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Opinion

Argentine. Milei propose un pacte aux gouverneurs mais la crise de régime persiste

En proie à un violent conflit avec les gouverneurs de Provinces, Milei a proposé un nouveau pacte fiscal à ces derniers pour s'entendre dans la manière de procéder à l'austérité budgétaire. Pendant que le péronisme fait le pari de l'attentisme, les grèves et révoltes contre le prix des transports font paniquer les médias du pouvoir.

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Argentine. Milei propose un pacte aux gouverneurs mais la crise de régime persiste

Photo : Discours de Milei le 1er mars

Dans son oeuvre 1984, George Orwell a construit un monde plein de mensonges et de falsifications. Dans ce récit anti-utopique, le Miniver (Ministère de la Vérité) est une institution essentielle pour la construction constante d’un récit politique et historique garantissant le statu quo, qui transforme la résignation en un sentiment si profondément intériorisé qu’il n’est pas même nécessaire de définir explicitement le terme.

Javier Milei oeuvre à la même logique : il entreprend de construire sa vérité, construire un récit idéologique capable de présenter son plan sauvage d’ajustement comme naturel et logique. Il lui faut un discours capable de convaincre, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières, que l’enfoncement de millions de personnes dans la pauvreté est la voie vers l’émergence de cette « Argentine puissance », qui pour Milei a existé à la fin du XIXe siècle, et que le soi-disant populisme aurait enterré il y a environ un siècle.

Il s’appuie pour ce faire sur la puissante déception que ressentent des millions de personnes. Le gouvernement actuel joue sur l’échec retentissant de ses prédécesseurs. Un échec qui a conduit à une rupture profonde avec les anciennes formes politiques qui ont façonné la politique argentine au cours des deux dernières décennies. Ces vieilles formes politiques, le kirchnérisme et le macrisme de « Juntos por el Cambio » sont considérées comme responsables d’un déclin national persistant, mesuré par chaque personne en termes de revenu, de consommation et de niveau de vie. La rage que condense Milei naît de cette profonde déception. Le personnage aberrant en est son symbole et la canalise. Milei est la forme politique qui assume un désenchantement généralisé, entretenu depuis des années, légué des parents aux enfants.

Milei sait qu’il porte cette frustration, et construit une communication politique à partir de cette position. Le 1er mars dernier dans son discours au Congrès, qu’il définit comme un « nid de rats », pour la reprise de la session parlementaire et alors qu’il est en proie à un violent conflit avec les gouverneurs de Province, il a répété sans fin la rhétorique qui a fait sa campagne, dessinant une opposition nette entre « la caste politique » et les « bonnes gens ». Copiant la droite trumpiste ou lepéniste, il s’est présenté comme la voix d’une « majorité silencieuse » qui, en votant pour lui, est venue rompre avec ce passé d’échecs.

A cette majorité, à laquelle il impose une politique d’ajustement féroce, il a adressé - à la fin de son discours - une marque d’empathie plus que feinte, demandant « de la patience et de la confiance » [1].

La rage et la caste

Poussant les apparences à l’extrême, le président s’est présenté ce 1er mars comme intransigeant, féroce, et pourtant disposé à négocier. Après avoir insulté « les politiques », Milei leur a tendu la main, appelant à un pacte. Cherchant à impressionner les gouverneurs, il a prononcé une phrase qui devait sonner comme une musique merveilleuse : « un programme d’allégement fiscal pour les provinces ». Les « politiques », radicaux et macristes, souhaitaient désespérément accepter cette invitation et ont inondé les réseaux sociaux pour répondre positivement à l’appel. Les péronistes ont eux choisi un silence prudent, qui ne veut rien dire quant à leurs intentions : la réalité se dévoilera lorsqu’il s’agira d’ouvrir le portefeuille et de compter les pièces.

Les dirigeants provinciaux et le pouvoir exécutif national partagent un postulat : l’ajustement ordonné par le FMI doit être exécuté. Mais ils diffèrent sur les formes, le calendrier et les victimes de ce plan. De cette tension naît la dureté rhétorique et politique. Avec le pompeusement nommé Pacte du 25 mai, Milei fait une promesse : ajuster ensemble et dans l’ordre.

Un silence qui n’est pas silencieux...

Dans son exercice rhétorique de confrontation au passé, Milei a durement attaqué les péronistes et les kirchnéristes. Il a critiqué « la réapparition » de Massa, Pablo Moyano, Juan Grabois, Máximo Kirchner. Il a mis en accusation Cristina Kirchner, qu’il a définie comme « responsable de l’un des pires gouvernements de l’histoire ». Le péronisme actuel a supporté l’affront avec un calme modéré et est resté silencieux. L’éditorialiste Marcelo Falak a conceptualisé leur stratégie : « quitter le terrain de la dialectique passionnée […] attendre que l’ajustement entretienne un mécontentement social qui pour l’instant arrive lentement ».

La politique du péronisme ne doit pas se mesurer uniquement à son silence de ce vendredi. Globalement, sa stratégie vise à laisser Milei faire son travail, lui permettre de dévaster le pays pendant qu’il s’épuise politiquement. Cette orientation trouve d’autres manifestations diverses, comme la rhétorique parlementaire tendue lors du débat sur la loi omnibus, qui s’est accompagner du refus de massifier la contestation sociale dans la rue, la décision de la CGT de baisser les drapeaux après le 24 janvier, et l’absence remarquée - ce vendredi même - dans les manifestations devant le Congrès.

