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Témoignage. Une ville où "il fait bon étudier" ?

Ce que la Dépêche ne vous dit pas sur la vie étudiante toulousaine

En me levant, ce matin, j'ai découvert un article de La Dépêche, principal quotidien de la région toulousaine qui, reprenant un classement de la revue L’Étudiant, place Toulouse dans le top des villes où « il fait bon étudier ». Surprise de ne pas avoir su mesurer la chance que j'avais d'étudier dans la ville rose, j'ai décidé de vérifier à mon échelle si j'avais en effet accès aux meilleures conditions de vie qu'un étudiant vivant en France puisse espérer.{{}} {{}} A. Bronstein{{}}

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8h00. Je prends le métro pour me rendre à l’université. Pendant près d’une demie heure, je me retrouve écrasée contre des corps étrangers, ballottée par les mouvements de la rame. Je me demande si l’homme derrière moi ne profite pas de la situation pour se coller à moi. J’hésite à me retourner pour lui demander de s’éloigner, mais peut-être qu’il ne fait pas exprès. Je préfère me faufiler au milieu des visages endormis pour esquiver la confrontation.

Je n’ai pas à me plaindre, songe-je. Je peux circuler dans tout Toulouse pour « 100 euros par an, soit trois fois moins cher qu’à Paris ». Mais seulement tant que j’ai moins de 25 ans. Et ce même si je suis encore étudiante passé cet âge.

D’ailleurs, le syndicat des transports et la mairie sont en train de penser une augmentation des tarifs des transports à Toulouse d’ici janvier prochain, en particulier pour les étudiants non boursier.

J’ai envisagé de venir en cours en voiture, mais le problème c’est que les places de parking sont tellement rares que je suis presque sûre d’arriver en retard si je fais ce choix.{{}}

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10h00. Je repense au passage de l’article de la Dépêche qui évoque « la performance universitaire qui place Toulouse à une enviable 3e place en terme d’offre et de qualité de formation ». Assise depuis une heure et demie sur les marches d’un amphi surchargé, j’ai un peu de mal à profiter de « la qualité de formation » mentionnée plus haut. Mais tout de même, j’ai la chance d’avoir été acceptée dans la filière de mon choix, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

12h30. J’aimerais aller manger au restaurant universitaire, mais au vu du monde qui attend, j’aurai à peine le temps d’engloutir mon repas avant de retourner en cours. Je me rabats donc, comme à mon habitude, sur un panini à 4€ vendu dans plusieurs snacks à l’entrée de l’université. Plus cher et moins sain, certes, mais tellement moins contraignant.{{}}

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14h30. Voilà une demi-heure que j’essaie de suivre mon TD, malgré la petite salle bondée, étouffante, où il se tient. C’est drôle, l’article de la Dépêche parlait de « la population étudiante [qui] a augmenté de 8,3 % en 10 ans ». Si je recoupe cette information avec le fait que les dépenses faites par l’État pour l’université sont gelées depuis 2012, je comprends mieux pourquoi il y a toujours plus d’étudiants dans les TD auxquels que je suis inscrite. Je ne m’étonne plus d’être souvent accueillie dans des conditions déplorables. D’ailleurs, je me suis habituée à changer de salle tous les deux jours, parce que l’université est en travaux depuis que je suis arrivée à Toulouse. Régulièrement, on envoie les enseignants nous faire cours dans des préfabriqués ou des salles qui manquent cruellement d’équipement. Sans parler du bruit des chantiers qui couvrent bien souvent le bruit de nos conversations. Tout ça pour reconstruire une université plus petite que celle existante.

18h00. J’ai fini les cours, mais pas ma journée. Les loyers sont chers ici, et « on compte seulement 9 chambres [du CROUS] pour 100 étudiants ». Évidemment, comme je ne suis pas la plus à plaindre, ma demande de logement étudiant a été rejetée. Pour l’instant, je n’ai pas d’autre choix que travailler pour payer mon loyer, mais j’ai au moins réussi à éviter les jobs dans un fast-food. Même si je connais des gens qui travaillent dans des conditions bien pires, ou qui ne parviennent pas à trouver de travail compatible avec leurs études, je sais que ma double vie impacte ma capacité à me concentrer en cours, à étudier dans de bonnes conditions.

20h00. J’aimerais prévoir une sortie un peu festive avec mes amis, ce week-end, afin de décompresser. Mais les lieux culturels alternatifs que j’aimais fréquenter sont menacés. La Dynamo, la Chapelle, le Mix’Art... Autant de squats associatifs ou salles de concerts alternatives soumis à tellement de pression de la part de la municipalité, à des normes tellement strictes, que l’un est fermé, l’autre risque la même chose, et le troisième a été déménagé.

L’une de mes collègues est une étudiante marocaine. Je repense à l’article de la Dépêche : « 14 % des étudiants toulousains sont étrangers ». A défaut du « bon vivre » à Toulouse que vantent les journalistes, mon quotidien n’est pas entravé comme le sien par les méandres de l’administration française, dont l’intransigeance et la complexité sont bien trop souvent un obstacle à l’intégration des étudiants étrangers.{{}}

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22h00. J’ai fini de travailler, je rentre chez moi. Dans la rue, je suis déstabilisée et oppressée par le regard de certains hommes que je croise. Mais je préfère un regard insistant à une tentative de drague lourdingue, à laquelle je ne sais jamais trop quoi répondre. J’ai pris l’habitude de marcher la tête baissée en me concentrant sur le rythme de mes pas, pour éviter de rencontrer le regards des inconnus avec qui je partage l’espace public. Je suis fatiguée.{{}}

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23h00. Je vais me coucher, après avoir relu l’article de la Dépêche une dernière fois. Les personnes qui affirment qu’on « y étudie bien, on y vit bien »ne cumulent probablement pas étude et travail, ont des papiers en règle, ne se couchent pas épuisées chaque soir après avoir été confrontées à chaque heure à des conditions d’étude et de travail précaires.

« L’enquête évalue aussi la qualité de la vie des étudiants et des jeunes au sens large » disent-ils. Suis-je donc la seule à ne pas me reconnaître dans les résultats de cette « étude » ? Au quotidien, je rencontre pourtant une majorité d’étudiants dont le rythme de vie, tout comme le mien, est à l’opposé de ce qui est décrit dans cet article.


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