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La « révolution de la joie » ?

Argentine : Premier jour pour le président de droite Mauricio Macri

C’est avec des phrases toutes faites et devant un Congrès à moitié vide que le nouveau président a prêté serment jeudi. Il a même chanté et dansé au balcon du Palais présidentiel. C’est l’apparente « révolution de la joie » pour masquer les très réelles coupes à venir. Les différents patrons et directeurs généraux en ont fait de même à la suite. Les entrepreneurs l’ont fêté. Mais qu’est-ce qui se cache derrière tant d’allégresse ? Fernando Scolnik, issu de "La Izquierda Diario" traduit par G. Gorritxo

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Le balcon de la « Casa Rosada » [1] est associé dans l’histoire nationale argentine a des grands évènements, de ceux qui laissent une trace. Juan Domingo Perón, Raúl Alfonsín ou Leopoldo Fortunato Galtieri furent quelques-uns des protagonistes de moments clefs de la politique argentine depuis cet endroit. Nous pensons au 17 octobre 1945 [2], à l’explusion des Monteneros de la Place de Mai [3], au « s’ils veulent venir, qu’ils viennent, et nous leur livreront bataille » interpellant les anglais [4], ou bien la phrase selon laquelle « la maison est en ordre » prononcée par l-ex-président radical [5], entre autres moments dramatiques de l’histoire argentine.Ce jeudi 10 décembre s’est assurément ouvert un nouveau cycle de la politique nationale, avec un nouveau style. Depuis ce fameux balcon donc, la nouvelle Vice-présidente Gabriela Michetti n’a pas entonné l’hymne national, ni même un discours sensé, mais les paroles de Gilda, célèbre chanteuse argentine : « je ne me repens pas de cet amour ». De son côté, Mauricio Macri, en plus de danser, criait « je les aime, j’aime ce pays et j’aime chacun de vous… merci, merci, merci ». Ce fut une des images qu’a laissé le Jour 1 de la « Révolution de la joie » qu’avait annoncé l’actuel président suite au premier tour électoral du 25 octobre.

La scène s’est déroulée après le serment au Congrès National et le polémique passage de mandats à la Casa Rosada, après de nombreuses tensions avec l’ex-présidente quant à la cérémonie, qui a eu pour conséquence le serment de Macri devant un Congrès à moitié vide. Dans plusieurs lieux, des milliers de sympathisants du nouveau gouvernement l’ont accompagné au cri de « sí, se puede » (« oui, on peut »). Lors de son premier discours, Macri avait parlé d’unité, disant que « cela pouvait paraître incroyable après tant d’années d’affrontements inutiles », et avait dit que « nous voulons l’apport de tous, des gens qui se sentent de droite comme de ceux qui se sentent de gauche, des péronistes et des anti-péronistes, des jeunes qui sont dans l’âge de la transgression et des plus vieux ».

Il a aussi promis : « nous allons nous occuper de tout le monde, l’État sera là où il le faudra pour chaque argentin, spécialement pour ceux qui n’ont rien. Nous allons universaliser la protection sociale […], nous allons travailler à ce que tous puissent avoir un toit, avec l’eau courante et les égouts, et urbaniser les villes, pour normaliser la vie de milliers de familles ».

Bien que le discours fut beaucoup plus court que ce à quoi avait habitué Cristina Fernández, Macri a eu le temps de promettre la « pauvreté zéro », et a dit qu’il fallait créer des emplois, élargir l’économie, profiter des énormes ressources naturelles et humaines. « Nous allons prendre soin des travailleurs qui existent déjà, mais surtout, produire une transformation pour que se multiplient les sources d’emplois ».

Entre la « Révolution de la Joie » et la réalité qui vient

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Après avoir chanté et dansé, la nouvelle équipe gouvernementale a salué dans le Palais San Martín les délégations étrangères arrivées pour participer à l’investiture. Précédemment, Macri avait annoncé implicitement un tournant dans la politique internationale, plus amical avec les pays impérialistes et le capital financier international. « Nous avons une vision nouvelle de la politique, nous sommes les enfants de cette époque et nous essayons de la comprendre sans préjugés ni rancœur […], nous soutiendrons évidemment tous nos intérêts nationaux et nos valeurs, sans que cela n’empêche des relations normales avec tous les pays du monde ». L’emphase est clairement mise sur cette dernière partie, et la négociation avec les « fonds vautours » a déjà commencé.

Plus tard en soirée, Macri a reçu le serment de son cabinet, qui annonce que nous sommes face à un gouvernement directement lié aux grands pontes du capital. Christian Castillo anticipait sur Twitter : « Se prépare à prêter serment le cabinet composé du plus grand nombre de représentants directs du grand capital de toute l’histoire nationale ».

