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Opinion

Génocide à Gaza. La mobilisation du peuple jordanien montre la voie

Si le peuple palestinien a été trahi par les bourgeoisies arabes et la monarchie jordanienne, les mobilisations à Amman contre le génocide à Gaza peuvent lui apporter un appui décisif et constituent un exemple pour les masses arabes de toute la région.

Enzo Tresso

22 avril

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Génocide à Gaza. La mobilisation du peuple jordanien montre la voie

Le 13 avril au soir, Abdallah II, roi de Jordanie engageait l’aviation jordanienne aux côtés d’Israël pour assister l’Etat colonial dans les opérations d’interception des missiles et des drones iraniens. Partageant des renseignements stratégiques et ouvrant son espace aérien à Israël, les autorités jordaniennes ont choisi leur camp : le même depuis 1948 et la collaboration active du Royaume hachémite au démembrement de la Palestine. Alors que les Jordaniens manifestent, presque chaque soir, depuis trois semaines, devant l’ambassade israélienne à Amman, la participation sans précédent de la monarchie réactionnaire aux opérations d’interception a aiguillonné la colère des Jordaniens. Comme le résumait, dans un tweet lapidaire un avocat jordanien, « le roi de Jordanie a fait tomber des missiles iraniens sur ses citoyens pour protéger Israël ».

La trahison de la monarchie jordanienne

Après que le roi a mis son aviation au service d’Israël, beaucoup de Jordaniens dénoncent une trahison. Comme l’indiquait Sean Yom, spécialiste du Moyen-Orient et chercheur à la Temple University de Philadelphie, à Al-Jazeera, « certains ont critiqué le gouvernement pour sa collaboration avec les Etats-Unis et Israël et l’interception des missiles iraniens et des drones. Publiquement, la plupart des gens blâment Netanyahou puisque l’Etat d’Israël a bombardé le consulat iranien à Damas, et bien sûr le génocide à Gaza ». Omar, manifestant à Amman, dénonce également la coopération avec Israël : « La Jordanie était censée laisser passer les missiles iraniens parce qu’ils visent notre ennemi et l’ennemi de tous les pays arabes ». Une autre manifestante, étudiante à Amman, parle des sentiments contradictoires qu’elle a éprouvés lors de l’attaque iranienne : « C’était une nuit difficile. L’Iran n’est pas populaire en Jordanie de manière générale. Mais je rejette l’interception des missiles iraniens et l’implication involontaire de la Jordanie dans cette guerre ». Si Hussein, militant politique, se montre également méfiant à l’égard de l’Iran, il dit sa colère devant la trahison du roi : « Je suis profondément en colère au regard de la manière dont la Jordanie a défendu Israël. Beaucoup de personnes n’acceptent pas cela. Nous ne supportons pas l’Iran et nous considérons qu’il a sa part de responsabilité dans ce qui se passe à Gaza. Mais nous supportons toute action qui pourrait empêcher Israël d’y poursuivre ses opérations ».

Alors que la Jordanie est en négociation avec Israël pour le renouvellement de l’accord sur l’accès à l’eau que l’Etat colonial conditionne à la restauration de « relations diplomatiques normales » et à l’arrêt des manifestations, les Jordaniens estiment que leur gouvernement cède aux pressions israéliennes et tente de donner des gages à leur bourreau. Prenant les rues d’Amman par milliers depuis trois semaines, ils se rassemblent presque tous les soirs devant l’ambassade israélienne pour y dénoncer la trahison de leur gouvernement et témoigner de leur solidarité active à la cause palestinienne.

Des mobilisations exemplaires qui inquiètent le régime

Rejetant avec une radicalité nouvelle la coopération de leur gouvernement avec Israël, les Jordaniens ne demandent pas seulement un cessez-le-feu à Gaza : ils exigent l’abrogation du traité de paix signé en 1994, la suspension de toutes les relations diplomatiques et le démantèlement du pont terrestre qui permet à Israël d’acheminer des marchandises depuis la Chine, en passant par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et la Jordanie et de contourner le blocus en mer rouge qu’imposent les Houthis. Consternés par l’attitude de la monarchie à l’égard d’Israël, ils dénoncent la répression des mobilisations, la censure politique qui écrase l’opinion publique et l’hypocrisie de la monarchie qui apporte un soutien cosmétique au peuple palestinien en participant aux largages humanitaires au-dessus de la bande de Gaza et en administrant plusieurs hôpitaux dans l’enclave.

