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Droits reproductifs

Constitutionnalisation de l’IVG : avancée historique ou symbole vide ?

Presque 50 ans après la loi Veil, l’IVG sera-t-il inscrit dans la Constitution ? Alors que Macron adopte le langage de l’extrême-droite sur la natalité et la démographie, comment comprendre cette tactique ?

Sasha Yaropolskaya

26 janvier

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Constitutionnalisation de l'IVG : avancée historique ou symbole vide ?

Ce mercredi 24 janvier l’Assemblée nationale a voté pour changer l’article 34 de la Constitution pour y inclure « la liberté garantie de la femme à l’IVG ». Le marathon de la constitutionnalisation de l’avortement semble approcher de la ligne de l’arrivée : le gouvernement entend sceller le texte le 5 mars en réunissant le Parlement en Congrès à Versailles. Même si son contenu a été maintes fois dilué pour l’adapter aux exigences de la droite qui domine le Sénat, le projet de loi risque toujours d’être tué dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg.

IVG dans la constitution : un parcours interminable

Il y a deux ans, une onde de choc a secoué le monde : la jurisprudence Roe v. Wade garantissant le droit à l’avortement aux Etats-Unis à l’échelle fédérale a été révoquée par la Cour suprême à majorité Républicaine ouvrant la porte à la criminalisation de l’IVG dans les États sous le contrôle du Parti Républicain. Si on s’est habitués à lire les nouvelles sur les reculs des droits reproductifs dans les pays dits autoritaires de l’Europe d’Est comme la Russie, la Pologne ou la Hongrie, le recul de ce droit démocratique dans un pays impérialiste se présentant comme « une cité qui brille sur la colline », un phare de démocratie et de liberté, est apparu aux yeux du monde comme un symbole important de la menace contre ce droit qui semblait acquis et gagné définitivement.
 
Il se trouve qu’en France, à l’été 2022 le sujet résonnait avec le contexte : des élections présidentielles et législatives qui venaient d’avoir lieu, actant la crise du macronisme et la percée fulgurante du Rassemblement national qui a obtenu pour la première fois 89 sièges à l’Assemblée nationale. Début automne, à la première session législative du Parlement renouvelé, le gouvernement et la gauche entreprennent d’inscrire l’IVG à la Constitution : pour protéger en gravant « dans le marbre » ce droit fondamental. C’était du gagnant-gagnant pour la France Insoumise comme pour le macronisme. La France insoumise pouvait alors se présenter comme une gauche raisonnable, voire hégémonique, capable de travailler avec la majorité pour lui imposer des sujets progressistes. Pour le macronisme, c’était une occasion en or de commencer le nouveau mandat de Macron par un geste se plaçant dans la droite continuité du « front républicain contre l’extrême-droite », cette cynique rengaine qui a permis sa réélection. Le vote de la loi en première lecture s’est tenu le 24 novembre 2022, la veille de la journée internationale contre les violences sexistes et sexuelles, et le texte a été adopté par une très large majorité de 337 députés. Les femmes parlementaires de la gauche institutionnelle sont alors sorties de l’hémicycle et se sont dirigées vers les journalistes en chantant « Debout les femmes ! ». Mathilde Panot, présidente du groupe La France Insoumise et dépositaire de la proposition de loi, s’est félicitée alors d’un « signal que la France envoie aux femmes du monde entier ». Mais le chemin parlementaire s’est avéré long et sinueux : de nombreux reports, oppositions du Sénat, changements du contenu… De quoi calmer l’enthousiasme initial.
 
Les priorités du gouvernement se sont tournées vers la réforme des retraites alors qu’il devait faire face à un mouvement de masse dans les rues, puis vers la loi immigration qui a pour sa part ouvert une crise institutionnelle. La France insoumise a retiré sa proposition de loi, laissant au gouvernement le soin d’introduire un projet de loi promettant l’inscription non plus « d’un droit à l’IVG et à la contraception » garantissant « à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectifs à ces droits » mais dorénavant seulement « d’une liberté de la femme à avorter ». Plus généralement, la séquence politique a basculé. Le macronisme a poursuivi son ancrage à droite en votant la loi immigration, une des plus xénophobes de ces dernières décennies, et en y intégrant des points de programme historiques de l’extrême-droite tels que la préférence nationale pour l’octroi des allocations.
 
