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Bilan

ONET Montpellier : quelles leçons après 80 jours d’une grève exceptionnelle ?

La grève des salariés d'Onet du CHU de Montpellier, débutée le 13 septembre dernier, a pris fin ce vendredi 1er décembre. Après 80 jours de lutte, quelles leçons tirer de cette grève historique ?

Lucas Darin

11 décembre 2023

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ONET Montpellier : quelles leçons après 80 jours d'une grève exceptionnelle ?

Crédit photo : Révolution Permanente

Un combat exceptionnel

« Si on nous avait dit en septembre qu’on serait encore là aujourd’hui  ». Cette exclamation a rythmé les dernières semaines de cette grève exceptionnelle, qui a débuté le 13 septembre et s’est achevée le vendredi 1er décembre suite à un accord trouvé avec l’entreprise ONET. Quatre-vingts jours de lutte à travers laquelle les grévistes ont montré d’une détermination à toute épreuve.

Quatre-vingts jours de fête, de doutes, de joies, de peines, de rires et de colères parfois, que les mots ne suffisent pas à décrire. Quatre-vingts jours qui, surtout, constituent une expérience quasiment unique pour des femmes et des hommes qui ont mené un combat d’une ampleur que très peu de gens ont connu avant eux.

Mais loin d’avoir été une expérience seulement pour les grévistes, la lutte des salariés d’ONET doit rester dans les mémoires et constituer une véritable leçon pour toute notre classe. A l’heure où l’inflation ne fait que grandir, et où l’augmentation des prix de l’énergie va entraîner un hiver catastrophique pour des millions d’entre nous, il est nécessaire de se préparer à mener des luttes pour arracher des augmentations de salaires pour vivre dignement.

La grève des salariés d’ONET n’est d’ailleurs pas un événement isolé et s’inscrit dans une série de combats pour la dignité et des augmentations de salaire : la lutte des Verbaudet au printemps, la grève de 40 jours à Keolis Montesson, ou encore les récentes luttes dans les différents dépôts Transdev en région parisienne.

Quels résultats pour la grève ?

A l’image de ces autres luttes, la grève s’est conclue sur un compromis avec l’entreprise, qui donne lieu à un résultat contradictoire.

D’un côté, une victoire morale très importante. A travers ce combat, les grévistes ont relevé la tête et se sont battus avec une force incroyable pour leur dignité, face au mépris de l’entreprise qui les exploite, leur imposant salaires de misère, cadences infernales et temps partiels ou horaires coupés. En se mobilisant ensemble, ils ont renversé la table et montré à ONET qui fait réellement tourner l’entreprise. C’est un élément essentiel du bilan de la grève, qui se traduit par la syndicalisation de nombreux grévistes, et la section CGT pourrait se retrouver renforcée par de nouveaux militants pour former une équipe combative, forte de l’expérience de la grève et déterminée à continuer la lutte à long terme.

De l’autre, un bilan mitigé sur les revendications. Les grévistes ont obtenu le recul de l’entreprise sur le dispositif de contrôle du travail salle par salle imposé sans consultation, qui était l’étincelle de déclenchement de la grève. Cependant sur le plan économique, ils n’ont obtenu qu’une mesure plus symbolique qu’autre chose : une prime exceptionnelle de 650€ au prorata des heures effectuées en décembre, et donc réduite de moitié pour les temps partiels par exemple. Alors que les grévistes revendiquaient initialement une prime annuelle équivalente à un treizième mois, cette somme ponctuelle de 650€ paraît très en-dessous du combat de près de 3 mois qu’ils ont mené, d’autant plus contre une entreprise qui a fait 36 millions d’euros de bénéfices en 2021.

Ce bilan contradictoire, partagé par de nombreux grévistes, était parfaitement résumé par les mots de Khadija Bouloudn, déléguée syndicale CGT et véritable figure de la grève au Midi Libre : « Plusieurs sentiments se mélangent. On est émus d’avoir mené un si long combat et d’avoir noué des liens très forts entre salariés qui œuvrent sur différents sites du CHU. Dans le même temps, on est contrariés de reprendre le travail sans avoir obtenu tout ce qu’on demandait. Mais si notre grève s’arrête, le combat continue ».

A partir de ce bilan en demi-teinte, à la fois très encourageant pour la lutte à long terme, mais mitigé pour les revendications immédiates, se posent deux questions principales : Comment les grévistes ont-ils tenu jusque là et obtenu certaines revendications ? Comment auraient-ils pu arracher plus ?

