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Palestine

Déploiement des forces arabes à Gaza et évacuation du Hamas : un plan saoudien soumis au Quai d’Orsay

Un document confidentiel, consulté par Le Monde, révèle l’existence d’un plan de paix saoudien, dont le caractère officiel n’est pas encore confirmé, qui prévoit l’évacuation à Alger de la direction du Hamas, l’occupation arabe de Gaza et la formation d’un conseil unifié de gouvernance.

Enzo Tresso

21 décembre 2023

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Déploiement des forces arabes à Gaza et évacuation du Hamas : un plan saoudien soumis au Quai d'Orsay

Crédit photo : Mohammad bin Salman, prince héritier d’Arabie saoudite, @Wikimedia creative commons

Si la diplomatie française s’est illustrée par ses incohérences et ses hésitations depuis le 7 Octobre sur fond d’un soutien très important accordé à l’Etat d’Israël et à l’opération génocidaire de Tsahal à Gaza, le Quai d’Orsay aurait reçu un projet de « plan de paix » saoudien. Rédigé par le Gulf Research Center, un think-thank saoudien, après un entretien entre Abdelaziz Al-Sager et Anne Grillo, directrice du département Moyen-Orient au ministère des Affaires Étrangères, le document, dont l’officialité n’est pas encore attestée, pourrait refléter certaines positions du gouvernement saoudien. Le document confidentiel, que Le Monde a pu consulter, suggère, entre autres, d’évacuer les « dirigeants militaires et sécuritaires du Hamas » à Alger, de déployer des forces arabes de maintien de la paix à Gaza, sous l’égide des Nations Unies, et de créer un « conseil de transition conjoint », réunissant les différentes composantes de la résistance palestinienne, du Fatah au Hamas en passant par le Jihad Islamique. Sans que son authenticité puisse être pour l’heure confirmée, ce plan fait signe vers l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien par les différentes bourgeoisies arabes dans le cadre de la reconfiguration des rapports de force au Moyen-Orient.

Dans l’hypothèse où le document émanerait d’une instance officielle du gouvernement saoudien, il illustre l’infléchissement relatif de la position saoudienne. Engagée, avant le 7 octobre, dans un processus de normalisation de ses relations avec Israël, dans le cadre d’un accord de coopération sécuritaire et nucléaire sous tutelle étatsunienne, l’Arabie Saoudite ne peut désormais plus reléguer la question palestinienne au second plan. Contrainte par le massacre en cours et le fort sentiment pro-palestinien en interne à prendre ses distances à l’égard de l’Etat israélien, la monarchie saoudienne risquait de perdre en influence au profit de l’Iran et des autres pays arabes qui affichent un soutien plus net en même temps qu’intéressé à la cause palestinienne.

Déjà à la tête du comité arabo-islamique, formé au début de la guerre, pour convaincre les puissances impérialistes occidentales de la nécessité d’un cessez-le-feu, tel plan permettrait à la monarchie de conserver son avantage politique dans la région tout en permettant au Fatah, officine sécuritaire supplétive de l’Etat colonial et désormais sans doute définitivement disqualifiée pour les Palestiniens, de restaurer son autorité à Gaza, dont l’organisation est absente depuis 2006, au lendemain de la guerre. En militant pour la réunification de la résistance dans un conseil unifié, sauvant le Fatah d’une crise de légitimité politique et de ses divisions internes, l’Arabie Saoudite pourrait renforcer son influence au détriment de l’Iran et des branches pro-iraniennes alliées du Hamas tout en stimulant la relégitimation du Fatah.

Tel plan permettrait, en outre, au régime saoudien de conserver ses relations diplomatiques avec Israël tout en apparaissant comme un acteur de la « paix » au Moyen-Orient, faisant des Etats Arabes les nouvelles forces de direction et de contention des territoires sous blocus.

Si l’ambassadeur d’Alger à Paris n’a pas répondu aux questions du Monde, l’Algérie semble de plus en plus clairement vouloir jouer un rôle dans le processus de stabilisation de la région, comme en témoigne la plainte autonome contre l’Etat d’Israël qu’elle a déposé devant la Cour Pénale Internationale (CPI). Si elle avait déjà accueilli sous la présidence d’Abdelmajid Tebboune les discussions de l’accord de réconciliation, signé en Octobre 2022, par quatorze factions de la résistance palestinienne, dont le Fatah et le Hamas, son président a reçu, dimanche 17 décembre, le secrétaire du Comité Central du Fatah, Jibril Rajoub qui a profité de la visite pour formuler un appel à l’unité des rangs « sous le drapeau algérien ».

Alors que l’Algérie s’apprête à entrer au Conseil de Sécurité de l’ONU, comme membre non-permanent, et qu’elle entretient des relations stables avec l’Iran et les Frères Musulmans, elle pourrait profiter de cette médiation pour s’imposer comme un acteur important dans les relations diplomatiques régionales et contribuer à une pacification du conflit et à une normalisation de la situation coloniale favorable à la continuation de ses échanges gaziers avec Israël.

En dépit de l’incertitude qui plane autour du document transmis au Quai d’Orsay, son contenu reflète les tentatives d’instrumentalisation de la guerre coloniale par les puissances arabes bourgeoises opportunistes. En organisant l’unification de la résistance sous l’égide du Fatah collaborationniste et en déployant des troupes à Gaza, les bourgeoisies arabes ratifieraient une fois de plus la mise à l’écart de la question de l’autodétermination palestinienne tout en entérinant le statut quo colonial, apparaissant à la fois comme des faiseurs de « paix » et des alliés politico-économique du gouvernement israélien.


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