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Escalade militaire en Europe

Escalade militariste : l’impérialisme allemand dans un monde « multipolaire »

Ordre mondial mouvant et incertain, slogans et engagements au réarmement sur fond de tensions entre puissances, retour sur la 60e Conférence de Munich.

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Escalade militariste : l'impérialisme allemand dans un monde « multipolaire »

Crédit photo : Olaf Kosinsky, wikimedia commons

Jamais la Conférence sur la sécurité (Siko), qui s’est tenue en février à Munich, en Allemagne, n’avait autant attiré l’attention que cette année. Il faut dire aussi que jamais non plus depuis sa création en 1963, la profondeur et la multitude de crises et d’incertitudes imbriquées auxquelles doit faire face l’impérialisme allemand n’avaient été aussi marquées : montée en puissance de la Chine et des BRICS, guerre d’Israël contre Gaza et risque d’escalade au Moyen-Orient, guerre de la Russie en Ukraine et soutien incertain des États-Unis aux alliés de l’OTAN. Aussi pressante et incertaine que soit la situation mondiale, les participants à la conférence n’avaient pas de vision commune de l’avenir.

La conférence n’a pas seulement été marquée par la présence d’invités de marque. Donald Trump et Vladimir Poutine ont en effet dominé les débats sans avoir besoin d’être présents. Le premier jour de la conférence, la Russie de Poutine a envoyé un message sous la forme d’une annonce : la mort de son opposant Alexei Navalny, soutenu par l’Occident. La veuve de Navalny, Yulia Navalnaya, a prononcé un discours dans le hall principal de l’hôtel le jour même, déclarant de façon très offensive que Poutine et tous ceux qui travaillent pour lui ne resteraient pas impunis. Trump, quant à lui, avait déjà fait parvenir son message à l’OTAN une semaine plus tôt. Au cours d’un rassemblement dans une petite ville de Caroline du Sud, il a en effet laissé entendre qu’il cesserait à l’avenir de défendre les pays de l’OTAN consacrant moins de 2 % de leur produit intérieur brut aux dépenses militaires. De telles annonces de la part de l’ancien président ne sont pas nouvelles. En 2018, il avait déjà vertement attaqué l’Allemagne pour ne pas avoir alloué suffisamment d’argent au budget de la défense et avait agité l’idée que les États-Unis puissent quitter l’alliance militaire. Pourquoi Donald Trump réitère-t-il cette annonce alors qu’il n’est plus en poste à la Maison Blanche ? La question risque de s’imposer dans le débat américain en vue des élections présidentielles de novembre, auxquelles il est candidat. Trump est d’ailleurs allé plus loin dans la rhétorique cette fois-ci en affirmant qu’il encouragerait même la Russie à faire « tout ce qu’elle veut ». Mais surtout, la plus grande différence entre aujourd’hui et hier est que la probabilité d’une confrontation militaire directe entre l’OTAN et la Russie devient désormais nettement plus concrète.

Depuis deux ans, la première grande guerre terrestre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale fait rage à l’est du continent européen. Dans l’Europe d’aujourd’hui, il ne viendrait à l’idée d’aucun chef d’État de qualifier l’OTAN « d’alliance en état de mort cérébrale », comme l’a fait Emmanuel Macron en 2019. C’est dans ce contexte que se sont déroulés les débats du week-end de la conférence, ainsi que les nombreuses manifestations anti-militaristes qui ont secoué l’Allemagne. Les participants à la conférence et de nombreux manifestants étaient unis par la difficulté de trouver leur chemin dans cet ordre mondial confus aux alliances volatiles.

Ukraine : persévérer à tout prix

Après Joe Biden, Volodymyr Zelensky est probablement l’homme qui craint le plus une victoire de Trump. Pour l’Ukraine, un gouvernement américain républicain pourrait signifier que le flux d’aide militaire, représentant des dizaines de milliards de dollars se tarirait soudainement. Trump et ses fidèles du parti républicain n’ont laissé planer aucun doute à ce sujet. L’apparition de Zelensky à Munich n’en est que plus désespérée. Il a également évoqué la mort d’Alexei Navalny. Poutine a envoyé un message clair. Pour la énième fois, il a réitéré ses demandes de nouvelles armes, de plus de munitions, d’un soutien continu et d’une intégration de l’Ukraine dans l’OTAN. D’une voix rauque, il a lancé un appel à la conscience de ceux qui maintiennent son effort de guerre : « Ne faites rien, faites tout pour que nous puissions gagner ». Bien sûr, cet appel s’adressait aux États-Unis en particulier.

