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Entretien

« L’intersyndicale refuse de tirer les bilans d’une stratégie qui s’est avérée perdante » Alexis, raffineur

Alors que les grèves pour les salaires fleurissent et que la répression contre les grévistes s'accentue, Alexis Antonioli, secrétaire CGT de la raffinerie Total Normandie revient sur le mouvement contre la réforme des retraites.

Maïa Maros

12 juin 2023

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« L'intersyndicale refuse de tirer les bilans d'une stratégie qui s'est avérée perdante » Alexis, raffineur

Crédits photos : Révolution Permanente

Révolution Permanente : Dès le début du mouvement contre la réforme des retraites les raffineurs ont proposé un plan de bataille de 24h-48h-96h. Finalement, vous vous êtes inscrits dans l’appel à la reconductible dès le 7 mars, et le 16 mars vous avez voté l’arrêt des installations. En six mois, les raffineurs de Normandie auront donc arrêté deux fois leur raffinerie. Comment expliques-tu autant de radicalité, alors qu’il y avait chez beaucoup la peur de lancer une grève par procuration ?

Alexis Antonioli : D’abord il y’a un niveau de conscience d’une partie de nos salariés qui est vraiment élevé, on a toujours été présents sur ces luttes nationales. Il y a une culture de lutte à la raffinerie de Normandie mais surtout un attachement profond à notre régime de retraites. Il y a surtout sur l’âge de départ à la retraite qui nous concerne puisque pour les raffineurs et les pétrochimistes c’est sept à neuf ans d’espérance de vie en moins que le reste de la population à cause de l’exposition aux produits chimiques, de notre rythme de travail en 3/8 etc… Donc nous dire qu’on fera deux ans de plus c’est difficile, on a beaucoup de collègues qui décèdent avant l’âge de la retraite ou peu de temps après.

Mais c’est aussi une question de choix de société dans laquelle on veut vivre. On a fait tout un travail militant pour démontrer l’imposture du gouvernement sur son postulat de départ qui affirme qu’il manquerait de l’argent dans les caisses de retraites alors que ce n’est pas le cas. Il y a tout ce qu’il faut : le gouvernement a mis comme préalable de ne pas augmenter les cotisations patronales, pourtant c’est bien là qu’il y a de l’argent. C’est pour tout ça qu’un partie des salariés a décidé de mener cette bataille le plus loin possible.

RP : Dans les jours qui suivirent, le gouvernement main dans la main avec la direction de Total a tenté de réquisitionner les raffineurs de Normandie en grève. Ces attaques au droit de grève et contre la mobilisation de la plus grande raffinerie de France, n’ont pas provoqué de réactions de la part des organisations syndicales, qu’il s’agisse de Laurent Berger et Philippe Martinez. Pourquoi ce silence ?

Alexis A. : Je pense qu’il y a des questions à se poser sur les stratégies confédérales. On a vu à l’automne que la direction de la CGT avait quitté symboliquement la table des négociations avec le gouvernement suite aux réquisitions. Aujourd’hui la direction confédérale est plus attachée à afficher des logos par le haut et à maintenir l’intersyndicale que de se préoccuper de ce qui se passe sur le terrain. Que ce soit les raffineurs ou les éboueurs, quand les réquisitions sont tombées, il n’y a pas eu de déplacement de membres des directions syndicales, pas de communiqué, pas une prise de parole dans les médias. Ils ont préféré rester entre eux à discuter de la prochaine journée de mobilisation de 24h. Pourtant, c’est une attaque majeure contre le droit de grève qui devrait concerner l’ensemble du mouvement ouvrier : tous les syndicats auraient du réagir pour défendre le droit élémentaire qui est celui d’arrêter le travail. Mais ça ne nous a pas empêché de réagir avec nos coordinations à la base au travers nos Union Locales et du Réseau Grève Générale.

RP : Comment la bataille contre les réquisitions s’est déroulée finalement ?

Alexis A. : Dès qu’on a appris que la direction voulait réquisitionner, on a appelé à un rassemblement devant la raffinerie, et plus de 300 personnes sont venues en une heure. Avec les défauts de relève, c’est à dire que les grévistes n’entrent plus dans la raffinerie, on a réussi à faire empêcher la première vague de réquisition, lors de laquelle ils voulaient nous réquisitionner juste après qu’on soit entrés.

Au bout de 40 heures, des salariés ont été réquisitionnés chez eux par la police devant leur famille. A partir de là, on a tenu des piquets de grève même la nuit pour éviter que les salariés grévistes rentrent dans l’entreprise.

Finalement deux escadrons de gendarmes mobiles sont intervenues et nous ont chassés de notre piquet. Ils nous ont nassés pour que les premiers réquisitionnés partent au travail mais l’objectif c’était aussi que l’on ne puisse plus tenir d’Assemblées Générales sur le piquet de grève. Au début du troisième jour, c’est avec l’action des Unions Locales du Havre et de Harfleur et du Réseau Grève Général qu’on a pu reprendre le piquet, refaire des Assemblées Générales et continuer la lutte. Même si les réquisitions se sont faites, cette reprise du piquet a permis aux salariés de voir qu’ils étaient soutenus largement, cela a empêché la démoralisation. Ce n’est pas un hasard si notre raffinerie a été la dernière à être en grève reconductible.