Sur les questions de droits des femmes également on a vu s’opérer un basculement. Emmanuel Macron a adopté la rhétorique de l’extrême-droite sur la démographie et la natalité, et depuis le dernier remaniement, le gouvernement compte désormais au moins sept anciens opposants du Mariage pour tous. Ce virage à l’extrême-droite a déçu certains soutiens historiques du macronisme, séduits à l’époque par la pseudo-révolution du « en même temps » qui se tournent aujourd’hui vers un Macron 2.0 pour les Européennes, Raphaël Glucksmann. En janvier 2024 la constitutionnalisation de l’IVG semble arriver très à contretemps tant elle n’est plus du tout en phase avec les orientations réactionnaires de la fin du second quinquennat. Mais peut-être finalement pas tant à contretemps que ça ? Regardons bien. La majorité prévoit passer le projet de loi à travers les deux chambres du Parlement avant le 5 mars : ce serait un coup politique à la portée internationale quelques jours avant la journée internationale des droits des femmes, et à seulement trois mois des élections européennes. Alors que Jordan Bardella et la liste du Rassemblement national sont en tête des sondages pour Bruxelles, la constitutionnalisation de l’IVG peut servir à relégitimer la macronie comme une alternative de « moindre mal » face à l’extrême-droite.
 

Passer l’IVG dans la constitution à travers le Sénat de Gérard Larcher ?

 
« Je ne suis pas favorable à l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Je pense qu’il n’est pas menacé en France. Je considère que la Constitution n’est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux », a asséné le président du Sénat Gérard Larcher en début de semaine sur France Info. Une déclaration qui donne déjà le ton de l’opposition que peut rencontrer le projet de loi fin février au Sénat. Cette institution réactionnaire, élue par un suffrage indirect, est dominée par une majorité les Républicains dont la base électorale bourgeoise et catholique ne rêve pas, à priori, d’avancées des droits reproductifs : ce sont après tout ces braves gens qu’on retrouve dans les manifs anti-IVG. Après avoir imposé au camp macroniste un paquet de mesures radicales dans la séquence « loi immigration » justement grâce à leur assise au Sénat, les Républicains risquent de nouveau vouloir montrer leurs muscles.
 
Tout de même, une petite fenêtre de passage existe. Les dernières sénatoriales ont légèrement augmenté le nombre de sièges de la gauche et érodé les positions de la droite. Alors que certains indépendants et certains centristes ont voté pour le projet de loi à l’Assemblée nationale, le scénario pourrait se rejouer au Sénat créant une courte majorité « pour ». D’autant plus qu’au sein des LR les positions ne sont pas forcément homogènes, le parti offrant une liberté de vote sur les sujets dits « sociétaux ». Alors que LR est incontestablement un parti de la Manif pour tous, fin 2021, seuls 28 sénateurs Républicains (dont le président du groupe Bruno Retailleau) sur 148 avaient voté contre l’interdiction des thérapies de conversion des personnes LGBT. Cette faible capacité à serrer les rangs pourrait donc laisser une brèche suffisante pour que le texte soit adopté.
 

Signaux mixtes : réarmement démographique ou protection de l’IVG ?

 
Imaginons un journaliste politique étranger qui n’ait commencé à suivre la politique française que début janvier : le pauvre doit se casser la tête. Comment réconcilier la conférence de presse de Macron dans laquelle le chef de l’État a pris la défense de Gérard Depardieu et a parlé de la nécessité du « réarmement démographique » pour que « la France reste la France » (une reprise d’un slogan d’Eric Zemmour !) avec cette apparente avancée législative qui nous attend à la veille du 8 mars ? En effet, la France deviendrait un des premiers pays du monde à inscrire l’IVG dans sa Constitution, un avant-gardisme surprenant pour un Etat qui ferme ses frontières, restaure petit à petit le service militaire et promet des contrôles de fertilité à 25 ans. Mais est-ce si contradictoire que ça en a l’air ?
 
