27 avril que l’exécutif allemand « rejetait en bloc les accusations selon lesquelles le gouvernement [n’aurait] pas dit la vérité » au sujet des écoutes. La Süddeutsche Zeitung, qui n’a rien à voir avec les députés de Die Linke qui ont interpelé de Maizière à ce sujet, est d’avis contraire. Son éditorialiste juge en effet que « les services secrets ont espionné illégalement pour le compte de la NSA, et personne ne veut en être responsable. Et celui qui était au courant nie comme de Maizière. C’est insupportable ». Dans son édition du 2 mai, l’hebdomadaire Der Spiegel devrait apporter davantage d’éléments sur les caractéristiques des procédures d’écoute menées à partir de la base bavaroise de Bad Aibling et sur l’ampleur du phénomène depuis la signature d’un accord entre la NSA et le BND en 2002, dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme ».

Cette affaire de « petit espionnage entre amis », qui fait bien rire tant le petit cirque de la politique ment à tour de bras, devrait néanmoins être l’occasion de tirer quelques enseignements à contre-courant de ce que distille une partie de la gauche réformiste hexagonale.

Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, le premier à monter au créneau contre cette « immixtion prussienne dans les affaires intérieures françaises » n’est pas tant le chef du gouvernement que celui qui se verrait bien à Matignon, si on voulait bien l’y appeler : Jean-Luc Mélenchon. Tout à sa campagne de promotion de son « pamphlet » anti-allemand Le hareng de Bismarck qui sortira en librairie le 4 mai, le chef du Parti de Gauche a profité des révélations de la Süddeutsche Zeitung pour harponner Berlin dans une déclaration d’un chauvinisme franchouillard qui ferait pâlir d’envi certains « patriotes » : « la presse allemande continue ses révélations concernant l’espionnage pratiqué par les services (…) allemands pour le compte de la NSA états-unienne. Le Quai d’Orsay et l’Elysée auraient été écoutés de 2001 à 2013 [et] Angela Merkel aurait été directement informée depuis 2008. Cet affront n’a que trop duré, poursuit Mélenchon, [et] François Hollande doit demander à Angela Merkel de présenter des excuses à la France. Je rappelle que l’espionnage des institutions et moyens de la diplomatie de la France est un crime puni par le code pénal comme atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Je demande donc l’ouverture conjointe d’une enquête parlementaire et d’une enquête judiciaire pour faire toute la lumière sur ces atteintes à la souveraineté de la France ».

Les « méchants yankees » et « Frau Merkel » n’ont pas le monopole des coups-bas en matière de services de renseignement. Pour ne prendre que le plus récent des exemples, c’est au nom de la « lutte contre le djihadisme » dans le Sahara et au Sahel que l’Etat français espionne ses propres « alliés » et « partenaires » africains à partir de ses bases de renseignement, notamment celle de Niamey, au Niger. Pour ce qui est de la « souveraineté de la France », c’est l’argument qui est avancé depuis toujours pour défendre les pires des barbouzeries, à commencer par les opérations militaires extérieures dont l’une des dernières en date, l’Opération Sangaris en Centrafrique, a donné lieu à des viols sur mineurs de la part de l’armée.

Ce bel imbroglio diplomatique entre la France et l’Allemagne révèle également autre chose : la bourgeoisie ne recule devant rien, pas même ses propres lois nationales et les accords internationaux passés entre gouvernements, pour défendre ses intérêts. Entre la nouvelle Loi sur le renseignement que Bernard Cazeneuve souhaiterait faire adopter le 5 mai et cette affaire d’espionnage, c’est tout l’appareil d’Etat tel qu’il existe qui montre sa vraie nature, à savoir le fait d’être le pire ennemi des droits démocratiques les plus élémentaires.

Si entre « partenaires » on s’espionne à qui-mieux-mieux, on imagine comment c’est en coulisses et dans notre dos que tout se fait, que tout se trame, que l’on conspire. Cependant il ne s’agit en rien d’un complot, mais bien du fonctionnement normal de l’Etat capitaliste, un Etat qui n’est pas réformable et qui doit être renversé et détruit, avec l’ensemble de ses rouages et instruments de flicage, de surveillance et de répression.

01/05/15


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