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Jeux olympiques

RATP. Les JO 2024, une opportunité dans la bataille contre l’ouverture à la concurrence ?

Depuis plusieurs mois, le gouvernement, IDF Mobilités et la RATP craignent une mobilisation dans les transports au moment des Jeux Olympiques. La tenue de cet événement serait en effet une opportunité de faire entendre les revendications des travailleurs sur les conditions de travail, les salaires ou encore sur l’ouverture à la concurrence.

Cécile Manchette

12 décembre 2023

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RATP. Les JO 2024, une opportunité dans la bataille contre l'ouverture à la concurrence ?

Ces derniers jours, la question de la situation des transports pendant les jeux olympiques préoccupe très fortement les classes dominantes. Mercredi 6 décembre, le Canard Enchaîné révélait ainsi les inquiétudes formulées par le Préfet d’Ile-de-France concernant l’état des transports, jugés incapables à ce stade d’absorber le flux de personnes attendues pendant l’événement. Ce lundi, c’est Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, qui était interrogée sur le risque de perturbations pendant les jeux. Des craintes qui expliquent la prudence affichée par l’Etat et la région vis-à-vis d’attaques imminentes sur le secteur telles que l’ouverture à la concurrence, mais soulignent également les enjeux stratégiques potentiels pour faire entendre les revendications des travailleurs.

Tout pour éviter un mouvement social pendant les Jeux olympiques et paralympiques de 2024

Le 22 novembre dernier, après le sénat, l’assemblée nationale a voté en première lecture une proposition de loi sur l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP qui étale sur deux ans le processus, mais comprend également des mesures visant à « rassurer les travailleurs » sur les conditions du transfert en termes de garanties sociales. Celle-ci permet notamment d’échelonner le calendrier d’ouverture à la concurrence des réseaux de bus de la RATP à Paris et en petite couronne, qui devait être actée le 1er janvier 2025 à l’origine. Sans modification législative, les premiers lots auraient en effet dû être attribués dès juin 2024, soit avant les jeux olympiques et paralympiques.

Valérie Pécresse, présidente d’île de France Mobilités, autorité organisatrice de la mobilité pour la région Ile-de-France, a soutenu cette mesure avec un objectif clair : attribuer les premiers lots au lendemain des JO en octobre 2024 pour éviter des remous pendant cette échéance qui concentre de forts enjeux économiques et politiques. Comme cela est retranscrit dans Libération, le rapporteur Franck Dhersin a évoqué lui-même centralement lors de la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable le 11 octobre que « la perspective des jeux olympiques nécessiterait la pleine capacité du service francilien. La désorganisation des transports publics de voyageurs donnerait ainsi de la France une très mauvaise image [souligné par nous] . » Au-delà des enjeux techniques, le gouvernement et la région craignent en effet des mouvements de grève pendant les jeux olympiques. Une peur légitime étant donné le mécontentement à la RATP quant à l’ouverture à la concurrence.

En parallèle, la loi assure notamment aux travailleurs qu’ils ne seront pas transférés par ligne de bus mais par centre bus, ce qui permettra aux travailleurs de garder le même lieu de prise de poste. La loi annonce aussi le report de l’entrée en vigueur du cadre social territorialisé (CST) pour une période transitoire de 15 mois. Valérie Pécresse, présidente d’île de France Mobilités, déclarait le 11 octobre, lors de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable : « IDF mobilités imposera aux nouveaux opérateurs de maintenir les conditions sociales dont bénéficient aujourd’hui les agents de la RATP. Les conditions sociales des agents de la RATP sont supérieures aux conditions sociales socles qui sont fixées par le décret CST qui s’applique aux autres opérateurs sociaux [souligner par nous]. Cela permet de tranquilliser les agents ».

