Les cents jours de l’extrême droite argentine

Premier round perdu pour Javier Milei

Jean Baptiste Thomas

Premier round perdu pour Javier Milei

Jean Baptiste Thomas

Un peu plus de cent jours après son arrivée au pouvoir, que reste-t-il des promesses de celui qui prétendait tout passer à la tronçonneuse ?

[Ill., Justo Suárez, plus connu sous le nom de « El Torito de Mataderos » (1909-1938), boxeur argentin, source d’inspiration pour Julio Cortázar dans le recueil "Fin d’un jeu" (1956]

Un peu plus de cent jours après son arrivée au pouvoir, que reste-t-il des promesses de celui qui prétendait tout passer à la tronçonneuse, à commencer par la gauche, le monde du travail, le mouvement des femmes, les LGBT, et de tout ce qui pourrait se trouver sur le chemin de ses amis du capital le plus concentré ? Le nouveau président argentin, Javier Milei, la droite et l’extrême droite qui le soutiennent n’ont manifestement pas réussi à avancer comme ils le souhaitaient. Mais qu’en est-il des positions de notre camp social ? Quel rôle peut jouer l’extrême gauche argentine que l’on a vu en avant-poste de la bataille parlementaire contre le gouvernement et en tête des mobilisations contre les décrets-lois de l’exécutif ?

Le plus vieux projet du monde patronal

Présenté – c’est selon –, comme un « libertarien » ou, pour les analystes les moins réactionnaires, comme un partisan de l’extrême droite et du néolibéralisme les plus durs, vainqueur du second tour des présidentielles argentines le 19 novembre dernier, Javier Milei était censé représenter à la fois une contre-tendance et une certaine nouveauté dans une région dont les principaux pays sont aux mains du centre-gauche – centre-gauche modéré, certes, mais radicalement distinct des hurlements réactionnaires de Milei et des siens si l’on songe, dans l’ordre d’importance économique, au Mexique de Manuel López Obrador, au Brésil de Lula ou encore, en troisième position, au Chili de Gabriel Boric.
Pourtant, guère de nouveauté, à dire vrai, dans le programme arboré par Milei et son équipe. Plutôt de vieilles recettes revisitées à la sauce Tik-tok et Instagram.

Sur le plan de la politique étrangère, ce qui est proposé n’est qu’un acte d’allégeance absolu vis-à-vis du tuteur étatsunien, mâtiné, et c’est là la seule nouveauté, d’un ultra-sionisme sans limite, marque de fabrique des nouvelles extrêmes droites à échelle continentale. À ce propos, l’enthousiasme pro-israélien de Milei tranche non seulement avec la réalité du génocide en cours à Gaza, mais est aussi en porte-à-faux vis-à-vis du refroidissement actuel des rapports entre Tel Aviv et Washington, désormais partisan du cessez-le-feu.

Du point de vue de la politique intérieure, Milei reprend, cette fois-ci poussé par ses alliés de la droite traditionnelle, le discours anti-péroniste consubstantiel du conservatisme argentin depuis les années 1940, qui recouvre tout à la fois une crainte des « classes laborieuses, classes dangereuses » et une détestation de classe qui est allée de pair, c’est tout le paradoxe, avec une certaine capacité à capter une portion de l’électorat populaire lors du scrutin présidentiel de novembre. Là encore néanmoins, le « populisme de droite » des Trump ou des Bolsonaro, basé sur l’érosion des modèles démocrate ou social-démocrate et de la perception, par certains, « en bas », d’être les perdants et que les responsables ne sont pas « en haut » mais à leur niveau – migrants, femmes, travailleurs « privilégiés », etc. – rappelle que Milei s’inscrit dans une dimension plus structurelle des grandes tendances du vote de droite à échelle continentale et internationale.