La lettre de Cristina Kirchner publiée à la mi-février apparaît comme une synthèse programmatique de cette orientation. En proposant de négocier des ajustements et des réformes structurelles, l’ancienne vice-présidente adhère, depuis son poste, aux exigences du FMI et du capital le plus concentré. Cette orientation politique résume les limites du péronisme dans le domaine social [2]. Même si Milei s’efforce de le faire revivre, le slogan « combattre le capital » chanté par les péronistes n’est plus aujourd’hui qu’une pièce de musée, un souvenir d’un passé perdu depuis longtemps, clôturé par des années de services efficaces aux grandes entreprises.

Éloge du saut

Joie et contrariété ont rempli les écrans de télévision ce vendredi après-midi. La première émotion est venue des gares ferroviaires de la ville de Buenos Aires, où les habitants ont choisi de sauter les tourniquets du métro pour contester les augmentations de prix des transports, et d’aller manifester devant le Congrès. La seconde est apparue sur les visages sinistres des journalistes et des opérateurs politiques déguisés en journalistes. Les émeutes sont devenues un événement politique aux répercussions énormes avec leur propre prime time à la télévision entre 17 heures et 19 heures.

Les manifestants apparaissaient comme l’image de la rébellion, l’opposé de la patiente résignation que propose le péronisme. Ils ont une nouvelle fois montré sur la scène politique les assemblées de quartier et les secteurs combatifs du mouvement étudiant, et sont devenus une tribune pour dénoncer un ajustement qui combine impôts élevés, inflation, licenciements et précarité. Ils ont également exposé la fureur réactionnaire du journalisme officiel, les journalistes apparaissant désemparés, exigeant un ordre qui n’arrivait pas et dénonçant des crimes qui n’étaient pas commis. De l’autre côté de cette fébrilité, le journalisme aligné sur l’opposition péroniste a choisi une couverture plus que modeste, les manifestations n’y paraissant que peu ou pas.

Au contraire, aux côtés d’autres médias alternatifs et populaires, La Izquierda Diario se trouvait à côté de chaque tourniquet sauté. Il offrait une couverture médiatique visant à donner une voix au développement des processus de lutte et d’organisation qui commencent à se déployer depuis la base.

Conflit et lutte des classes

Le champ politique apparaît traversé de tensions entre le gouvernement national et les gouverneurs, et le parti au pouvoir choisit de situer la nature du conflit sur ce terrain. Cependant, derrière les discussions au Congrès, une situation sociale de plus en plus critique émerge. Dans une interview avec le Financial Times cette semaine, Javier Milei a déclaré qu’« il n’y a aucune chance qu’un soulèvement social se produise, à moins qu’il n’y ait un événement avec des motivations politiques ou [impliquant] des infiltrés étrangers ». Cette réponse révèle les véritables préoccupations du capital financier international.

Le monde bourgeois regarde au-delà des discours incendiaires. Il sent l’existence d’un rapport de force social et politique qui ne peut être liquidé par les campagnes sur Twitter. Ce rapport de force se cristallise, aujourd’hui, dans l’activité syndicale que commencent à manifester des secteurs importants de la classe ouvrière : les travailleurs de l’aéronautique, les travailleurs du ferroviaire, les enseignants, et les travailleurs de la santé. Face à une inflation agressive, la poursuite et l’expansion de ce cycle de protestations est à prévoir.

Cette force sociale trouve sa limite dans la direction des organisations syndicales. Traversées par la stratégie politique du péronisme, elles misent sur des batailles partielles dans l’arène des entreprises, séparées d’une lutte contre l’ajustement de Milei dans son ensemble. Il est impératif de fermer cette séparation, et joindre les batailles sur les salaires à une lutte globale contre l’avancée de l’ajustement en marche.

Dans son discours, Milei a attaqué la gauche à trois reprises. Il l’a associé à la résistance dans la rue contre l’ajustement. En revanche, dans son analyse, l’éditorialiste pour le media La Letra P Marcelo Falak présente l’extrême-gauche comme la seule opposition réellement existante. Cette vision est, elle, ancrée dans la réalité : tandis que le péronisme attend impatiemment l’érosion du gouvernement, les différentes forces de gauche favorisent le développement des assemblées de quartier et participent activement aux processus de lutte qui commencent à se déployer. Il y a quelques jours, dans le but de développer l’auto-organisation, les députés du PTS Myriam Bregman et Nicolás del Caño ont appelé à se joindre aux différentes assemblées en formation.

Les émeutes de ce vendredi sont apparues comme un petit, mais significatif exemple de lutte et de rébellion. Un exemple qui peut être contagieux. Les assemblées de quartier, encore en formation, témoignent d’un processus d’auto-organisation que commencent à vivre des milliers de personnes dans le centre politique du pays, Buenos Aires. Elles apparaissent comme le germe d’une nouvelle façon de faire de la politique qui dépasse les cadres corporatifs limités imposés par les appareils bureaucratiques. Cela nous permet d’unir les revendications des travailleurs et travailleuses, des femmes, des jeunes, des étudiants et de toutes sortes de luttes populaires. L’enjeu est qu’elles puissent alimenter le débat et la décision démocratique, condition essentielle de toute lutte véritablement transformatrice. Les tâches fondamentales du moment sont d’améliorer, agrandir, étendre ces assemblées de quartiers.


[1Ici, Milei manque d’originalité. Il reprend la réthorique utilisée il y a des décennies, à la fin des années 1960, par le républicain Richard Nixon, qui s’était présenté comme le symbole d’une autre « majorité silencieuse » qui, soi-disant, offrait une résistance farouche aux mouvements féministes, pacifistes ou contre l’oppression raciale.

[2Marcelo Falak a également décrit cette semaine que « la direction qui devrait représenter les 44 % de la population défaits au second tour n’ose pas sortir de sa phase conservatrice ». Cette solution impliquerait par exemple de proposer un ajustement en mettant « la main dans les trous budgétaires qui profitent aux lobbies opaques, aux holdings et aux ’régimes spéciaux’ »



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