Entre autres, ont juré sur les saints évangiles et les écritures sacrées Ricardo Buryale de la Confédération Rurale Argentine, Juan José Aranguren de Shell, Francisco Cabrera ex-Directeur général de plusieurs entreprises, entre autres ex-PDG et politiciens recyclés, qui feront partie de ce cabinet au côté d’hommes de la finance comme Alfonso Prat Gay ou Rogelio Frigerio, et des représentants des intérêts patronaux dans l’éducation comme Esteban Bullrich…

La puissante Association des Entrepreneurs Argentins (AEA) a elle aussi célébré cela dans un communiqué soutenant que « l’investiture de l’ingénieur Mauricio Macri comme Président de la Nation […] présente une opportunité unique pour que nous travaillions tous dans un meilleur pays […] dans lequel le patronat ait un rôle central pour que se multiplient les sources d’emplois ».

Dis-moi qui te célèbre et je te dirai qui tu es. Si nous nous référions plus haut aux PROmesses (le PRO est le parti de Macri), nous nous rappelons aussi les thèmes que Macri n’a pas mentionné dans son discours du midi au Congrès. Il a omis de révéler son plan économique, occultant donc ce qui vient : dévaluation, baisse des cotisations patronales dans le secteur agricole, arrangements avec les fonds vautours, montée des prix. Tout cela alors que l’inflation s’étend déjà et que dans de nombreuses entreprises les luttes contre les licenciements ont déjà commencé.

Cela n’est pas par hasard non plus s’il a « oublié » de parler des paritaires ou des tant de fois promises baisses des impôts sur le revenu. La question de la relation avec le « mouvement ouvrier organisé » reste donc ouverte.

La « révolution de la joie » a peut-être eu hier son jour le plus heureux, ou en tout cas, la fête n’aura lieu que pour une poignée. Sur Twitter, Nicolas Del Caño a dénoncé que « en 45 minutes, Mauricio Macri a occulté ses principales politiques : dévaluation et augmentation des impôts. Il nous demande « l’unité » entre ceux qui mettent en place l’austérité et ceux qui la subissent. C’est aux capitalistes de payer leur crise. »

Pour sa part, Myriam Bregman disait que « Macri parle d’AMOUR, mais les réprimés du quartier Papa Francisco et de l’Indoamericano ne l’ont pas ressenti comme ça. Macri est Macri. »

De l’autre côté, lorsque Macri a fait référence au respect des institutions, il faut bien comprendre que celles-ci ne sont pas neutres. La « justice indépendante » et la « loi qui doit être respectée », n’augurent rien de bon pour les travailleurs aux mains de la caste oligarchique des juges amis du pouvoir. Et quand il a promis de stopper la corruption, il suffit de signaler Fernando Niembro. La « menace » était peut-être dirigée vers ceux qui s’en vont, pas aux amis, bien que Cristina Fernandez n’y soit pas allée par quatre chemins en disant qu’elle n’a « rien pu regarder de l’investiture ». Un groupe de militants l’a reconduite à l’aéroport, direction Santa Cruz, au cri de « nous reviendrons ».

Mauricio a dit aussi : « nous allons donner plus de prestige et de valeur à la vocation enseignante, donner plus de prestige et de valeur à ceux qui vont se consacrer à cette tâche ». Nous verrons dans peu de temps si l’éloge de cette vocation annonce une attaque aux enseignants « fainéants » qui font grève pour leurs droits.

Les interrogations que masque la joie

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La courte victoire au ballotage, le peu de poids propre dans les syndicats, le rôle défiant du kirchnerisme qui l’a laissé assumer son investiture devant un Congrès presque vide, et la prédisposition de la classe travailleuse à ne pas reculer sur ces conditions de vie face à un panorama austéritaire, posent des questions sur la situation.

C’est ce qui explique en partie la précaution et le pragmatisme de Macri pour annoncer ses plans de gouvernement. Jeudi, la Bourse du Commerce a baissé de 1,47% et certains analystes l’attribuent au manque d’annonce concrète sur la politique économique lors de son discours inaugural. Le grand capital tente de faire des affaires en apportant un financement et en liquidant la production agraire. C’est comme cela que le nouveau gouvernement obtiendra les quelques dollars dont il a rapidement besoin.

Mais même ces dollars ne parviendront pas à ce que la joie du premier jour et les PROmesses ne deviennent réalité. Un plan d’austérité commence, et de l’autre côté, un plan de résistance. Ce samedi, un important rassemblement du syndicalisme combattif de la Zone Nord du Grand Buenos Aires se réunira dans l’ex-Donnelley pour coordonner les luttes. Les promesses sont finies, la réalité commence.


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