Qu’est-ce que cette inscription dit vraiment ? La formule employée par la macronie dans la dernière version fait seulement référence à la loi existante qui « détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Ce n’est pas une formule qui contraint l’État à garantir l’accès au droit à l’avortement sur l’ensemble du territoire. D’ailleurs, il faut remarquer que les discussions au Parlement évoquent peu l’idée d’allouer de nouveaux fonds pour rétablir les près de 130 centres IVG qui ont fermé ces 15 dernières années. Non, c’est une mesure purement symbolique qui vise à ériger une barrière, là encore symbolique, sur le chemin de toute formation politique souhaitant à révoquer le droit à l’avortement en France. Mais cette barrière n’est pas infranchissable et un chef d’État disposant d’une large majorité au Parlement pourra à nouveau réviser la Constitution pour supprimer cet article.
 
Surtout, la constitutionnalisation de l’IVG n’est pas du tout incompatible avec la dégradation de l’accès effectif à ce droit. Pour rappel, la Constitution commence par affirmer qu’elle assure « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion »… Ce qu’il y sera inscrit ne sera donc en rien incompatible avec la casse de l’hôpital public, la fermeture de lits, de maternités et de services d’urgences, avec le doublement des franchises médicales, bref, avec le projet macroniste pour la santé qui a déjà eu pour effet une hausse historique de la mortalité infantile. Cela ne va pas non plus mettre un terme à un contexte politique polarisé et tendu, dans lequel la droite et l’extrême-droite continuent à se mobiliser contre les droits reproductifs et LGBT en lançant des campagnes contre le Planning Familial auxquelles peut à l’occasion se joindre le gouvernement. Cette avancée n’est donc qu’un village Potemkine : une sécurité de façade cachant derrière elle la dégradation toujours plus grave des droits reproductifs en France qui ne va que s’approfondir alors que le gouvernement souhaite relancer la natalité « des nationaux » en France hexagonale.
 

La colère s’organise contre Macron : c’est la seule voie pour défendre l’IVG !

 
Les grèves se multiplient en ce moment dans les centres hospitaliers, dans les urgences, dans les laboratoires d’analyses médicales. L’envie d’en découdre avec Macron ne manque pas dans la santé, même si ces grèves restent pour le moment isolées et cantonnées dans les faits à des revendications locales. S’y ajoutent des journées d’action dans l’Éducation nationale, avec de multiples établissements mobilisés contre la loi immigration, ainsi qu’une mobilisation puissante qui a rapidement éclipsé toutes les autres : celle des agriculteurs. Un an après les mobilisations monstres du mois de janvier contre la réforme des retraites, le mouvement ouvrier reprend ses forces et le cycle de la lutte de classe se poursuit en France. À quelques mois des Jeux olympiques, la combinaison des mobilisations ouvrières et paysannes couplées aux mouvements contre la loi immigration et pour la libération de la Palestine peut être explosive.
 
Le mouvement féministe et LGBT doit tourner son attention vers ces mobilisations et non vers les verbiages au Parlement. C’est en joignant leurs rangs et en impulsant une mobilisation d’ensemble contre le régime de Macron pile au moment du « rayonnement international » des Jeux Olympiques qu’on pourra défendre véritablement le droit à l’avortement. Celui-ci ne peut pas être inscrit définitivement dans la loi, il suffit de voir les attaques qu’a commencé à mener Javier Milei en Argentine seulement trois ans après qu’il a été gagné par la vague verte, cette grande mobilisation féministe qui avait embrasé à l’époque plusieurs pays d’Amérique latine avant de s’éteindre. Le droit à l’avortement est garanti ou menacé en fonction du rapport de force que les femmes et les classes populaires peuvent imposer face à la bourgeoisie réactionnaire envisageant toujours le retour à ses traditions patriarcales.
 
Oui, il faut protéger le droit à disposer de son corps : IVG, contraception, transitions, PMA, on doit se battre pour tous ces droits fondamentaux ! Mais il nous faut aussi des moyens pour les assurer : un hôpital public entièrement gratuit sous le contrôle des personnels de santé et des patients, une offre de soin étendue sur tout le territoire, des transitions libres et entièrement gratuites permettant l’épanouissement de chacun. Ces moyens ne nous seront jamais offerts sur un plateau d’argent par un gouvernement néolibéral : il va falloir les arracher par un dur combat contre le patronat.


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