Au niveau économique le plan annoncé et aujourd’hui retoqué n’était jamais qu’une version revisitée du néolibéralisme le plus effréné, alliant cure d’amaigrissement du budget de l’État fédéral et des provinces et redimensionnement du poids, des acquis et des positions du monde du travail au profit d’un transfert des richesses au profit du capital le plus concentré, à la fois transnational, mais également argentin. Rien de bien nouveau, donc, mais un projet parfaitement éculé. La seule innovation de Milei a été de le remettre en selle après avoir été sérieusement mis à mal, en Argentine comme dans toute l’Amérique latine, notamment à partir du moment où le bilan de l’application du premier néolibéralisme des années 1980 et 1990 a sauté aux yeux de tous ainsi qu’au visage des politiciens l’ayant mis en place. On songera aux révoltes et/ou renversements de gouvernements néolibéraux en Equateur, Bolivie, Pérou et en Argentine entre la fin des années 1990 et la première moitié des années 2000, accompagnés ou précédés, de façon préventive, par un certain nombre de changements à la tête des gouvernements de plusieurs pays avec un basculement du continent « à gauche » dans les années 2000.

Comment marche une tronçonneuse ?

Pour mettre en application le volet économique de son programme, Milei comptait sur plusieurs facteurs. Il entendait pouvoir tirer parti du délitement de l’économie et de ses conséquences pour les classes populaires – inflation et pauvreté – générant soit une paralysie chez les potentiels opposants soit un certaine expectative, au nom du fait que la situation ne saurait être pire après la mise en place des recettes annoncées. A défaut d’un bloc parlementaire majoritaire, il pariait sur ses soutiens au sein de l’establishment, matérialisés notamment par l’appui qui lui a été donné par l’ancien président de droite, Mauricio Macri (2015-2019) dont Milei avait besoin des voix pour se faire élire et dont il a besoin des élus, aujourd’hui, pour gouverner, ou encore par la visite dans la capitale de la numéro 2 du Fonds économique international (FMI), Gita Gopinath, fin février. Enfin, Milei pensait pouvoir bénéficier de l’apathie dans laquelle le monde du travail semblait plongé depuis décembre 2017 – date de la dernière grande mobilisation contre la réforme des retraites voulue, alors, par Macri – et dans laquelle l’avait maintenu la bureaucratie syndicale péroniste contrôlant les différentes fractions des deux centrales, CGT et CTA pendant tout le mandat du tandem Alberto Fernández-Cristina Kirchner (2019-2023), eux-mêmes péronistes.

Il s’agissait donc de frapper vite et un grand coup, profitant des difficultés matérielles et quotidiennes de l’ensemble de la société, écrasée par la crise, et de l’été austral en contournant les mécanismes parlementaires traditionnels pour procéder dans le cadre d’une session extraordinaire du Congrès. Pour ce faire, Milei et ses conseillers entendaient pouvoir traduire en termes de rapport de force sur le terrain politique et social le score électoral du second tour de la présidentielle (55,6 %), certes très élevé, mais sans doute plus contradictoire qu’il ne pouvait en avoir l’air. Milei, outsider de la politique et illustre inconnu il y a encore quelques années, est davantage l’expression de la crise économique et sociale en général et de la crise des partis traditionnels, de droite comme de centre-gauche dans le cas du péronisme et de ses alliés, que l’expression – pour l’heure, en tout cas – d’une adhésion à un programme ultralibéral sur le plan économique et ultra-réactionnaire sur le plan des valeurs, ou de la constitution d’un bloc social sous-tendant son projet au sein des différentes fractions de la société.

Tout à l’enthousiasme de sa victoire, Milei et son équipe – constituée, certes, de quelques vieux routiers de la politiques mais aussi et surtout d’un amalgame composite d’arrivistes adeptes du retournement de veste, de réactionnaires ultra-revanchards, d’économistes de second zone et d’influenceurs à la petite semaine, le tout sous le haut patronage de certains secteurs du capital financier international à l’instar de Black Rock – ont sous-estimé plusieurs facteurs, structurels, superstructurels, et surtout un élément appelé « lutte des classes ».

Comment s’enraye une tronçonneuse ?

Le plan de bataille initial de Milei déployé à travers un large éventail de mesures, arrêtés et lois intégrés au « Décret de nécessité et d’urgence » n°70 et à ce que les médias ont appelé la « Loi omnibus » – du fait de la quantité de textes qui s’y inscrivaient – s’est donc heurté à une triple barrière qui a d’abord forcé l’exécutif à redimensionner sa copie puis à faire partiellement marche arrière. Il y a donc eu, d’un côté, une partie des voix des parlementaires de la droite et du centre – tant députés que sénateurs, la chambre haute ayant à nouveau rejeté le DNU il y a quinze jours – qui ont fait défaut, suivies de l’opposition d’une fraction des gouverneurs régionaux – y compris les plus enclin à négocier mais refusant d’avaler des couleuvres à n’importe quel prix et au détriment de leurs provinces.

