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Gabon : les éléments clés pour comprendre ce nouveau coup d’État en Afrique

La chaîne des coups d'État en Afrique subsaharienne continue de s'allonger. Après le putsch au Niger fin juillet, c'est le gouvernement de Ali Bongo au Gabon qui a été renversé le 30 août par des militaires. Claudia Cinatti revient sur quelques éléments clés de cet événement.

Claudia Cinatti

4 septembre 2023

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Gabon : les éléments clés pour comprendre ce nouveau coup d'État en Afrique

Bien qu’ayant des caractéristiques et des moteurs spécifiques, le coup d’État au Gabon semble avoir un scénario et une configuration similaires à ceux des coups d’État précédents. Le 30 août, après avoir appris que le président sortant Ali Bongo allait entamer son troisième mandat consécutif, un groupe de 12 militaires en uniforme de la Garde républicaine, de l’armée et des forces de sécurité a envahi les écrans de la télévision nationale. Dans un court communiqué lu en direct, le « Comité pour la transition et la restauration des institutions » a annoncé que l’élection présidentielle du 26 août, remportée par M. Bongo avec un score plus que suspect de 65 % des voix, était annulée. Et qu’au nom du peuple gabonais et « pour garantir la paix », il avait décidé de mettre fin au régime actuel, promettant désormais de prendre « notre essor vers la félicité ».

Cette junte militaire improvisée a dissous le congrès et la Cour suprême. Elle a également placé Bongo, sa famille et les membres de son cabinet en état d’arrestation sous des chefs d’accusation allant de la fraude et de l’irresponsabilité gouvernementale à la trahison. Comme cela a été le cas dans d’autres pays d’Afrique francophone, le Gabon a également connu des scènes de soutien et de joie populaire lors de la chute de Bongo, ainsi que des slogans identiques contre le néocolonialisme français et ses alliés au sein des élites locales.

Le général Oligui Nguema, chef du coup d’État et jusqu’alors commandant de la Garde républicaine, a pris la présidence par intérim. Il s’est engagé à créer un « gouvernement d’unité nationale » composé de membres des partis politiques et à organiser des élections dans un délai d’un an. Mais l’avenir est incertain. Il est encore trop tôt pour considérer l’épisode comme clos, bien que, si l’on se fie à l’expérience récente, il y a de fortes chances que le soulèvement aboutisse. S’il est consolidé, il s’agira du huitième coup d’État militaire en Afrique depuis 2020.

La note pittoresque de la journée est venue de Bongo lui-même. Peu après sa chute, une vidéo a circulé dans plusieurs médias dans laquelle Bongo, reclus dans une chambre luxueuse du palais présidentiel et un peu désorienté, demande à ses amis des puissances occidentales de « faire du bruit » contre le coup d’État. Bien que la demande semble amusante, le bruit est probablement la seule chose qu’il obtiendra. Compte tenu de l’expérience récente du coup d’État au Niger, les institutions pro-occidentales africaines — Union africaine, CEEAC et autres — et les puissances impérialistes ne semblent avoir ni la force ni la volonté de se lancer dans l’aventure consistant à réinstaller par la force d’anciens partenaires tombés en disgrâce. Le discours le plus percutant, pour des raisons évidentes, est venu du président Emmanuel Macron, qui a parlé d’une « épidémie de coups d’État » dans le Sahel, une maladie qui affaiblit l’empreinte néocoloniale déjà bien pâle de la France.

Bien qu’il s’agisse d’un coup d’État de palais, il est clair qu’aucun coup d’État ne se produit dans le vide. Si dans le cas du Niger, comme auparavant au Mali, au Burkina Faso et au Tchad, l’arrière-plan était l’intervention française pour « combattre le terrorisme », dans le cas du Gabon, le déclencheur immédiat était un processus électoral frauduleux mené par un président faible. Mais le dénominateur commun est la précarité économique et la lassitude face à des régimes autoritaires et dynastiques qui garantissent les intérêts néocoloniaux de la France en échange d’une part du pillage, principalement du pétrole et des mines.

Sur les 63 années d’existence du Gabon en tant qu’État indépendant — jusqu’en 1960, il s’agissait d’une colonie française —la famille Bongo a dirigé pendant 56 ans. Ce régime dynastique a commencé en 1967 avec Omar Bongo, qui a été président pendant 41 ans jusqu’à sa mort en 2009, et s’est poursuivi avec son fils Ali. À travers la famille Bongo, l’impérialisme français a continué d’exercer un contrôle colonial dans les domaines économique, politique et militaire. Aujourd’hui encore, la France dispose de quelque 400 soldats et d’une base au Gabon, ainsi que d’une présence importante de ses monopoles tels que Total.

