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Etats-Unis

« Time to pay up ! » : 340 000 livreurs américains d’UPS prêts à entrer en grève pour leurs salaires

Salaires, conditions de travail : rien ne va plus chez UPS, le leader de la logistique aux Etats-Unis. Début août, c’est près de 340 000 salariés qui pourraient lancer une grève historique pour gagner 25$ de l'heure.

Lisa Mage

21 juillet 2023

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« Time to pay up ! » : 340 000 livreurs américains d'UPS prêts à entrer en grève pour leurs salaires

Crédits photos : @Teamsters Local 688

Le numéro un de la livraison de colis va-t-il être arrêté par une grève massive de ses salariés ? Chez UPS, entreprise de logistique omniprésente aux Etats-Unis, les négociations entre le syndicat des « Teamsters » -les conducteurs routiers- et la direction d’UPS ont tourné court. Dès le 1er août, 340 000 salariés pourraient être appelés à faire grève, menaçant de stopper une partie importante de l’économie américaine.

Vers une grève massive et historique chez UPS ?

Le 5 juillet dernier, les tentatives de négociations entre les syndicalistes de conducteurs routiers et la direction d’UPS ont fini par échouer sur la question des salaires. Si certaines revendications ont été obtenues par les syndicalistes, comme l’installation de l’air conditionné dans les nouveaux camions ou un jour férié pour la journée Martin Luther King, sur les salaires, le compte n’y est pas. En effet, comme c’est largement le cas aux Etats-Unis, les salariés ne touchent pas les mêmes salaires en fonction de plusieurs paramètres : ainsi, les salariés à mi-temps ont un salaire horaire inférieur, tandis que le « two tiers system » permet à l’entreprise de payer ses salariés différemment en fonction de leur date d’embauche. Dans ce système, les salariés peuvent profiter de l’équivalent d’accords d’entreprises seulement s’ils ont été embauchés avant leur signature entre les syndicats et le patron. Si vous avez été embauchés après, cet accord peut ne pas vous concerner, et donc vous êtes payés moins que vos collègues.

C’est sur ces deux sujets centraux que les salariés sont en train de se mobiliser. S’ils ont obtenu la fin du « two tiers system » grâce à la seule menace de la grève, la direction refuse toujours de payer au même salaire horaire les temps partiels et les pleins temps : le syndicat réclame un salaire de 25 dollars de l’heure, quand le salaire médian des salariés du privé était de 28 dollars de l’heure en 2019.

Face à l’obstination de la direction, le syndicat de l’International Brotherhood of Teamsters, l’un des plus importants syndicats des États-Unis, menace l’entreprise d’appeler à la grève dès le 1er août si la direction ne cède pas sur ce point. Mais les revendications sont bien plus larges, dans une entreprise où les conditions de travail sont simplement désastreuses : les salariés réclament aussi une extension des heures minimales de travail par jour (actuellement trois heures et demi), des pauses plus longues (10 minutes aujourd’hui), la climatisation dans les entrepôts et la fin du harcèlement systématique.

Dans le contexte d’une inflation qui a atteint le 8% en 2022, les bénéfices records de l’entreprise ont renforcé la détermination des Teamsters. Les travailleurs d’UPS ont rapporté à l’entreprise environ [11,5 milliards de dollars de bénéfices en 2021, quand les bénéfices annuels moyens de l’entreprise dans les années 2010 étaient aux alentours de 3 milliards de dollars. En 2021, le PDG, Carol B. Tomé, a par ailleurs gagné plus de 27 millions de dollars :
« Tomé gagne en une seule journée plus qu’un travailleur d’UPS en une année entière » dénonce ainsi une affiche du syndicat.