Le pouvoir judiciaire, quant à lui, a mis son véto en suspendant des pans entiers des réformes, à l’instar du volet réforme du marché du travail, sur lesquels doit encore trancher la Cour suprême. Plusieurs fractions de l’establishment économique se sont également retrouvées en porte-à-faux avec certaines mesures relatives, par exemple, au degré de taxation des matières premières exportables produites par le pays, douchant quelque peu les enthousiasmes quasi unanimes des patrons après l’élection de Milei.

Enfin, il y a eu une première expression de la lutte de classes, limitée et contrôlée, mais de grande ampleur et à laquelle Milei et les siens ne s’attendaient pas. Le facteur « lutte des classes » que les représentants de la bourgeoisie peuvent parfois sous-estimer n’est bien évidemment pas l’apanage de l’Argentine. Dans ce pays, néanmoins, le conflit social a une histoire particulière et le monde du travail organisé, à travers ses syndicats et ses traditions de lutte, un profil tout à fait singulier. Étroitement corsetée par le péronisme, à quelques exceptions près et à des moments très particuliers depuis la seconde moitié du XXe siècle, c’est bien cette capacité du monde du travail à entraver partiellement la marche du capital que Milei souhaite passer « à la tronçonneuse » ou « au mixeur », toujours selon l’expression du président. Tout doit y passer : salaires, protection sociale, conventions collectives, contrats de travail et assurance chômage qui dépendent des structures syndicales pour une bonne partie des 14 millions de salariés argentins du secteur public ou privé en CDI ou CDD – une autre partie, plus d’une douzaine de millions, se retrouvant dans l’informalité, exclus ou aux marges extrêmes du marché du travail.

Plusieurs signes avant-coureurs auraient pu faire prévoir à son équipe que le président allait se retrouver, malgré son score du second tour et les sondages de popularité, face à un avis de tempête social au moment de l’annonce de la cure austéritaire. De façon assez symptomatiques, début décembre, alors que les supporteurs (« socios ») de Boca Juniors sont appelés à élire le nouveau président du club de foot, c’est le ticket proposé par Milei et son parrain, Mauricio Macri, qui est rejeté à 65 % par 30 000 membres encartés du club de foot, alors que l’élection semblait être pouvoir être aisément gagnée par le pouvoir. Qui plus est, en se rendant lui-même aux urnes au sein de la Bombonera, le prestigieux stade de Boca, Milei avait été accueilli par des insultes et des noms d’oiseaux par les supporteurs, a priori pas spécialement marqués « à gauche ». D’où, soit dit en passant, l’extrême ridicule de Macron à s’exhiber avec un maillot aux couleurs du club et dédicacé par Milei lui-même sur les réseaux sociaux. Puis est venue la mobilisation traditionnelle des organisations syndicales combatives, de chômeurs, de défense des droits humains et de l’extrême gauche pour célébrer l’anniversaire du soulèvement des 19 et 20 décembre 2001. Coïncidant, en 2023, avec les annonces de Milei, la mobilisation a non seulement servi à contester les premières mesures anti-manifs voulues par la ministre de Sécurité, Patricia Bullrich, mais elle a également ouvert la voie à des concerts de casseroles qui ont eu lieu dans toutes les villes du pays et ont indiqué le mécontentement spontané d’une fraction de la population face aux annonces.

Dans ce contexte de pression montante, les directions des centrales syndicales péronistes ont été contraintes d’appeler à la grève générale, manœuvrant de mille façons pour éviter que la mobilisation ne soit trop importante – en sabotant par exemple la mobilisation dans les transports. Le 24 janvier, Milei se retrouvait donc à être le premier président argentin à faire face à une grève générale un mois et demi seulement après son arrivée au pouvoir, et alors que le pays était en plein été austral, les établissements scolaires n’ayant pas rouverts encore leurs portes, et les facs en vacances. Depuis, en lien avec les reculs partiels du gouvernement et des retoquages temporaires de certains des textes par différentes instances judiciaires, les directions syndicales font tout leur possible pour ne pas avoir à appeler à une nouvelle mobilisation d’ensemble, laissant les luttes sectorielles qui se donnent dans tout le pays, dans l’aéronautique, la santé et l’éducation dans plusieurs provinces, ou encore dans la sidérurgie, isolées et fragmentées les unes des autres.