L’auto-organisation des grévistes : la force de la grève

L’ingrédient central de la durée du conflit est avant tout la détermination à tout épreuve des grévistes, qui exprimaient dès les premiers jours qu’ils ne bougeraient pas tant qu’ONET ne plierait pas et qu’ils se préparaient à une lutte longue.

Mais cet ingrédient central n’a pu s’exprimer que grâce à l’organisation collective des grévistes, qui dès le premier jour se sont investis dans une grève militante. Loin de faire une « grève-canapé » où chacun reste chez soi, les grévistes ont tenu un piquet tous les jours pendant ces quasi trois mois de grève, piquet qui a été un élément essentiel pour créer de la cohésion, permettre au grévistes de se rencontrer, d’échanger sur leurs conditions de travail. Progressivement, les grévistes se sont organisés autour d’assemblées hebdomadaires où chacun participait à la discussion pour décider des suites à donner à la grève.

L’implication de tous les grévistes dans leur lutte et le fait qu’ils décident ensemble de continuer ou pas, ont permis de créer un collectif très solide, qui a partagé des moments très forts et qui était soudé autour de revendications et de décisions partagées par tous et toutes. Ce fonctionnement a permis à de nombreux grévistes de prendre un rôle important dans la grève, et de renforcer l’équipe de direction de la grève qui reposait initialement sur un petit nombre de syndiquées.

Au-delà même du piquet de grève, les grévistes sont petit à petit devenus de réels militants de la grève, que ce soit en diffusant des tracts dans le CHU, mais aussi et surtout en se tournant vers l’extérieur. Ainsi, en plus de différents rassemblements en centre-ville pour visibiliser leur lutte, les grévistes ont pris part à de nombreuses manifestations ces derniers mois comme la journée du 23 septembre contre le racisme d’Etat, le 13 octobre contre l’austérité ou encore le 25 novembre contre les violences faites aux femmes. De plus, les grévistes ont participé à de nombreux événements pour parler de leur lutte, comme une projection à l’université Paul Valéry et deux soirées de soutien, aux bars Le Barricade et Le Madrediosa.

En plus de ces éléments subjectifs et d’auto-organisation des grévistes, la caisse de grève a été un apport important dans cette lutte, pour permettre de réduire la pression financière sur les grévistes. Lancée dès les premiers jours du conflit, la caisse de grève, militée activement par le comité de soutien aux grévistes d’Onet, a recueilli près de 20 000 euros en ligne, et plusieurs milliers d’euros physiquement collectés dans les manifestations, lors de soirées de soutien, ou encore sur les marchés de la ville.

Comme en témoigne le montant récolté, la grève a en effet rencontré beaucoup d’écho, et reçu du soutien à la fois d’organisations, en particulier la CGT mais aussi le syndicat Sud Chimie Sanofi qui a versé 750€ à la caisse de grève dans les premiers jours du conflit, La France Insoumise avec la venue des députés Nathalie Oziol, Rachel Kéké et François Ruffin, mais aussi de plusieurs dizaines de personnes organisées dans le comité de soutien impulsé par les militants de Révolution Permanente. En plus des aspects moral et matériel, ce soutien a permis de peser dans la médiatisation de la grève, notamment en novembre avec la venue de députés comme Rachel Kéké et François Ruffin sur le piquet de grève.

Une lutte riche en leçons

En plus de tous ces éléments qui ont permis aux grévistes de tenir un tel combat, le bilan final mitigé nous donne beaucoup d’autres leçons à retenir pour les luttes à venir.

En premier lieu, la grève a démontré la radicalité du patronat, et la nécessité de penser les grèves en terme de rapport de force. En effet, en tenant aussi longtemps sans céder aux revendications, voire même sans accepter de négociations, la direction d’ONET a montré à quel point elle était prête à tout pour ne pas donner aux grévistes un 13ème mois, quitte à prendre le risque de perdre le chantier de l’hôpital qui représente pourtant la moitié de son activité locale.

En partant de ce constat, on ne peut que comprendre le piège que constituerait une logique de négociation cordiale, qui voudrait trouver un terrain d’entente avec des patrons qui ne céderont que ce à quoi ils sont obligés. Les salariés d’ONET ont fait l’expérience de cette impasse sur la question du 13ème mois, où la direction a fait tomber la revendication jusqu’à une prime très peu satisfaisante de 650€.

De son côté, la direction d’Onet l’a bien compris et a multiplié les coups bas tout au long de la grève pour faire plier les grévistes, ou neutraliser leur lutte : faire venir tout frais payés des salariés de Rodez pour palier à l’arrêt du travail des grévistes, venir sur le piquet pour mettre la pression aux salariés en grève, ou encore se coordonner avec le CHU qui s’est révélé être un bon complice.