Si cela ne suffisait pas, à la RATP et à la SNCF, des négociations sont en cours concernant la question d’une prime journalière pour les agents pendant les JO, ou encore la mise en place d’une prime d’assiduité, toujours avec la volonté d’acheter la paix sociale le temps de l’événement. « Le gouvernement et les entreprises se préparent pour affronter les JO dès maintenant. Ils sont entrain de promettre la mise en place de primes journalières, ou encore de primes pour inciter à prendre des congés en dehors des vacances scolaires et des JO. Ils anticipent aussi des lois anti grèves ou encore la mise en place d’équipes spéciales pour remplacer de potentiels grévistes. Par ailleurs tous les secteurs de la maintenance vont voir leur charge de travail être augmentée dès maintenant pour que le réseau soit optimal au moment des jeux. » explique ainsi Laura Varlet, militante à Sud Rail, pour qui les travailleurs des transports auraient bien tort de se « tranquilliser » face à une opération qui vise surtout à éviter une explosion de colère.

Des attaques contre les conditions de travail à venir et déjà en cours

En effet, IDF Mobilités n’a pas attendu l’ouverture à la concurrence pour s’attaquer aux conditions et au temps de travail des machinistes de la RATP. Ces dernières années, l’objectif constant de IDF mobilités et de la RATP a été ouvertement « de faire travailler plus pour gagner plus », comme l’avait déclarée l’ex-présidente du groupe RATP Catherine Guillouard en 2022. Ainsi, suite à la mise en place du cadre social territorialisé en avril 2021 pour « définir des règles communes à tous les opérateurs qui se partageront le réseau historique de la RATP en 2025 », la RATP n’a cessé de vouloir modifier les règles de travail et de rémunération des agents de bus à la baisse pour préparer progressivement l’ouverture à la concurrence, et favoriser les conditions de transfert pour les futurs exploitants.

La défiance du côté des travailleurs à la base et l’expression de ce mécontentement via de multiples grèves depuis 2019, a poussé la RATP et les syndicats à canaliser la colère par un dialogue social renouvelé, et a étalé dans le temps les attaques contre les conditions de travail et les acquis sociaux pour éviter une confrontation trop brutale. Finalement, en janvier 2023, Jean Castex, nouveau président de la RATP, a pu se féliciter d’avoir signer un accord majoritaire avec FO et l’UNSA modifiant les conditions de travail des conducteurs de Bus et de Tramway. Comme nous l’écrivions dans nos colonnes, en échange d’une contrepartie salariale, ces syndicats ont validé une augmentation du temps de travail, la suppression de repos et la généralisation des services « en deux fois ». Cet accord avait été signé par l’UNSA et FO avec la logique selon laquelle l’ouverture à la concurrence étant actée, il ne restait plus comme horizon que de négocier la régression sociale.

Si la RATP et IDF Mobilités sont contraintes de négocier ou de reporter la date de l’ouverture à la concurrence, c’est bien en raison de la colère qui continue de gronder du côté des agents de la RATP. Celle-ci s’est notamment exprimée lors de la grève contre la première version de la réforme des retraites en 2019, puis contre la seconde réforme des retraites en 2023. Mais aussi plus récemment lors de grèves locales, où les travailleurs ont montré leur détermination comme celle dans la maintenance qui a duré entre octobre et décembre 2022. Depuis la rentrée de septembre, plusieurs grèves ont également éclaté dans des centres bus de la grande couronne contre la dégradation des conditions de travail et les salaires, à l’image de la grève de 40 jours au dépôt de Keolis Montesson ou encore dans différents centre bus Transdev, comme à Coubron, Chelles, Villepinte, Tremblay ou encore actuellement dans le 78, à Houdan, Rambouillet et Chevreuse. Des mouvements qui montrent que la colère existe chez les travailleurs des transports, et qu’elle pourrait s’exprimer dans le cadre d’un grand mouvement contre l’ouverture à la concurrence, à condition de se coordonner et de se doter d’un plan de bataille.

Pour de meilleures conditions de travail pour les travailleurs et un meilleur service public des transports pour les usagers : se coordonner dès maintenant pour construire la riposte

A l’opposé de l’idée qu’il est trop tard pour s’opposer à l’ouverture à la concurrence, à la casse des conditions de travail, ou à l’augmentation du Pass navigo, ou encore qu’il faudrait se battre après les jeux olympiques, la période qui s’ouvre entre aujourd’hui et le début des JO pourrait être propice à la construction d’un rapport de forces. Alors que les classes dominantes sont fébriles mais demeurent très déterminées à aller au bout de leurs attaques contre les transports, il est temps de commencer à construire la riposte.