Parallèlement, deux mobilisations, celles du 8 mars, d’un côté, et celles du 24, pour l’anniversaire du coup d’État de 1976, que Milei et sa vice-présidente veulent réhabiliter, ont montré le degré d’opposition au gouvernement dans la société. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le péronisme reste l’arme au pied. Ses structures syndicales, comme nous l’avons dit, se refusent de d’appeler à un « tous ensemble » des luttes alors que son aile politique, en pleine recomposition, maintient grande ouverte la porte du dialogue avec le gouvernement. De ce point de vue, la visite de Milei au Pape François, lui-même issu de la droite justicialiste indépendamment de ses discours « rénovateurs » sur certains sujets, illustre assez bien l’ambiguïté de la « gauche progressiste » argentine.

La bataille parlementaire et extraparlementaire de l’extrême gauche argentine

C’est bien sur le terrain de l’affrontement social que se décidera, en dernière instance, la capacité ou l’incapacité du gouvernement à avancer. Dans ces coordonnées, il faut dire quelques mots sur le rôle joué par l’extrême gauche argentine, qui intervient comme quatrième force politique du pays au niveau institutionnel à travers le Front de gauche et des travailleurs-unités (FIT-U). Cette coalition rassemble les quatre principaux courants trotskystes du pays, dont le Parti des travailleurs socialistes (PTS), organisation sœur de RP. Les organisations du FIT-U ont été à l’origine de l’appel du 20 décembre et vecteur de pression pour exiger la grève générale. En déployant ses forces au sein du mouvement ouvrier organisé, le FIT-U a su, là où il intervient, garantir un niveau important de grève et de mobilisation à l’instar du secteur aéronautique, à Buenos Aires, dans l’industrie pneumatique, sur certaines lignes ferroviaires ou dans le secteur public. Tout en exigeant que les directions syndicales poursuivent la grève, le FIT-U a également cherché à coordonner, par en bas, les secteurs les plus combatifs et déterminés ainsi que les assemblées territoriales de quartier qui ont vu le jour depuis décembre 2023.

L’un des éléments distinctifs de la dernière séquence est très certainement le rôle qu’a joué le groupe parlementaire du FIT-U qui est désormais composé de cinq députés, Myriam Bregman, sans doute la plus connue et populaire de tous, Nicolás Del Caño, Alejandro Vilca et Christian Castillo, pour le PTS, et Romina Del Plá, pour le Parti ouvrier (PO). La différence avec l’orientation que peuvent adopter des groupes parlementaires dans d’autres pays face à des attaques du patronat ou de la droite est des plus saisissantes, et pas uniquement dans la mesure où les députés conçoivent la bataille qu’ils ont à mener en lien étroit avec les coordonnées de la lutte des classes. Ultra-minoritaires à la Chambre et représentant une force secondaire sur le plan strictement électoral – avec 720.000 voix, soit 2,7 % au premier tour de la présidentiel et 800.000 voix, soit 3,25 % aux législatives – le FIT-U a tenté de montrer ce que voudrait dire combiner opposition parlementaire au combat extraparlementaire, en subordonnant systématiquement la première à la seconde.
Les députés ne se sont pas uniquement présentés comme les adversaires les plus farouches des mesures annoncées par Milei, les dénonçant à la tribune de la Chambre lors de leurs interventions, soutenant ou en étant à l’origine de toutes les initiatives visant à faire entrave aux textes. L’ensemble de leur travail, en commission et dans l’hémicycle, était subordonné à leur participation, en première ligne, aux manifestations qui se déroulaient, au quotidien, devant le Congrès, autant pour être au plus près des secteurs les plus mobilisés que pour dénoncer la répression, ainsi que sur les piquets, et ce dès le premier jour. Par ailleurs, à l’encontre de toute idée d’étanchéité stricte entre, d’un côté, le champ politique et, de l’autre, le terrain syndical, les députés du FIT-U, à commencer par les quatre du PTS, n’ont eu de cesse d’interpeler les directions syndicales, exiger d’elles qu’elles mobilisent ou appellent à poursuivre la mobilisation, dénonçant leurs tergiversations ou leur attentisme, depuis le 24 janvier.