Mais Nancy Pelosi a pu démontrer à quel point les soutiens de Zelensky à Washington ne pensaient pas sérieusement à augmenter les aides militaires à l’Ukraine. La démocrate et ancienne présidente de la Chambre des représentants des États-Unis a lancé des slogans de persévérance contre la lassitude de la guerre qui se répand. Il n’y a pas de place pour la fatigue : « Nous devons continuer à nous battre ». Le président Biden veut maintenir le soutien : « La victoire est la seule option ». Mais, bien sûr, Pelosi doit aussi être consciente de la faible probabilité que Biden puisse battre Trump aux prochaines élections. La lassitude de la guerre aux États-Unis n’est pas le seul problème pour Zelensky. Cette lassitude se fait également sentir à l’intérieur du pays, où il devient de plus en plus difficile de trouver de nouvelles recrues. Et les choses ne se présentent pas très bien non plus sur le plan militaire. Récemment, les troupes ukrainiennes ont été contraintes d’abandonner la ville d’Avdiivka, qui revêt une importance stratégique. Un millier de soldats ukrainiens auraient été faits prisonniers. Zelensky a récemment qualifié la situation sur le front d’« extrêmement difficile ».

Hypocrisie sur Gaza et danger d’une extension régionale de la guerre

Alors que la guerre en Ukraine se poursuit sans relâche, une guerre meurtrière fait également rage dans la bande de Gaza depuis plus de cinq mois, à la suite d’une offensive du Hamas le 7 octobre dernier, et qui a déjà fait quelque 30 000 morts du côté palestinien ainsi que des centaines de milliers de déplacés. Alors que le président israélien Isaac Herzog, dans un acte de pur cynisme, s’est permis de présenter à la Siko la « vision israélienne de la paix au Moyen-Orient », le Premier ministre Benjamin Netanyahu continue de planifier l’invasion de Rafah, le dernier refuge de la population de la bande de Gaza, et son expulsion complète dans le désert. L’ancien chef de l’armée israélienne Benjamin Gantz, aujourd’hui membre du « cabinet de guerre » de Netanyahou, a annoncé que l’offensive commencerait au début du mois de jeûne islamique du Ramadan.

Ainsi, alors que « l’avenir des relations israélo-palestiniennes » - titre d’un autre panel - est discuté diplomatiquement à la Siko, le régime israélien continue son offensive contre le peuple palestinien. Une rencontre entre les présidents israélien et qatari s’est tenue en marge de la Siko, à laquelle le président de la conférence, Christoph Heusgen, a fièrement fait référence dans son discours de clôture. Même l’Union européenne appelle désormais presque unanimement à un cessez-le-feu, tandis que la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock (Parti vert), feint également de s’inquiéter pour les habitants de Rafah, tout en refusant d’appeler elle-même à un cessez-le-feu lorsqu’on lui pose la question. Rien de tout cela ne peut détourner l’attention du fait que les puissances impérialistes continuent de soutenir inconditionnellement l’État d’Israël dans sa guerre génocidaire contre la population de Gaza, non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan militaire, dans la mesure où l’Allemagne et d’autres pays ne cessent pas non plus de lui fournir des armes.

Si les puissances impérialistes s’inquiètent de l’avenir de la région, ce n’est pas à cause du massacre en cours du peuple palestinien, mais à cause du risque que la guerre s’étende à la région et provoque une conflagration au Moyen-Orient, qui pourrait entraîner l’Égypte dans la guerre et, à long terme, pourrait même conduire à une guerre entre les États-Unis et l’Iran. Comme le souligne Claudia Cinatti : « L’administration Biden n’est pas seulement complice du génocide israélien à Gaza, elle l’a rendu possible. Dans le même temps, cependant, sa politique consiste à désamorcer le conflit en coopération avec l’Arabie saoudite et d’autres alliés dans le monde arabe afin d’éviter que la dynamique ne dégénère en une guerre régionale qui pousserait une fois de plus les États-Unis à s’impliquer directement avec des troupes au Moyen-Orient ».