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Très fragilisé, le gouvernement jordanien n’a qu’une réponse à apporter aux exigences de son peuple : répression et calomnie. Imposant une ferme censure et procédant à des arrestations par centaine, comme le rapporte Amnesty International, la monarchie déploie depuis plusieurs semaines ses forces de sécurité pour réprimer les manifestants et défendre l’ambassade. Pays sans richesse, il dépend des aides étatsuniennes et des ressources hydriques et énergétiques de l’Etat d’Israël dont la monarchie ne peut cependant bénéficier qu’à satisfaire sa fonction de contention des énergies contestataires des Palestiniens qui ont trouvé refuge sur son territoire en 1948 et en 1967 et de leurs descendants. Qu’un pays qui compte deux millions de réfugiés palestiniens et dont plus de la moitié de la population est d’origine palestinienne interdise de brandir le drapeau de la Palestine lors des manifestations témoigne de la crise dans laquelle la résistance populaire plonge le régime. Les fondations du régime ont été profondément déstabilisées tandis que la rupture entre le gouvernement et la population ne cesse de se renforcer, comme le souligne Jose Ciro Martinez, spécialiste de la Jordanie : « Normalement, lors des manifestations intérieures, le roi remplace le premier ministre. Mais il ne peut rien offrir aux manifestants cette fois-ci et lorsque la monarchie n’a rien à offrir, elle commence à arrêter les gens ».

L’offensive génocidaire de Tsahal à Gaza et les manifestations populaires ont en outre fragilisé l’appareil sécuritaire du régime, comme l’expliquait Said al-Sharafat, ancien général de brigade des renseignements jordaniens, au Washington Post le 28 mars dernier : « La Jordanie est dans une position peu enviable. L’inquiétude est palpable chez les dirigeants du gouvernement. Le déploiement fréquent de la police anti-émeute draine les faibles ressources de l’économie fragile de la Jordanie. Et il y a le fardeau émotionnel qui pèse sur la police elle-même, dont beaucoup de policiers sont Palestiniens. Après avoir jeûné de l’aube au couchant, ils passent désormais la nuit à affronter les manifestations. La position de la Jordanie est actuellement en crise… et les interrogations persistent quant à la manière de gérer les prochaines étapes, de gérer les manifestations. L’espace dont dispose le gouvernement pour manœuvrer est très étroit ».

Les Jordaniens montrent la voie

Vendredi 19 avril, des manifestations ont eu lieu dans tout le pays. La censure ne pouvant nier leur existence, elle tente d’en dissimuler le contenu revendicatif et les présente comme des manifestations en soutien aux initiatives humanitaires de la monarchie, sans que cela ne trompe personne. Si la répression a amputé le mouvement d’une partie de ses forces à Amman, des centaines de personne continuent de manifester le soir et il est probable que l’accalmie ne soit que temporaire tant les colères accumulées menacent de s’exprimer à nouveau.

Lire aussi : Invasion de Rafah : une nouvelle étape dans le génocide des Palestiniens

Déstabilisant le régime jordanien et menaçant de priver Israël d’un de ses appuis régionaux, les mobilisations du peuple jordanien montrent la voie et témoignent avec clarté du rôle central des masses populaires arabes dans la lutte pour la libération de la Palestine. Si l’autodétermination du peuple palestinien a sans cesse été empêchée par les puissances occidentales mais aussi par les trahisons répétées des bourgeoisies arabes et de la monarchie jordanienne, les mobilisations à Amman et dans le reste de la région peuvent apporter un appui décisif au peuple palestinien : isolant l’Etat d’Israël et le privant du soutien des Etats limitrophes, elles ont le pouvoir de briser la puissance de contention des gouvernements conciliateurs. Elles offriront aux Palestiniens des appuis solides pour mener leur combat sans que leur résistance ne soit plus instrumentalisée par les bourgeoisies conciliatrices arabes qui ne voient dans la cause palestinienne qu’une note de bas de page en marge des traités.

Lire aussi : Criminalisation des militants pour la Palestine : l’autre face du soutien au génocide d’Israël

Alors que le mouvement de soutien à la Palestine connait un rebond significatif aux Etats-Unis et dans le reste du monde, le peuple jordanien montre la voie. Tandis que les institutions internationales ont encore démontré qu’elles étaient incapables d’entraver la course génocidaire qu’a adoptée Israël et d’aller à l’encontre des intérêts des puissances impérialistes qui les ont créées, les mobilisations des masses jordaniennes constituent, pour l’heure, la force populaire la plus capable d’interrompre les opérations génocidaires de Tsahal à Gaza et l’avant-garde de la lutte pour la libération de la Palestine dans le monde arabe.


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