Aujourd’hui, cette politique se traduit, du côté du PTS, à travers une proposition en dix points qui est faite aux secteurs combatifs du monde du travail et à ses alliés, dans le mouvement des femmes, LGBTQ, de la jeunesse et des assemblées de quartier, en réponse au « pacte en dix points » que Milei souhaite mettre sur pied avec les gouverneurs de l’opposition, le 25 mai prochain, pour tourner la page de ses derniers reculs. Autour de la question des droits sociaux et des salaires, de la réduction de la journée de travail, de l’opposition radicale au modèle extractiviste et destructeur de l’environnement préconisé par le gouvernement, de ses attaques contre les droits fondamentaux et pour une alternative ouvrière et populaire, le PTS défend ainsi une politique d’interpellation et d’exigence, notamment vis-à-vis des organisations syndicales contrôles par les péronistes, qui est déclinée à tous les niveaux d’interventions de ses militantes et militants, dans les assemblées, les lieux de travail et d’étude ainsi qu’à partir des tribunes des institutions où nous avons des élu-es, à commencer par la Chambre des députés. Si une avant-garde de quelques milliers réussissait à se dégager, à partir des mobilisations territoriales et syndicales actuelles, pour défendre une partie de ce programme et s’adresser plus largement aux secteurs syndiqués et au reste du monde du travail évoluant dans la précarité et l’informalité, alors cela permettrait de poser les bases d’un véritable plan de lutte et d’un mouvement d’ensemble et dans la durée contre Milei, ses alliés avérés et ses complices objectifs qui restent aujourd’hui l’arme au pied. Une perspective qui est la seule réaliste pour gagner ce combat contre l’extrême droite au gouvernement.

Continuer de boxer après le premier round

L’Argentine est un pays de foot, ce qui est largement connu, et pour cause, mais également de boxe. Au point que le « noble art » a servi de source d’inspiration à plus d’une des multiples nouvelles de Julio Cortázar, l’un des écrivains les plus importants de la littérature argentine et, plus largement, hispano-américaine. « La vie des boxeurs, avait pour habitude de dire Cortázar, dépend de leurs ressources, de leurs directs et de leurs crochets ». Milei est monté sur le ring avec l’intention de mettre KO le monde du travail et les classes populaires pour pouvoir appliquer sans coup férir son programme ultraréactionnaire sur le plan économique, politique, social et sociétal. Sans doute a-t-il surestimé ses propres forces, son embonpoint cachant mal son manque d’entraînement. Sans doute aussi a-t-il confondu le catch – qui est avant tout une affaire de bluff – et la boxe – qui relève de la préparation, de la technique et du rapport de force sur le ring en plus des capacités à donner et à éviter les coups. Au bout du compte, et en dépit des espoirs de Milei, il n’y a donc pas eu de KO mais retournement de situation, le premier round étant gagné aux points par les ses adversaires, quand bien même le monde du travail n’a pas eu l’occasion de déployer toutes ses capacités de combat.

Dans une conférence sur la littérature, donnée en 1962, Cortázar affirme que « le bon écrivain est un boxeur astucieux, un certain nombre de ses premiers coups, dans un premier temps, peuvent paraître peu efficaces quand, en réalité, ils servent à miner les résistances les plus solides de son adversaire ». Nous n’en sommes qu’au premier chapitre de ce combat qui a révélé les contradictions et les faiblesses de la défense de Milei, qui n’est pas ce rouleau-compresseur d’extrême droite contre lequel il n’y aurait rien à faire si ce n’est voter péroniste (en Argentine) ou mélenchoniste (en France), mais qui est cependant loin d’être vaincu. C’est donc une nouvelle phase qui s’ouvre, le match ne faisant que commencer. Dans une situation internationale marquée par la guerre génocidaire d’Israël, les montées du militarisme, des frictions entre puissances et la consolidation de l’extrême droite dans de nombreux pays, le « second round » qui se joue en Argentine pourrait avoir des répercussions plus importantes qu’on ne le pense, selon qui, de Milei ou de la classe ouvrière, pourrait envoyer son adversaire au tapis. C’est en ce sens, également, que le suivi du combat en cours, de l’autre côté de l’Argentine, doit se doubler d’une forte solidarité internationaliste car dans les tribunes, disait encore Cortázar, les soutiens et supporteurs ont un rôle à jouer pour soutenir leur champion. Le nôtre est tout trouvé.

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