Entre-temps, les plans du gouvernement Netanyahu pour une Gaza d’après-guerre ont été dévoilés et officiellement présentés au cabinet. Il n’y aura pas de colonies israéliennes dans la bande côtière. Cependant, il est clair que Netanyahu souhaite que Gaza tombe sous le contrôle total d’Israël. Entre-temps, la situation en mer Rouge menace de s’aggraver. Les forces américaines ont détruit des missiles de croisière d’Ansar Allah (Houthis) au Yémen. Un État qui n’a pas participé à de telles missions depuis longtemps y participe également avec une frégate : l’Allemagne a envoyé la frégate « Hessen » dans le cadre de la mission « Aspides » de l’UE. Selon le ministre de la défense, M. Pistorius, il s’agit du « déploiement naval le plus dangereux depuis des décennies ». Les effectifs de la mission pourraient être portés à 700 soldats. D’une manière générale, il n’y a pas eu de protestations de la part du public.

Allemagne : des signes annonciateurs d’un réarmement

« Tout n’est rien sans sécurité ». Tel est le message central du discours du chancelier allemand Olaf Scholz (Parti social-démocrate, SPD) lors de la Conférence sur la sécurité. Le chancelier n’a probablement jamais dit aussi ouvertement que son gouvernement était prêt à tout subordonner aux politiques de réarmement et de préparation aux conflits armés. En revanche, son ministre libéral des finances, Christian Lindner, s’est exprimé encore plus précisément sur ce qui doit être subordonné à la « sécurité » : il souhaite notamment geler les dépenses sociales dans les années à venir. Christoph Butterwegge, chercheur spécialiste de la pauvreté, a parlé d’un « tournant sociopolitique ». Cependant, les efforts militaristes ne semblent pas aller assez loin pour certains secteurs du gouvernement. La députée Marie-Agnès Strack-Zimmermann (Parti libéral, FDP), par exemple, a critiqué le fait qu’une nouvelle motion formulée par les partis au pouvoir pour soutenir davantage l’Ukraine n’incluait pas explicitement la livraison de missiles de croisière « Taurus », mais parlait simplement de « systèmes d’armes à longue portée ». Les missiles seraient capables d’atteindre des cibles à l’intérieur du territoire russe. Entre-temps, le parlement allemand a provisoirement voté contre la livraison de Taurus, mais en faveur de la livraison d’armes à longue portée.

Le discours de Scholz à la conférence sur la sécurité a exprimé les faiblesses de l’impérialisme allemand au-delà des efforts de réarmement implicitement exprimés et de leurs difficultés. Il a presque exclusivement parlé de dissuasion de la Russie et de la nécessité de fournir davantage d’armes à l’Ukraine. Pourtant, les organisateurs s’étaient vantés à l’avance que les représentants de ce que l’on appelle le « Sud Global » seraient particulièrement bien représentés à la réunion de cette année. M. Scholz n’est certainement pas intervenu dans ce sens. En particulier, il s’est abstenu de suggérer toute critique des actions brutales d’Israël à Gaza, comme l’expriment de plus en plus de gouvernements de pays n’appartenant pas à la structure de l’alliance occidentale. La tâche de médiation aurait pu incomber au ministre allemand de la défense, Boris Pistorius, qui avait participé à un panel avec ses homologues de Tanzanie et de Singapour.

Cependant, il a lui aussi parlé principalement de la Russie et de l’Ukraine. Il a lui aussi lancé des appels à la persévérance : « Notre soutien à l’Ukraine est constant et conçu pour durer. Nous persévérerons. Nous persévérerons ». Comme son collègue Scholz, il a souligné les efforts en matière de réarmement de l’Allemagne. L’Allemagne s’enorgueillit de consacrer plus de deux pour cent de son produit intérieur brut à l’armement. Mais là où l’impérialisme allemand a fait , Pistorius veut toujours plus. Il se proclame en effet « suffisamment réaliste pour comprendre que cela pourrait ne pas suffire dans les prochaines années. Il pourrait y avoir besoin de trois ou trois et demi pour cent à l’avenir ». L’appel à une augmentation de l’objectif de l’OTAN a déjà été accueilli avec satisfaction par les principaux responsables politiques du pays. Martin Knobbe a déclaré à Der Spiegel : « Le point de basculement doit enfin arriver », interpellant Pistorius sur le fait que l’objectif fixé par les membres de l’OTAN de consacrer 2 % du produit intérieur brut à la défense ne serait pas suffisant pour permettre à l’Europe de résister à Poutine.

