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Indonésie/Indo-Pacifique

Elections en Indonésie : l’extrême-droite militaire à la rescousse du clan Widodo

Jeudi 29 février, le Président indonésien Joko Widodo conférait à son Ministre de la Défense Prabowo Subianto le grade de général à quatre étoiles : une manière de cautionner le programme militariste du haut-gradé, son allié et grand gagnant des élections générales de l’archipel-Etat. Si le décompte des voix se poursuit, tout semble indiquer une victoire de l’alliance Joko-Prabowo.

Virdas

6 mars

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Elections en Indonésie : l'extrême-droite militaire à la rescousse du clan Widodo

Alors que les élections générales de l’archipel indonésien se sont tenues le 14 février dernier, 80% des votes comptés donnent au Parti Démocrate de Combat Indonésien (PDIC) de Joko Widodo un clair avantage de 58.82%. La mouvance social-libérale dépasse largement ses rivaux, avec à sa tête le militaire réactionnaire Prabowo Subianto, chef des armées du gouvernement sortant. Le candidat indépendant Anies Baswedan, ancien gouverneur de Jakarta, récolte jusque là 24.49% du scrutin, après une campagne où il a particulièrement défendu les libertés civiques attaquées selon lui par dix ans de gouvernement Joko. Avec 16.68 pour cent des voix dépouillées, Ganjar Pranowo, dissident du PDIC, n’a pas réussi à imposer son discours de gauche populiste contre la corruption alléguée du président sortant.

De Joko à Gibran : droitisation de l’ancien parti de rupture

Lors de son élection en octobre 2014, c’était pourtant Joko qui donnait l’image d’un candidat anti-oligarque. Se présentant comme d’origine modeste, son entreprise familiale de meuble en tek -ouverte dans les années 90 à des capitaux français- lui a néanmoins facilité une ascension politique sans heurts, de maire de la ville de Surakarta à Gouverneur de l’île de Jakarta. Lorsqu’il se présente aux éléctions présidentielles de 2014 pour le PDIC, l’Indonésie porte encore les séquelles de la dictature d’extrême-droite du Général Suharto, entre 1968 et 1998. L’élite politique indonésienne, dans son ensemble laïque, fait face aux pressions et aux attaques des groupes islamistes ayant comblé le vide laissé par les forces syndicales et communistes persécutés par Suharto.

Joko donne l’image d’un président du peuple soucieux de l’unité nationale. Son premier mandat est marqué par le maintien des investissements étrangers dans le gaz et le pétrole, et la promulgation de plusieurs mesures sociales. Malgré sa grande popularité, le deuxième mandat du gouvernement Joko est rattrapé par des accusations de corruption et de népotisme. La constitution indonésienne interdisant un troisième mandat, Joko intronise son fils Gibran Rakabuming Raka comme nouvelle tête d’affiche du PDIC. Mais Gibran doit se contenter d’une position de colistier en raison de son âge, inférieur au minimum constitutionnel de 40 ans. Le père et le fils ont donc fait appel au charisme de Prabowo Subianto. Issu du parti de droite populiste Gerinda (Mouvement pour la Grande Indonésie). Prabowo avait été nommé Ministre de la Défense lors de la formation du deuxième gouvernement Joko. Ce dernier poursuit ainsi ouverture désormais assumée vers la droite suhartiste.

L’élection de février 2024 a été marquée par l’énergie de ce renouveau dynastique. En promettant entreprenariat et tertiarisation économique à celles et ceux qu’il nomme lui-même « milleniaux » et Gen Z », Gibran s’adresse à une jeunesse consciente d’elle-même, dans un état où 60% de l’électorat a entre 17 et 39 ans. Particulièrement touchée par l’exode rural, cette composante urbanisée de la population a été gagnée par les promesses de dynamisme matériel du tandem vainqueur.

Gibran promet l’emploi, Prabowo la grandeur. Le général septuagénaire annonce de grands chantiers régaliens pour redonner à l’Etat son influence régionale, qui a diminué au cours des 20 dernières années. La formule aura été gagnante, dans un archipel géographiquement et religieusement morcelé. L’élection de Joko en 2014 était tributaire de son programme social et pluraliste, plébiscité par de larges parties de la classe ouvrière et des minorités religieuses. Largement déçus, ces électorats se sont détournés du clan au pouvoir. D’où l’intérêt de galvaniser un vote plus largement conservateur, en s’alliant au garant d’un ordre réactionnaire et suprémaciste.

Prabowo : triomphe du néo-suhartisme

Après avoir libéré l’archipel du joug hollandais en 1945, le président Sukarno instaure un régime socialisant proche de ceux de Nasser et Nehru, ses compagnons de la Conférence de Bandung en 1955. Sukarno nationalise les grandes compagnies industrielles hollandaises, mais ménage les grandes familles terriennes locales.

A partir de 1965, Sukarno opère une restauration bourgeoisie bénéficiant de l’investissement des puissances impérialistes dans un archipel aux ressources naturelles importantes. Notamment le pétrole, le tabac et le café. Le départ de Sukarno laisse la place à un ordre encore plus réactionnaire. De 1968 à 1998, le régime militaire anti-communiste de Suharto garantit l’expansion d’une bourgeoisie comprador locale, exploitants agricoles et courtiers pétroliers donnant en retour leurs fils cadets à l’armée. A cette alliance du sabre et de la propriété s’ajoute la haute-fonction publique, elle-même souvent issue de l’armée et pleinement investie dans la circulation de capitaux entre l’archipel et les Etats impérialistes. C’est cette oligarchie contre laquelle Joko s’était initialement opposé, et avec laquelle il s’allie aujourd’hui en la personne de Prabowo.

Bien plus que le représentant de la bourgeoisie militaire, Prabowo est un nostalgique assumé du régime Suharto, dont il fut l’un des chiens de chasse redoutables de son état-major. Le futur président indonésien est ainsi accusé de tortures et de massacres au Timor oriental et en Nouvelle Guinée. Bien qu’il réfute ces accusations, Prabowo tient un discours ouvertement suprémaciste, militariste voire belliciste.

Pour cette génération d’anciens suhartistes, le projet hégémonique de « Grande Indonédie » défendu par la constitution indonésienne, a été mis à mal par plusieurs revers diplomatiques. En 2001, l’Indonésie perd deux importants gisements pétroliers au profit de la Malaisie, dont le PIB dépasse aujourd’hui celui de son immense voisin. Mais c’est l’indépendance du Timor oriental en 2002 qui constitue une humiliation sans précédent pour l’hégémonisme de Jakarta. Quant au détroit de Malacca, où transitent les deux tiers du commerce mondial, l’Indonésie se retrouve politiquement minoritaire dans sa cogestion des trafics maritimes avec la Thaïlande et la Malaisie, ces deux Etats étant davantage favorables à un arbitrage chinois.

Dans ses promesses électorales, Prabowo a défié ouvertement les voisins régionaux de l’archipel, insistant sur son réarmement militaire et le maintien du colonialisme de peuplement en Nouvelle Guinée, indissociable d’un capitalisme d’extraction sur les ressources forestière de la région sous souveraineté indonésienne.

L’achat de six rafales à la France en février confirme les projets militaristes du nouvel homme fort de l’Indonésie, comme son alignement sur le pouvoir impérialiste à l’instar de l’extrême-droite indienne, dans un morcellement géopolitique asiatique en opposition à la Chine. En attendant son intronisation en octobre, Prabowo incarne la capitulation du social-libéralisme des Jiwodo envers un militarisme d’extrême-droite prêt à brutalement rebattre les cartes de l’Asie du Sud-Est.


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