Chaque jour, c’est 6% du PIB américain qui transite chez UPS

Cette grève, si elle venait à se concrétiser, aurait un impact énorme sur la vie politique et économique états-unienne et internationale. En effet, les travailleurs d’UPS traitent en moyenne 24,3 millions de colis par jour, soit environ 6 % du PIB national et 3% du PIB mondial. L’appel à la grève, qui concernerait au moins les 340 000 syndiqués de l’entreprise. En plus de l’impact économique énorme qu’une telle grève aurait, elle pourrait aussi être une étape majeure du retour de la lutte des classes aux Etats Unis, après la grève historique des cheminots en décembre dernier, et les grèves chez les acteurs et scénaristes qui secouent Hollywood.

Alors que dans plusieurs grandes entreprises comme Amazon ou Starbucks, des luttes très dures ont eu lieu pour mettre en place des syndicats, ce sont les couches les plus précaires de la classe ouvrière américaines qui sont en train de relever la tête. La lutte chez UPS suit le même schéma : des travailleurs particulièrement précaires, pour beaucoup racisés et subissant un harcèlement managérial, « pratique fréquente » chez UPS selon Left Voice, qui refusent aujourd’hui de continuer de travailler pour des salaires de misère.

Selon le syndicaliste new-yorkais Dan Arlin, il faut ajouter à tous ces éléments une opinion publique particulièrement favorable au mouvement : « je crois que nous avons avec nous l’opinion publique pour ce type d’action [la grève]. Le mouvement ouvrier en général est populaire en ce moment. Les gens comprennent que les salariés ont besoin de lutter pour plus : avouons-le, tout coûte plus cher aujourd’hui. Mais nos fiches de paye ne suivent pas, et pourtant on voit toutes ces entreprises devenir de plus en plus riches, donc je pense que le public est vraiment derrière nous ».

Alors que l’entreprise continue de financer des campagnes de publicités pour embaucher dans ses entrepôts, promettant de bonnes conditions de travail, les salariés dénoncent sur les réseaux sociaux leurs véritables conditions de travail : « je gagne moins de 20 dollars de l’heure depuis huit ans à temps partiels » dis l’un ; « j’ai mal au dos et récemment j’ai été renvoyé sans raison par un supérieur » explique un autre. L’entreprise est même allé jusqu’à mentir sur le salaires des travailleurs en affirmant que les temps partiels « gagnent en moyenne 20 dollars de l’heure ». Pourtant de nombreux salariés montrent leurs fiches de payés avec des salaires à 15,5 dollars, même avec dix ans d’expérience.

Entre les différents piquets de grèves et lieux de travail, quelque chose a changé dans l’état d’esprits des salariés. Dan Arlin témoigne de ce changement : « l’unité des Teamsters d’UPS est plus solide qu’elle ne l’a été depuis très longtemps. Je pense que, dans leur grande majorité, les membres en ont assez des balivernes qui se disent là-bas et sont tous d’accord pour dire que nous devons nous battre pour obtenir le meilleur contrat qui soit ».

Acteurs, scénaristes, livreurs et chauffeurs et bientôt l’automobile : la lutte des classes se réveille aux Etats-Unis

Depuis la période du Covid, les Etats-Unis voient se multiplier les grèves, tandis que les taux de syndicalisation augmentent, notamment dans la jeunesse. Ce phénomène, nommé « pro-union generation » s’est illustré dans les grandes enseignes comme Starbucks, Amazon ou Chipotle.

Dans le même temps, de nombreux mouvements de grève sont en cours, notamment dans la culture : les scénaristes, en grève depuis mai dernier, ont été rejoint par les acteurs il y a une semaine. C’est près de 160 000 travailleurs qui sont actuellement en grève pour leurs salaires, auxquels pourraient donc s’ajouter les 340 000 syndiqués d’UPS. Et les colères pourraient s’accumuler : c’est maintenant dans l’automobile, où des accords d’entreprises sont en train d’être négociés, que les syndicalistes menacent de faire grève. L’heure est donc au combat pour la classe ouvrière américaine, et à l’unité de tous les salariés face aux grandes multinationales.


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