Cette campagne médiatique n’est pas sans effet sur l’opinion publique, comme le montre le dernier polybaromètre de la chaîne de télévision publique ZDF. Soixante-deux pour cent des personnes interrogées estiment que les pays européens devraient fournir davantage d’armes à l’Ukraine. En janvier, ce chiffre était de 51 %. Même si cela implique des économies dans d’autres domaines, 72 % des personnes interrogées sont favorables à une augmentation des fonds alloués à la Bundeswehr. Ce chiffre a lui aussi considérablement augmenté. En ce qui concerne les pays du Sud, M. Pistorius a prévenu que nous devions « coopérer » avec ces puissances émergentes « beaucoup plus que nous ne l’avons fait jusqu’à présent ». Toutefois, M. Pistorius sait également que l’offre de l’Allemagne est faible. Il a dû admettre qu’il ne peut pas « forcer ces puissances à choisir un camp ». Mais d’autres ont également du mal à convaincre les « puissances émergentes ».

Ainsi, Annalena Baerbock, ministre allemande des affaires étrangères, et Anthony Blinken (États-Unis) se sont entretenus avec leur homologue indien, Subrahmanyam Jaishankar. Lorsque M. Blinken a évoqué la concurrence stratégique avec la Chine et a souligné que les pays devaient se voir offrir de bonnes contreparties par les pays de l’Alliance Atlantique, M. Jaishankar s’est montré confiant dans sa position de non-aligné, entretenant des discussions avec plusieurs grandes puissances : « Pourquoi cela devrait-il être un problème ? Si je suis assez intelligent pour avoir différentes options, ils devraient m’admirer et non me critiquer. Est ce un problème pour les autres ? Je ne pense pas, pour le moment en tout cas. ».

Le réarmement militaire n’est qu’une condition parmi d’autres pour devenir une véritable puissance de premier plan. L’impérialisme allemand semble de plus rencontrer de difficultés à trouver des alliances dans un ordre mondial remis en question au-delà du périmètre traditionnel de l’OTAN. Les voyages diplomatiques de représentants gouvernementaux allemands, dont Pistorius, en Afrique ou en Amérique du Sud, par exemple, n’ont pas donné de résultats significatifs ces dernières années. Un « partenariat d’égal à égal » avec l’Allemagne, tel qu’il est proposé par l’impérialisme allemand, ne semble guère susciter d’intérêt.

Russie et Chine : signes d’un monde multipolaire pacifique ?

Environ 2 500 personnes ont manifesté contre la tenue de la conférence sur la sécurité. Cette année, la guerre à Gaza et le génocide mené par Israël contre la population palestinienne ont occupé le devant de la scène. C’est pourquoi, aux côtés du bloc anticapitaliste qui a mené la manifestation, il y avait également un important bloc pro-palestinien. Aussi réussie et importante qu’ait été cette manifestation, l’Alliance d’action qui l’a organisée avait toutefois des difficultés à proposer une perspective politique à la protestation. Émanation du mouvement pacifiste historique, fortement influencée par le stalinisme, elle est en déclin depuis des années et traverse une crise d’orientation depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine.

Certaines déclarations de l’Alliance résonnent du même ton diplomatique que les interventions faites lors de la conférence sur la sécurité elle-même : « pour surmonter les défis mondiaux, l’humanité a besoin de la volonté de coopérer et de renforcer l’Organisation des Nations unies (ONU) et d’autres forums qui permettent le dialogue ». L’Alliance se dit convaincue que ces forums « sont minés par des actes de propagande tels que ceux de Siko ». Au même moment, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, prononçait le discours d’ouverture de la conférence en appelant à « davantage de diplomatie pour la paix, davantage de volonté politique pour la paix et davantage d’investissement dans la paix ». Le président de la Siko, M. Heusgen, connaît également très bien les Nations unies : il a été le représentant permanent de l’Allemagne auprès de l’ONU sous Angela Merkel entre 2017 et juin 2021.

