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24 de août de 2017 Twitter Faceboock

La guerre des images
La main noire de Staline sur la photographie en URSS

Le stalinisme a mis en place une méthode systématique et perfectionnée pour faire disparaître ses adversaires politiques, et en particulier Léon Trotsky, des photographies et de l’histoire.

Rodrigo Wilson
Enfoque Rojo

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Staline, organisateur de ressentiment

Cent ans se sont écoulés depuis la première et la plus grande entreprise qui a conduit la classe ouvrière à son triomphe, la Révolution Russe. C’est également le 77ème anniversaire de l’assassinat de Léon Trotsky, l’un des dirigeants les plus importants de la révolution avec Lénine. La vie de Trotsky, bien sûr, n’est pas sans moments merveilleux, héroïques, difficiles et risqués. Elle n’a pas non plus manquée de période d’exiles, de persécutions, d’attaques et s’est achevée par son assassinat politique par un commanditaire du stalinisme, au Mexique.

Trotsky ne pouvait concevoir sa vie sans la lutte tenace pour les idées du marxisme. C’était un écrivain exceptionnel et exigeant, implacable dans la critique. Comme il l’a dit dans son livre "Ma vie" (tentative autobiographique), en particulier durant la période de la guerre civile et celle de formation et de direction de l’Armée rouge, il a su gagner beaucoup d’amis, des camarades proches et aussi des ennemis. Ces derniers, Staline a pris soin de les réconforter, de les organiser et de les utiliser à ses propres fins.

Trotsky se mettra à la tête de la lutte contre la bureaucratisation, poursuivant le dernier combat de Lénine. Lui et tous ses camarades seront persécutés par les méthodes de Staline.

La retouche photographique

Le photomontage est une méthode presque aussi ancienne que la photographie elle-même. Mais ce n’est pas un problème en soi, car il parait normal d’intervenir pour améliorer les problèmes techniques causés par la lentille comme des aberrations, un flou faible, mais indésirable. La création de fresque ou de tableau, à partir de photographies est même devenue un style propre à d’autres disciplines artistiques : c’est le cas du collage, mais c’est aussi une technique introduite par un mouvement photographique connu sous le nom de Pictorialisme. Actuellement, avec le support numérique, la technique a fait un énorme bond, ce qui permet une manipulation dans l’image dans des proportions qui n’avaient pas été imaginées. L’utilisation de logiciels de plus en plus performants n’ont fait qu’étendre l’horizon créatif.

Concernant la Révolution Russe, son histoire ne manque pas de distorsions et de manipulations d’images pour faire disparaître des leaders politiques. Le stalinisme a utilisé les outils de son époque pour falsifier des documents historiques photographiques et les adapter à la « nouvelle » histoire officielle qu’il a construite pour justifier les privilèges de la caste bureaucratique. Avant de les faire disparaitre des images d’archives, Staline a d’abord, à partir des années 1920, ordonné l’assassinat de ses adversaires, une pratique qui ne se limitait pas à l’opposition de gauche, à Trotsky et à sa famille ; mais touchait aussi les alliés de circonstance de Staline.

David King a publié le livre "LE COMMISSAIRE DISPARAIT" où il explique la manipulation et la disparition non seulement physique, mais aussi des images de toute personne qui interférait d’une façon ou d’une autre avec les objectifs staliniens ou qui, tout simplement contestait son leadership bureaucratique. Il y a une grande diversité d’exemples de disparitions. Dans cet article, nous ne nous arrêterons qu’à quelques unes d’entre elles.

On pourrait dire que cette manipulation grossière, délibérée et perverse a rempli un double objectif : terrifier les ennemis qui avaient vu ces images et avaient connu les « disparus » (et pour les générations futures, cacher la vérité) et faire connaitre une histoire officielle où l’on idolâtre la figure du leader et père de la révolution, Staline.

Le commissaire disparait

De toute évidence, Staline a tout fait pour faire disparaître Trotsky de tout récit historiographique en URSS, afin qu’il reste inconnu des nouvelles générations qui étaient nées dans un pays où la révolution avait déjà triomphé. Il fallait faire disparaitre toutes traces de ces discussions, et avec elles les dirigeants qui avaient contestés les privilèges de Staline et de sa caste.

Le 5 mai 1920, Trotsky est vu dans une photographie haranguant les soldats de l’Armée rouge marchant vers le front. Derrière lui se trouve l’imposant Théâtre Bolchoï, et à côté à gauche de Trotsky se trouvent Lénine et Kamenev.

L’illustrateur Petre Nikolaievitch Staronosov a fait une réinterprétation à la demande de Staline de très mauvaise qualité, en supprimant de la scène Trotsky et Kamenev et en faisant parler Lénine. Cette illustration a été utilisée pour un album intitulé « La vie de Lénine ».

