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Portrait

Laurent Berger, l’ami des patrons opposant malgré lui

Mercredi, le premier syndicat de France change de tête. Après plus de dix ans à la tête de la centrale réformiste, Laurent Berger quittera la direction de la CFDT. Portrait.

Nathan Deas

20 juin 2023

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Laurent Berger, l'ami des patrons opposant malgré lui

Crédit photo : Laurent Berger sur le plateau de France 2 le lundi 17 avril

Vendredi dernier, il est huit heures. Laurent Berger et Marylise Léon s’engouffrent dans les couloirs de Matignon, direction le bureau de la Première ministre. Une heure d’entrevue officieuse. La dernière pour le secrétaire général de la CFDT, premier syndicat de France, accompagné de son adjointe. A peine sont-ils sortis du bureau qu’Elisabeth Borne se félicite. « Marylise Léon qui succède à Laurent Berger est un signe de continuité. Elle est une interlocutrice avec laquelle nous avons déjà beaucoup échangé par le passé. ».

En début de semaine, au micro de France Inter. Dans quelques jours, Laurent Berger quittera la direction de la CFDT. L’occasion est trouvée de dresser les premiers bilans. Quelques dizaines de minutes d’émission spéciale. Pour faire un peu d’audience, la rédaction décide, dans l’espace confiné et feutré de ses locaux, de mettre en scène quelque chose qui pourrait se rapporter à de l’antagonisme de classe. Du moins tel qu’elle se l’imagine. Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, est invité. On l’interroge : « demain, seriez-vous prêt à embaucher Laurent Berger ? ». Et le patron des patrons de répondre : « Vu son profil, sa personnalité … Oui, sans hésiter ! ». Il conclue : « Je suis sûr qu’il trouvera chaussure à son pied facilement ». Comprendre : que tous les patrons voudront l’embaucher.

Une première ministre d’un gouvernement anti-social et profondément libéral qui le regrette, un patron du CAC 40 qui veut l’enrôler : pour le départ d’un syndicaliste, on aura connu hommages patronaux et pro-patronaux moins appuyés. Fervent défenseur de la concertation et du compromis, Laurent Berger, 54 ans, a fait de la CFDT le premier syndicat français. Il s’est surtout illustré par sa politique de conciliation de classe et les gages adressés aux classes dominantes. En 2004, à 36 ans, il défendait que sa génération allait« devoir apprendre à articuler rapport de force et intelligence du compromis [et] inventer son réformisme ». Près de vingt ans plus tard, ce « nouveau » réformisme a un goût de déjà vu : l’amertume de la régression sociale et des promesses sans lendemain.

Désigné en novembre 2012 pour prendre la succession de François Chérèque à la tête de la CFDT, Laurent Berger attendra peu pour afficher un soutien sans faille au patronat. En janvier 2013, il signe l’accord « sécurisation de l’emploi » avec le Medef. Une véritable machine de guerre contre les travailleurs. Au nom d’une prétendue défense de l’emploi, elle laisse aux patrons les mains libres pour baisser les salaires, augmenter les horaires, imposer la mobilité ou un licenciement économique et collectif. En mars 2016, rebelotte. Après une première version de la loi travail présentée en février 2016 que Laurent Berger trouvait « inacceptable en l’état », la direction de la CFDT influence largement le contenu d’une seconde mouture du texte et la défend. Au plus fort de la mobilisation contre la loi, au printemps, une quinzaine de locaux du syndicat sont dégradés. Pas de quoi empêcher Laurent Berger de soutenir jusqu’au bout, malgré la colère de sa base, cette bombe contre le code du travail.

En 2017, Berger reste en retrait des manifestations contre les ordonnances Pénicaud. En 2018, il prône l’ouverture sur la réforme de la SNCF. Un an plus tard, il appelle de ses vœux le projet avorté de système universel des retraites et ses douze milliards de coupes austéritaires, et ne rejoint la mobilisation (avant de la quitter tout aussi subitement) que lorsque Edouard Philippe s’essaye à introduire un « âge pivot » dans la réforme de l’exécutif. En 2023, il annonce dans une longue interview accordée au Monde, alors qu’un mouvement social historique est toujours en cours, peut-être le massif depuis mai 68, son départ de la CFDT.

A la tête de l’intersyndicale, face à une bourgeoisie radicalisée, prête à aucun compromis et aucune concession, et la colère immense des travailleurs, Laurent Berger était pourtant devenu sur le tard un opposant malgré lui … Pendant plus de six mois, le futur ex-secrétaire national de la CFDT se sera efforcé en effet de construire une "opposition", à grand renfort de marques de déférence et de respect institutionnels et de son opposition à toute velléité de durcissement du rapport de force, au blocage de l’économie ou à la perspective de la grève générale. Une impasse et le témoignage de l’impuissance à laquelle fait désormais face le syndicalisme d’accompagnement et de collaboration de classe.

Selon ses propres mots, la plus « grande fierté » de Laurent Berger est d’avoir fait de sa centrale la première organisation syndicale du pays depuis 2017. Le bilan tient davantage du déclin de la CGT qu’à la progression de l’audience de la centrale de Belleville. Fin 2022, la CFDT restait avec 612 205 adhérents, en deçà de ses effectifs de 2018. Alors que le mouvement sur les retraites semble avoir suscité de nouvelles adhésions et que les dernières années ont vu un retour de la lutte des classes en France (loi travail, grève des cheminots, Gilets jaunes, luttes contre la réforme des retraites de 2019, grèves pour les salaires et lutte contre la réforme des retraites), il est plus que jamais central de se poser la question des bilans de ces dernières années et de ces derniers mois.

Face à un Macron déterminé à détruire nos conditions de vie, ses amis patrons, et la politique perdante des directions syndicales, seul un saut dans la construction de l’autoorganisation, mais aussi de la riposte contre toutes les atteintes au droit de grève et dans notre faculté à lier les revendications pour organiser une véritable riposte politique contre le patronat et le gouvernement peuvent permettre une issue positive pour notre classe. Pour faire advenir une telle politique, au-delà des couleurs syndicales, le combat contre la bureaucratie sera décisif. C’est la condition pour se doter de stratégies capables de mettre en échec un gouvernement et un patronat radicalisés, et repartir à l’offensive dans les mois et années à venir. C’est d’ailleurs sans doute la principale leçon des années Berger : l’heure est venue de ne plus être des moutons.


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