Cependant, une fois passé le discours d’ouverture de Guterres, la conférence s’est poursuivie comme à l’accoutumée, sans qu’aucune volonté de paix ne ressorte particulièrement des discussions. Guterres et l’ONU ont été invités à jouer le rôle de la bonne conscience, ce qui ne correspond que trop bien au rôle impuissant de l’ONU sur la scène internationale. Aucune demande de renforcement des pouvoirs des institutions internationales de la part de la gauche ne pourra changer cette situation.

N’y a-t-il que de la naïveté derrière cette demande ? Peut-être pour partie. Toutefois, les espoirs que place l’Alliance d’action envers l’ONU doivent plutôt être compris comme faisant partie d’une recherche d’acteurs internationaux pour faire contrepoids à « l’Occident », tels que la Russie et la Chine. C’est d’ailleurs que qui ressort de leur appel à manifester, dans lequel on peut lire : « L’équilibre des pouvoirs dans le monde s’éloigne de la domination de l’"Occident" pour aller vers un renforcement des pays opprimés regroupés autour de la "rivale systémique" qu’est la Chine ». Il faut presque comprendre ce passage comme si la Chine, qui a depuis longtemps des traits impérialistes et qui est en passe de devenir une grande puissance mondiale, était également considérée comme un pays opprimé.

L’alliance a également appelé à « une coopération et une solidarité pacifiques à l’échelle mondiale sur un pied d’égalité ». Elle exprime la même illusion que le politologue social-démocrate Herfried Münkler sur lequel nous avons publié un article spécifique dans ce numéro d’IdZ, à savoir qu’il peut y avoir un équilibre pacifique entre les grandes puissances montantes et celles qui sont en déclin. Le ministre des affaires étrangères Wang Yi a souligné que la Chine souhaitait jouer un rôle dans la garantie de cette stabilité entre les grandes puissances. Il a défendu le partenariat avec la Russie, ainsi que ceux avec l’Europe et les États-Unis. Il a également souligné le rôle de médiation de son pays entre l’Arabie saoudite et l’Iran. La Chine travaille également à la résolution du conflit palestinien. Enfin, la Chine s’est engagée à renforcer les Nations unies, un programme qui ressemble étrangement aux positions de l’Alliance anti-Sikh. Après l’attaque militaire russe de l’année dernière contre l’Ukraine, l’Alliance avait dû adopter une position un peu plus critique à l’égard de la Russie, mais celle-ci s’était déjà évaporée lors des manifestations de cette année. Il est vrai que l’époque où les drapeaux russes étaient un élément permanent des manifestations est définitivement révolue. Cependant, le discours de l’Alliance de cette année au Stachus de Munich a également souligné qu’il ne peut y avoir qu’une « Europe pacifique avec, et non contre la Russie ».

Les membres de l’Alliance d’action de Munich ne sont pas les seuls à défendre ces positions. Il existe aujourd’hui des organisations beaucoup plus importantes qui les partagent dans une large mesure. La première et la plus importante est l’alliance de Sahra Wagenknecht (BSW). Cependant, le parti populiste et souverainiste DIE LINKE n’était pas présent aux manifestations. La vision, qui a été présentée par les représentants de l’Alliance d’une manière quelque peu cryptique et rhétorique, a récemment été expliquée plus clairement par Wolfgang Streeck dans le New Statesman. Pour garantir la paix plutôt que la guerre, l’Allemagne doit se libérer des griffes géostratégiques des États-Unis ; l’Allemagne doit être guidée par ses intérêts nationaux plutôt que par sa loyauté à l’égard de la prétention américaine à dominer la politique mondiale.

L’appel de Wagenknecht à mettre fin à l’embargo sur le pétrole et le gaz, par exemple, va précisément dans ce sens. La renonciation aux États-Unis proposée par Wagenknecht peut être qualifiée de « souverainiste ». Wagenknecht et son parti n’auraient certainement pas été dépaysés dans une autre manifestation. Non loin de la manifestation de gauche, une manifestation du spectre de la « pensée latérale » s’est rassemblée sur la Königsplatz. Au lieu des drapeaux palestiniens, ce sont les drapeaux nationaux allemands qui prédominent. Mais ici aussi, on trouve une version un peu plus à droite du souverainisme, qui veut que l’Allemagne se désengage des États-Unis et cherche un équilibre avec la Russie et la Chine. L’une de ses figures, Jürgen Todenhöfer, a déclaré : « L’intérêt de l’Allemagne n’est pas la guerre avec la Russie, mais la paix avec la Russie, le partenariat avec la Russie, l’amitié avec la Russie ». Les matières premières russes, combinées à la puissance technologique de l’Europe, pourraient être synonymes de liberté et d’indépendance vis-à-vis des États-Unis. Wagenknecht et Todenhöfer pourraient réellement unir leurs forces s’ils ne devaient pas renoncer à leurs propres projets.