Dans cette autre image, on voit Lénine haranguer les troupes qui partent pour le front polonais. Lénine est penché vers la gauche sur un podium élevé. A sa droite, sur des marches en bois, se trouvent Trotsky et Kamenev. De cette scène il y a plus d’un cliché, car c’est une des plus connue de la Révolution russe. La photo a été prise par G.P. Goldstein, et montrait un Lénine encore vivant et actif, et un Trotsky qui conservait encore la place que la révolution lui avait donné.

Après l’expulsion de Trotsky de l’URSS, la photographie a cessé d’être exposée et a été victime de nombreuses manipulations et même de réinterprétations par d’autres médias. C’est le cas d’un tableau dans lequel l’image documentaire originale a été complètement faussée. La photographie a subi des recadrages : la silhouette de Trotsky et de Kamenev sont volontairement coupées.

Lors du dixième anniversaire de la Révolution russe, cette image est réutilisée dans plusieurs publications, mais elle a déjà été mise en doute, comme on peut le voir dans l’exemple ci-dessous où Trotsky et Kamenev sont remplacés et où ils doivent combler le vide en reconstruisant les marches de la scène.

Autre exemple ci-dessous. Nous voyons Lénine et Trotsky entourés d’une multitude de personnes, y compris des cadres de renom et des chefs de révolution. Cette image est célèbre et largement connue. La photo a été prise par Leonidov. En 1967, une version, dans laquelle Trotsky, ainsi que Kamenev, ont été éliminés avec l’utilisation d’un aérographe, a été utilisée. Il y a un homme à barbe noire debout devant Trotsky, c’est Artashes Khalatov, un géorgien qui a rejoint les bolcheviks en 1917. Il était commissaire soviétique mais a été éliminé plus tard avec des milliers d’autres d’officiers talentueux lorsque Staline a débuté sa guerre contre les cadres du parti en 1937. Devant Khalatov, il y a Maxim Litvinov avec ses mains dans ses poches. Un homme engagé dans le mouvement révolutionnaire depuis 1898. Il était l’un des principaux organisateurs bolcheviks. En 1959, il est mort dans des circonstances mystérieuses.

Cette photographie a également connu une autre interprétation picturale par les mains de Diego Rivera dans la série de peintures "Projet d’Amérique". L’image est le numéro onze appelé "Détail de la Guerre Mondiale".

Alexander Rodchencho a conçu le livre "Dix ans d’Ouzbékistan" en 1934 pour célébrer une décennie du régime soviétique dans ce pays. Un livre plein de photographies de bureaucrates et de fausses statistiques, selon David King. Cependant, le livre était intéressant car il a été conçu par Rodchenko avec des techniques graphiques créatives, des brochures à l’intérieur, des œuvres en relief, etc. En Russie, il a été publié en 1934 et en Ouzbékistan l’année suivante. Dans la photo originale, les personnes suivantes apparaissent : assis de gauche à droite : Akhun Babaiev ; Molotov ; Abel Yenukitze. Debout : Ortaqlar Blan Birlikda ; Alaridan Avezov et Turzun Kodzhaiev. En 1937, dans la période de purge au sein du parti, Staline a ordonné une restructuration importante du pouvoir ouzbek et à ce moment là il a commencé à éliminer les cadres. C’est pourquoi il lui a fallu éliminer Yenukitze de la photo, ce qui implique de retoucher l’image. C’est pourquoi la copie montre comment ils ont recréé ce qui ne pouvait pas être vu, les costumes de Turzun Kodhzaiev et de Molotov.

Dans l’autre image, il y a des visages effacés par Rodchenko dans un exemplaire qu’il possédait. Staline a autorisé l’exécution de Yenukitze, l’un des derniers vieux bolcheviks assassinés par Yezhov. Huit membres de cette famille ont péri avec lui.

La disparition de Léon Trotsky dans les photographies va de pair avec son élimination physique, devenue l’objectif principal de Staline. Trotsky rappelle dans son livre "Ma vie" la définition que Boukharine lui donna de Staline : "Cet homme n’a jamais fait un travail sérieux. La première qualité qui distingue Staline -m’avait appris Boukharine un jour- c’est la paresse ; la deuxième, une jalousie illimitée contre tous ceux qui savent ou peuvent plus que lui. Il s’est conduit hypocritement même avec Lénine "(page 454, 2ème édition IPS).

Mais cette politique d’effacement du révolutionnaire russe de la mémoire collective n’est malgré tout pas parvenue à faire disparaitre l’héritage de Léon Trotsky. Aujourd’hui, les trotskystes suivent son exemple sans relâche et avec fierté.

 
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