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Surenchère coloniale

Après la guerre, Netanyahu ouvre la voie à l’occupation militaire de Gaza

Le premier ministre Israélien a annoncé lundi qu’Israël aurait, une fois la guerre terminée, la « responsabilité globale de la sécurité » de la bande de Gaza pour une durée indéterminée. Une déclaration qui ouvre la voie à une nouvelle occupation militaire et coloniale.

Damien Bernard

7 novembre 2023

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Après la guerre, Netanyahu ouvre la voie à l'occupation militaire de Gaza

Crédits photos : Israel’s Northern Border - 2
CC BY-NC 2.0 DEED

Alors que le doute plane concernant les plans de Tsahal pour Gaza à l’issue de la guerre, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a donné ce mardi une nouvelle piste, dans sa première interview avec les médias américains depuis le 7 octobre. Interrogé par ABC News au sujet de qui devrait administrer Gaza une fois les combats terminés, Netanyahu a répondu : « je pense qu’Israël aura, pour une période indéfinie, la responsabilité globale de la sécurité parce que nous avons vu ce qui se passe lorsque nous ne l’avons pas. Lorsque nous n’assumons pas cette responsabilité en matière de sécurité, nous nous retrouvons confrontés à une éruption de terreur du Hamas à une échelle que nous ne pouvions pas imaginer. » Une déclaration qui, tout en entretenant un certain flou, ouvre explicitement la voie d’une réoccupation militaire et coloniale de Gaza par Tsahal.

Netanyahu veut-il occuper Gaza ou bien gagner du temps ?

Depuis le début de la guerre, les responsables israéliens ont donné peu d’indications sur leurs plans politiques concernant Gaza. Si plusieurs hypothèses ont déjà été évoquées, comme les plans de déportation des Palestiniens vers le Sinaï du renseignement israélien, l’idée d’une ré-occupation durable de Gaza ne semblait pas être la piste privilégiée. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, déclarait même qu’Israël n’avait aucun intérêt à réoccuper durablement Gaza et n’aurait plus la « responsabilité de la vie dans la bande de Gaza » une fois la guerre terminée. De même, cette perspective était redoutée par le président Biden, considérant une occupation à long terme de Gaza comme une « grosse erreur ».

Dans ce contexte, si les déclarations de Netanyahu s’apparentent à un changement de position qui commencerait à dessiner un cap stratégique, elles laissent de nombreuses zones d’ombres. D’abord, s’agit-il de contrôler toute la bande de Gaza ou seulement une partie s’interroge le Wall Street Journal, envisageant la possibilité d’un scénario intermédiaire avec une occupation partielle de Gaza. Ensuite, que signifie le « contrôle de la sécurité de Gaza » ? S’agit-il de créer une zone tampon au sein de Gaza comme cela a déjà été mentionné par le gouvernement ?

Le seul but de guerre exposé officiellement par Israël, aussi irréaliste soit-il, est l’extermination du Hamas. En l’absence de solutions réalistes pour le remplacer à la tête de Gaza, Netanyahu ouvre donc la voie à une occupation militaire. Mais ces premières déclarations ne permettent pas de conclure de manière certaine quant aux objectifs réels de Tsahal, surtout qu’une telle occupation implique des risques importants et son lot de contradictions sur le plan militaire. En 2005, l’Etat Israélien a ainsi dû se retirer de Gaza après l’avoir occupée militairement pendant trente-huit ans.

« Vernis humanitaire » : Netanyahu donne des gages aux Etats-Unis

Ces déclarations montrent cependant que le gouvernement cherche à répondre aux pressions et contradictions qui s’exercent sur différent plans. D’abord au niveau international, alors que le soutien inconditionnel à l’Etat d’Israël s’avère de plus en plus coûteux politiquement pour les puissances impérialistes et pour le principal allié d’Israël, les Etats-Unis. Le président Biden – visé par des critiques au sein du Parti Démocrate et au sein de sa base sociale - exerce une pression de plus en plus importante sur le gouvernement israélien pour qu’il élabore une issue sur le plan politique, comme le note le journal Haaretz : « Divers rapports, ainsi que les remarques d’analystes et d’experts au cours des dernières semaines, ont averti que les États-Unis perdent patience avec Israël en raison de l’absence d’une "stratégie de sortie" ou d’un "plan pour le lendemain" pour Gaza ».

Pour l’heure, si les déclarations de Netanyahou ne disent que peu de chose, elles illustrent la volonté du gouvernement israélien de gagner du temps. Sous la pression des Etats-Unis, qui, de Biden à Sanders, continuent à refuser tout « cessez-le-feu » tout en demandant des « pauses tactiques », Netanyahu commence à reprendre la formule : « les petites pauses tactiques, une heure ici, une heure-là […] nous les avons déjà eues. Je suppose que nous allons examiner les circonstances afin de permettre aux marchandises, aux biens humanitaires d’entrer, ou à nos otages, aux otages individuels, de partir ». Sur X, Tsahal publie désormais des vidéos où l’armée israélienne ouvre « une fois de plus […] un couloir pour évacuer les civils du nord de Gaza vers le sud ». Une façon de lâcher un peu de lest sur la forme, tout en ne changeant strictement rien sur le fond.

Toujours plus à l’extrême-droite, Netanyahu lutte pour sa survie politique

En définitive, les déclarations de Benjamin Netanyahu sont une tentative pour résoudre les contradictions qui s’aiguisent sur le plan intérieur. Depuis le 7 octobre, le premier ministre est confronté à une importante crise. Il doit répondre à la fois aux critiques sur le plan sécuritaire, organiser une guerre « pour éradiquer le Hamas », libérer les otages, et maintenir sa coalition unie dans un contexte de critiques pressantes, et où des secteurs ultra-réactionnaires de son gouvernement cherchent à capitaliser sur la crise. C’est en ce sens qu’il conditionne désormais « un cessez-le-feu général à Gaza […] à la libération de nos otages », ou encore qu’il dessine un nouveau paradigme sécuritaire à travers la prise en charge de la « responsabilité générale de la sécurité » de Gaza pour regagner de la crédibilité au sein de sa base sociale.

Ce changement de positionnement marque de nouvelles concessions aux ailes ultra-réactionnaires de son gouvernement. Si celui-ci a fait fuiter le plan du renseignement israélien envisageant la déportation des habitants de Gaza vers la région du Sinaï en Égypte, Netanyahu miserait plutôt sur l’occupation militaire, même partielle, défendue par certains secteurs de sa coalition d’extrême-droite. Une façon de se couvrir sur sa droite, alors que des secteurs comme celui dirigée par le ministre Bezalel Smotrich sont à l’offensive. C’est ce dont témoigne la tentative de ce dernier de suspendre les versements d’Israël au fonds qui finance l’Autorité palestinienne, sous prétexte que Mahmoud Abbas ne condamnerait pas assez fermement l’attaque du Hamas.

Face à une situation de crise multiforme qui ne date pas d’hier, mais s’est aggravée de manière significative et probablement irréversible, Netanyahu cherche ainsi à se repositionner sur un terrain plus sécuritaire encore et joue plus que jamais sa survie politique.


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