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« Vendredi islandais »

Islande. Grève historique des femmes pour l’égalité salariale et la fin des violences de genre

En Islande, les femmes et les minorités de genres ont fait grève contre les inégalités salariales et les violences de genre. Le taux de grévistes a atteint un niveau record, témoignant du fait que même dans un pays où la première ministre fait grève, le système capitaliste patriarcal et raciste est toujours bien en place.

Dimitri Audat

8 novembre 2023

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Islande. Grève historique des femmes pour l'égalité salariale et la fin des violences de genre

Crédits photo : Capture d’écran reportage C à Vous "Islande : les femmes font grève pour l’égalité salariale" - 25/10/2023 - YouTube

Le 24 octobre dernier, une grève des femmes a marqué l’Islande, réunissant 100 000 Islandaises dans une mobilisation sans précédent. Ce chiffre représente près d’un quart de la population de l’île, faisant de cette journée un événement historique d’envergure, comparable en ampleur à celle de 1975. Cette journée, communément appelée le « vendredi islandais », a été instaurée en 1975 dans le but de mettre en lumière le rôle crucial des femmes, en particulier en ce qui concerne le travail reproductif non rémunéré, tout en réclamant une plus grande représentation politique et de meilleurs salaires.

Cette grève a connu à l’époque une participation massive, avec 90% des Islandaises impliquées d’une manière ou d’une autre. Son impact économique a été significatif, affectant divers secteurs où les employés étaient majoritairement des femmes, des médias aux transports en passant par l’éducation et l’industrie de la pêche.

Suite à cette mobilisation, en 1976, le Parlement islandais a adopté une loi garantissant l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, bien que cela n’ait pas réellement amélioré la situation en termes d’emploi et de rémunération pour les femmes. Quatre ans plus tard, en 1980, Vigdís Finnbogadóttir est devenue la première femme présidente d’Islande.

De nos jours, l’Islande est considérée comme l’un des pays les plus avancés en matière d’égalité : elle est en tête de l’indice pour l’égalité des sexes, la représentation politique, l’accès à l’éducation et au travail, l’égalité des congés parentaux et des gardes d’enfants ainsi que la garantie d’une réintégration rapide dans le travail et les études après une maternité.

Un pays exemplaire en matière d’égalité ?

 

Pourtant, quarante-huit ans après 1975, les travailleuses islandaises continuent de se battre, car les inégalités et la violence n’ont malheureusement pas disparu. En effet, malgré le fait que l’Islande soit présentée comme le pays le plus égalitaire sur les questions de genre, ce pays n’est pas en dehors du système patriarcal.

Les données de l’année 2023 révèlent que les femmes continuent de percevoir des salaires inférieurs de 9 à 10 % par rapport aux hommes. Cette disparité salariale découle en grande partie de la prédominance des femmes dans les emplois les moins rémunérés. En outre, il est alarmant de constater que 40% des Islandaises déclarent avoir été victimes de violences à caractère sexiste ou sexuel.

Cette réalité met en évidence le fait que l’égalité en termes de droits et de loi ne suffit pas à garantir une protection contre la violence dans les faits. C’est cette situation que dénonce une des organisatrices de la grève dans The Guardian : « on parle de l’Islande comme si c’était un paradis de l’égalité. Mais un paradis de l’égalité ne devrait pas compter un écart de salaires entre les hommes et les femmes et avoir 40% des femmes victimes de violences sexistes ou sexuelles dans leur vie ».

En effet, la présence (par ailleurs limitée) de femmes dans des positions de pouvoir ne peut pas éradiquer le patriarcat, un système intrinsèquement lié au capitalisme. Les emplois les moins rémunérés, tels que le ménage et la garde d’enfants, restent largement féminins. De plus, le secteur économique vital pour l’Islande, le tourisme, repose fortement sur la main-d’œuvre issue de l’immigration, laquelle prend sa retraite plus tardivement et perçoit les salaires les plus bas. Tout cela découle de la division patriarcale et raciste du travail par le capitalisme.

La première ministre en grève

Face à une telle démonstration, le gouvernement réagit en offrant une aide financière de 15 millions d’euros aux associations. Une mesure qui est loin de résoudre les revendications historiques du mouvement féministe islandais, à savoir l’égalité salariale et la fin des violences. Et pour cause : cela impliquerait d’augmenter tous les salaires y compris ceux des migrantes, qui représentent aujourd’hui la couche des femmes les plus précaires, mais aussi de partager le temps de travail entre toutes et tous, ou encore de socialiser tout le travail domestique et de remettre en cause le modèle de la famille.

À la lumière de ces différents faits, le fait que la première ministre islandaise ait également fait grève prend une coloration différente. En effet, aujourd’hui, la grève est co-organisée avec le gouvernement et semble avoir perdu son caractère spontané. La Première ministre se positionne désormais comme la figure emblématique de cette mobilisation : une tentative de canalisation et de détournement des revendications légitimes des femmes islandaises, dans le but de légitimer davantage le gouvernement en place.

Contre la récupération politique d’une colère si légitime, pour aller au bout de ses revendications, le mouvement féministe islandais doit s’appuyer sur cette énorme démonstration de force pour s’auto-organiser par la base, sur les lieux de travail, sur les lieux d’études, dans les quartiers, et défendre un programme de lutte en indépendance du gouvernement, qui ne peut que jouer un rôle de maintien du système capitaliste patriarcal et raciste. 


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