La soi-disant « démocratie » que la France, les États-Unis et les puissances occidentales prétendent défendre est manifestement une farce scandaleuse. Omar Bongo a été mis en place par le gouvernement français du général de Gaulle et soutenu par l’impérialisme français. Jusqu’en 1990, le Gabon a connu un régime de parti unique, le Parti démocratique gabonais, qui représente les intérêts de la famille Bongo et de l’élite clanique qui s’est constituée autour d’elle. Au-delà des formes, ce régime de parti unique perdure dans les faits par un réseau de clientélisme et de répression impliquant des élections frauduleuses et des réformes constitutionnelles visant à perpétuer les mêmes intérêts.

Les gouvernements d’Ali Bongo ont été plus instables que ceux de son père. En 2016, sa première réélection était déjà remise en cause. La cupidité a fait entrer la famille Bongo dans un conflit avec le gouvernement français, qui a dénoncé plusieurs membres de la fratrie Bongo (c’est une grande famille) pour s’être approprié quelque 85 millions d’euros. Dans la tension, le gouvernement gabonais a également pris des mesures, comme l’adhésion au Commonwealth, ce qui a augmenté les tensions. En 2018, Ali Bongo a subi un accident vasculaire cérébral lors d’une visite d’État en Arabie saoudite, ce qui l’a éloigné de la scène publique pendant plus d’un an.

Mais le plus important n’est pas venu des intrigues d’État, mais de la rue : en 2019, une vague de manifestations de masse et de grèves d’enseignants et d’étudiants a secoué le pays pendant des semaines pour protester contre une loi attaquant l’éducation. Le gouvernement a finalement retiré la contre-réforme, mais le mouvement a inspiré des protestations dans d’autres secteurs et s’est étendu au-delà de la capitale. L’impopularité de Bongo et la crainte d’une mobilisation ont encouragé un mouvement anti-réforme à tenter, sans succès, un coup d’État. La situation s’est soldée par plusieurs morts et une recrudescence de la répression qui n’a pas permis de faire disparaître les germes du mécontentement.

Les forces motrices qui déterminent la situation du coup d’État sont profondes. Selon le tableau de la Banque mondiale, le Gabon est un pays à revenu moyen supérieur. Exportateur de pétrole et membre de l’OPEC il affiche un PIB par habitant de 9 000 dollars, contre 500 dollars pour le Niger, 890 dollars pour le Burkina Faso ou encore 2 000 dollars pour le Nigeria, considéré comme une puissance régionale. Cependant, à l’instar de ses voisins plus pauvres, un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et 40 % des 15-24 ans sont au chômage ; De ce fait, au-delà des particularités nationales, la haine des élites locales et un profond sentiment anti-français — c’est-à-dire anticolonial — constituent le dénominateur commun de la situation convulsive de l’Afrique.

Les États-Unis ont leurs propres intérêts dans la région. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, leur principale préoccupation est d’éviter que le rejet de l’impérialisme français et cet « esprit anticolonial » ne soient utilisés de manière démagogique par la Russie et la Chine pour approfondir leur pénétration en Afrique. Comme on le sait, plusieurs anciens alliés de la France, comme le Mali, ont noué des liens étroits avec la Russie par l’intermédiaire du groupe Wagner. La mort de son chef, le mercenaire Evgueni Prigojine, qui a payé de sa vie le défi qu’il a lancé au gouvernement de Vladimir Poutine, ouvre la possibilité que le Kremlin « nationalise » les opérations tant militaires qu’économiques que cette prospère société de mercenaires mène en Afrique.

Les militaires africains putschistes ne sont pas des « anti-impérialistes », mais cherchent à obtenir de meilleures conditions en s’alignant sur le bloc capitaliste de la Russie et de la Chine. Mais le fait que certains d’entre eux recourent à un langage anticolonial pour se légitimer est un symptôme que les contradictions et les rivalités géopolitiques peuvent ouvrir la voie à l’intervention du mouvement de masse.


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Claudia Cinatti

Dirigeante du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) d’Argentine, membre du comité de rédaction de la revue Estrategia internacional, écrit également pour les rubriques internationales de La Izquierda Diario et Ideas de Izquierda.

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