Sur le terrain juridique on a gagné pour les travailleurs du secteur essence. Néanmoins ces victoires sont rares, et le gouvernement a tenté d’aller le plus loin possible dans les réquisitions jusqu’au moment où la justice a dit que c’était « trop ». Mais la solution c’est la conscience et la mobilisation des salariés contre ces réquisitions, surtout quand on voit qu’aujourd’hui les directions et Macron les utilisent systématiquement. Pour empêcher les réquisitions dans une raffinerie comme la notre, il faudrait peut être 10 000 personnes devant la raffinerie pour imposer un autre rapport de force, c’est l’objectif que tout syndicat sérieux aurait du se fixer. Tout ça participe à une offensive globale contre le droit de grève, pendant notre grève des sénateurs de droite ont proposé de limiter le droit de grève des raffineurs à trois jours par semaine. Total envisage maintenant après la grève de former des cadres pour pouvoir remplacer les grévistes en cas de reconductible comme c’est le cas à la SNCF et la RATP. Ça nous renforce dans la conviction que notre stratégie est la bonne, ce n’est que la grève reconductible qui les perturbent, ce n’est pas les 24 heures où le lendemain on retourne travailler.

RP : De nombreuses personnes se demandent pourquoi la grève reconductible n’a pas réussi à s’étendre à d’autres secteurs. Selon Sophie Binet, c’est surtout la précarisation du travail et le manque de syndicalisation qui a empêché le départ en reconductible. Pour elle ce sont ces éléments, ajoutés à la « radicalisation du pouvoir » qui ont empêché une généralisation des reconductibles. Rejoins-tu cette analyse ?

Alexis A. : Il y a un point sur lequel je rejoins Sophie Binet, c’est vrai que la précarisation c’est un frein à la grève. Mais il faut aussi voir qu’il y a toujours eu des secteurs précaires et pauvre dans la classe, ce qui a changé ce sont leurs statuts qu’ils sont maintenant intérimaires, en CDD ou dans des entreprises sous-traitantes. Mais il faut une politique pour répondre à ces divisions, et dans un mouvement si large on ne peut pas simplement attendre de construire des syndicats sur la longue durée. Cela signifie avoir des revendications et un programme qui unisse toute notre classe, d’où la question des salaires : l’inflation touche tout le monde. Quand un travailleur très précaire est attaqué sur la fin de carrière, il pense d’abord à la fin du mois, d’où la nécessité d’avoir des revendications plus offensives comme des augmentations de 10 % et l’indexation des salaires sur l’inflation.

Ensuite, il y a aussi une arme face à la précarité que les syndicats déploient peu, c’est la caisse de grève. La CFDT a près de 150 millions d’euros dans sa propre caisse, c’est évident que si on appelle à la grève reconductible il faut mettre cet argent à disposition des grévistes parce que les fins de mois sont difficiles, et faire la jouer la solidarité pour tenir dans la durée.

Pour le reste de l’analyse de Sophie Binet je ne suis pas d’accord, c’est surtout une question de stratégie, les salariés ne sont pas dupes ils n’ont pas été convaincu par la stratégie de journées isolées, parce que c’est la même stratégie qui nous a fait perdre en 2010 ou 2016. Or l’intersyndicale n’a jamais décidé de changer de stratégie même après le 49.3. Elle refuse de tirer les bilans, dire qu’il n’y avait pas assez de grévistes c’est faux ! On a vu des millions de personnes dans la rue, au bout d’un moment, l’enjeu n’était plus de massifier les manifestations mais d’avoir une stratégie pour gagner. Il faut maintenant tirer ces bilans collectivement avec les travailleurs pour les prochaines luttes.

RP : Le Réseau pour la Grève Générale s’est constitué dès le début de la mobilisation contre le plan de bataille proposé par l’intersyndicale, alors que celle-ci appelait à des dates de mobilisation historiquement suivies. Pourquoi la nécessité de s’organiser ainsi dès le début pour proposer une autre stratégie ?

Alexis A. : Les confédérations ont toujours cherché à s’organiser par le haut, sans jamais que sur le terrain des entreprises ça ait des déclinaisons réelles. Dans nos fédérations avec les ports et docks, avec les cheminots ou les énergéticiens, ils se sont coordonnés par le haut une nouvelle fois. On a eu quelques ébauches locales où on a discuté, néanmoins je constate que le niveau d’organisation à la base, d’information, de travail en commun il a plus été marqué dans le Réseau pour la Grève Générale que dans le cadre de nos fédérations. Pour moi c’est un réel outil de coordination pour les travailleurs où on peut discuter avec des syndiqués de toute la France. Alors c’est encore une ébauche, mais si on avait pu le développer de manière très large, dans l’ensemble de nos champs professionnels on ne serait pas dans cette situation aujourd’hui. Parce qu’à la fin du mouvement on entend Laurent Berger dire « la succession de journées de mobilisation » ne fera pas reculer le gouvernement alors que c’est tout ce qu’il propose depuis le début, ça montre la nécessité d’une autre stratégie et d’un outil pour l’imposer.

Propos recueillis par Maia Maros

Lire aussi : Article 40 : l’ultime coup de force de la macronie pointe l’impuissance de la stratégie de l’intersyndicale


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