Une perspective ouvrière indépendante

Les tendances aux guerres et aux crises organiques dans différents pays s’intensifient. Les visions les plus « progressistes » dans cette situation internationale de plus en plus turbulente, qui se sont exprimées dans la Siko, espèrent une stabilité multilatérale, mais leurs partisans en doutent. On ne peut pas dire que le bloc Chine-Russie ait un caractère progressiste simplement parce que les deux États se positionnent comme « anti-occidentaux ». La vision « souverainiste », tantôt plus, tantôt moins à gauche, d’une plus grande « indépendance » vis-à-vis des États-Unis sous la direction de l’Allemagne, qui va de pair avec l’illusion multipolaire, ne peut masquer le fait qu’il existe de puissants intérêts du capital impérialiste derrière les différents acteurs multipolaires. Outre la subordination à la direction politique de la Chine et de la Russie, la gauche allemande et internationale a tendance à suivre de facto les États de l’OTAN. Le magazine de gauche Ak a publié une telle position sur la couverture de son numéro actuel, ce qui aurait également convenu à un média conservateur avec des ajustements rhétoriques mineurs.

Sous le titre « Le désordre mondial multipolaire », il n’appelle même plus au soutien de la population ukrainienne ou d’une gauche ukrainienne censée lutter contre l’invasion russe. Au lieu de cela, Hanna Perekhoda appelle à la « solidarité avec l’Ukraine », déplore les « graves conséquences de la multipolarité émergente » et prône « l’universalité des normes » ainsi que « l’universalité des sanctions en cas de violation de ces normes ». Cependant, Perekhoda n’ose plus dire que, bien entendu, seuls les États impérialistes de l’Ouest peuvent appliquer de telles sanctions. Dans cette « pensée par blocs », où la classe ouvrière et la jeunesse sont censées ne pouvoir choisir qu’entre des blocs de capital plus ou moins « progressistes », il ne peut y avoir d’issue aux profonds phénomènes de crise du capitalisme.

Cependant, les convulsions depuis la Grande Récession de 2008, aggravées d’abord par la pandémie et la guerre en Ukraine et maintenant par le génocide israélien à Gaza, ont déjà mis en évidence d’importants phénomènes de lutte des classes. Bien que la lutte des classes ait été, après Trump et Poutine, le troisième facteur absent de la Siko - elle n’a pratiquement pas joué de rôle non plus dans les contre-manifestations officiellement organisées - elle est devenue partie intégrante de la situation internationale. C’est aussi la lutte des classes qui seule peut freiner le phénomène politique marquant du moment : la montée de l’extrême droite à l’ombre de la militarisation dans plusieurs pays du centre et de la périphérie. En témoigne la volonté de lutte manifestée par d’importants secteurs de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses. Aujourd’hui, c’est particulièrement vrai pour le mouvement contre le génocide à Gaza qui, malgré une agitation et une répression massives, est probablement le plus grand mouvement anti-guerre et anti-impérialiste depuis la guerre du Vietnam. Mais les importantes luttes ouvrières de ces dernières années, en particulier dans les pays centraux, comme la lutte contre la réforme des retraites en France ou les vagues de grèves aux États-Unis, en Grande-Bretagne et même en Allemagne, témoignent également d’un changement dans la conscience de millions de personnes.

En tant qu’organisateur de la conférence, il revenait à M. Heusgen de formuler quelques remarques finales le dimanche. Il a demandé quels étaient les « bons côtés » des crises mondiales. Pour M. Heusgen, l’espoir réside dans le président ukrainien Zelensky, dans l’alliance transatlantique et dans la diversité, avec davantage de femmes et de représentants du Sud Global dans l’OTAN et les gouvernements.

Notre perspective est différente : au lieu de placer nos espoirs dans la bonté de telle ou telle grande puissance, nous comptons sur la force de mobilisation des travailleurs et des jeunes. C’est ainsi que les crises et les guerres s’accompagneront de plus en plus de révoltes et, potentiellement, de révolutions.


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