Pour le moment, les directions syndicales ont choisi la voie de la conciliation. Récemment, les directions des organisations nationales qui font partie du comité d’organisation des jeux olympiques, se félicitaient ainsi de la mise en place d’une « charte sociale sur les conditions de travail des salariés mobilités » pour la première fois de l’histoire des jeux olympiques. Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT, qui siège au comité d’organisation en tant que représentant des confédérations syndicales déclarait ainsi en juin 2023 que « pendant les JO, le code du travail ne sera pas mis en parenthèse », en contradiction avec la réalité de certaines mesures annoncées, concernant notamment les congés et le travail le dimanche. Interrogée ce lundi sur France Info, Sophie Binet s’est quant à elle totalement déresponsabilisée de la construction d’un plan de bataille, expliquant notamment que la CGT n’allait pas « s’amuser à gâcher la fête. »

Du côté des transports, les directions des syndicats font également comme si les jeux olympiques n’existaient pas, avec une absence quasi-totale de communication sur le sujet. La colère contre les conditions de travail dégradées, promises à l’ensemble des travailleurs des transports avec l’ouverture à la concurrence, qui s’exprime dès aujourd’hui à travers différentes grèves locales, montre pourtant qu’une perspective de combat est possible.En ce sens, les agents de la RATP qui ont su s’organiser par leurs propres moyens en 2019 pour s’opposer à la réforme des retraites, faisant reculer le gouvernement sur sa première version de la réforme, ainsi que les secteurs qui relèvent la tête dans des grèves locales actuellement à Transdev ou Keolis, montrent la voie.

Plus récemment, dans un autre secteur, [les travailleurs sans papiers exploités sur les chantiers des JO dans des conditions exécrables ont aussi fait une démonstration. Ils ont organisé un mouvement et une grève en octobre, autour du mot d’ordre « pas de papiers, pas de JO ! », afin de réclamer leur régularisation et le retrait de la loi immigration. 150 travailleurs sans-papiers ont ainsi occupé le chantier du futur site olympique de l’Adidas Arena à La Chapelle pour exiger leur régularisation. En 72h, les travailleurs sans papiers ont obtenu une première victoire importante par la force de l’action et de la grève. Preuve qu’alors que l’Etat, la région et le patronat veulent absolument garantir la tenue des JO dans les meilleures conditions, ils sont aussi plus à même de céder aux revendications des travailleurs.

De plus, un mouvement dans les transports est d’autant plus nécessaire que les usagers de la région parisienne seront les premiers lésés par les problèmes de transports pendant les jeux et par l’augmentation du prix des tickets annoncée. Surtout, ils pâtissent déjà au quotidien de la situation catastrophique dans les transports et de l’expérience, en grande couronne, des conséquences de l’ouverture à la concurrence, qui vise avant tout à baisser les coûts pour les exploitants afin d’augmenter la rentabilité, en contradiction avec la perspective d’un service public des transports accessible à tous et toutes et de qualité, massivement développé, voire gratuit.

En ce sens, la période de préparation des jeux olympiques pourrait être une occasion en or pour les travailleurs des transports et les usagers de mettre sur la table le caractère néfaste de l’ouverture à la concurrence mais aussi d’avancer des revendications concrètes tant pour les travailleurs que les usagers, et de construire un plan de bataille pour les arracher. Pour cela, il est urgent de chercher à se coordonner entre différentes entreprises des transports, en lien avec les usagers, pour discuter de perspectives et de revendications communes contre l’ouverture à la concurrence et la destruction des transports publics, pour la gratuité et un investissement massif dans les transports, mais aussi pour des augmentations de salaires, leur indexation automatique sur l’inflation et l’amélioration des conditions de travail.

Des revendications à porter dès maintenant, dans un contexte où les grèves locales dans ce secteur se multiplient et posent la question d’un plan d’ensemble à même de faire reculer IDFM et le patronat des transports urbains et inter-urbains.


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