De leur côté, quelles clefs auraient pu permettre aux grévistes d’augmenter le rapport de force en leur faveur ?

La première clef, dont les grévistes étaient bien conscients, repose sur l’élargissement de la grève. Si la grève partait déjà sur des bases très positives en concernant 5 sites hospitaliers différents, le fait de n’avoir été que 40 grévistes sur près de 120 salariés – dont de nombreux CDD ou temps partiels – a limité l’impact sur l’hôpital et sur ONET. L’entraînement dans la lutte de l’ensemble des salariés, voire même d’autres secteurs comme les grévistes l’ont tenté à plusieurs reprises en allant à la rencontre des salariés ONET travaillant à la SNCF, aurait été un élément déterminant pour faire céder l’entreprise. Si cet élargissement est un objectif particulièrement difficile à atteindre, et exige de passer parfois au-dessus d’une certaine colère vis-à-vis des non-grévistes, il n’en reste pas moins indispensable pour construire un rapport de force suffisant.

La deuxième clef consiste à organiser la solidarité et aller chercher du soutien de manière très active. L’écho rencontrée par la grève des salariés d’ONET, avec plusieurs centaines de donateurs, et des dizaines de personnes qui ont milité la grève, sont venues sur le piquet de grève ou participé aux soirées de soutien, montre qu’un important sentiment pro-travailleurs existe dans la population, qui subit elle aussi l’inflation, des conditions de travail qui se dégradent et dont des millions de personnes ont lutté ces dernières années, contre la réforme des retraites ou le racisme, pour le climat ou les luttes féministes et LGBTI.

Mais au-delà même du soutien que les grévistes ont pu trouver dans la population, c’est du côté des organisations qu’il existe une grosse réserve de soutien potentiel, notamment financier. Si La France Insoumise a apporté une contribution petite au vu de ses moyens importants, les organisations du mouvement ouvrier auraient pu elles aussi mettre plus de poids dans la balance. L’absence totale tout au long de la grève de FO, syndicat majoritaire de l’hôpital, est un véritable scandale. De son côté, la CGT, à commencer par le syndicat CGT du CHU, est l’organisation qui a le plus soutenu les grévistes, y compris matériellement avec une aide financière de plusieurs milliers d’euros, répartis entre différents syndicats locaux, l’Union Locale et la fédération Ports et Docks suite aux sollicitations des grévistes.

Toutefois, ce soutien paraît en décalage avec l’ampleur de la grève des salariés d’ONET. Au-delà de la réponse à leurs sollicitations et d’apporter du soutien en conférence de presse ou pour l’organisation de rassemblements, les grévistes auraient pu avec l’aide de l’Union Départementale, l’Union Locale et la CGT du CHU lancer une grande campagne de solidarité auprès de tous les adhérents de la CGT du département. Cela aurait été l’occasion de faire de cette grève un événement majeur de l’automne à Montpellier, et aurait permis d’organiser plus activement tout le soutien qui s’est exprimé.

Au-delà même de Montpellier, une telle lutte historique, d’un des secteurs les plus exploités et les plus précaires du monde du travail, aurait pu avoir une portée symbolique majeure pour toute notre classe sociale qui subit l’inflation. Alors que le gouvernement repasse à l’offensive depuis la rentrée, les organisations du mouvement ouvrier ont comme responsabilité de montrer la voie à suivre pour mettre un coup d’arrêt aux réformes antisociales et au patronat. En se saisissant à échelle nationale de la principale grève du pays avec celle d’Emmaüs, la CGT aurait permis de mettre une pression beaucoup plus grande sur l’entreprise et peut-être d’arracher une victoire pour montrer la voie à des centaines de milliers de travailleurs exploités.

Ces deux éléments – élargir au maximum la grève et chercher le plus possible de soutien – sont donc essentiels pour faire céder un patronat radicalisé qui ne comprend que le rapport de force. S’ils ont manqué aux grévistes d’Onet cette fois-ci, ils sont autant de leçons sur lesquelles pourront s’appuyer les grévistes pour leurs prochaines luttes, en plus des deux principaux acquis de la grève.

D’une part, plusieurs d’entre eux sont bien décidés à renforcer la section CGT, qui pourrait devenir un syndicat combatif et dynamique de la ville. D’autre part, toutes et tous ont aujourd’hui comme formidable acquis d’avoir pris part à une grève dans laquelle loin de la passivité et de l’écrasement subi dans le cadre du travail, ils ont pu relever la tête et s’affirmer comme de réels combattants faisant preuve d’un courage exceptionnel.


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