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24 de juillet de 2017 Twitter Faceboock

Gouvernement Macron : Derrière « Jupiter », un bonapartisme faible
Juan Chingo

Suite à l’effondrement du PS, le macronisme a permis de réunifier politiquement la grande bourgeoisie qui s’était auparavant divisée autour de l’écueil gauche/droite, ainsi que des secteurs des classes moyennes supérieures autour du projet néolibéral. Mais au-delà de l’apparence d’une large majorité parlementaire autour de La République en Marche, sa base sociale reste fragile.

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Crédit photo : Le Ficanas ®

Tout en se délimitant symboliquement du quinquennat Hollande, Emmanuel Macron s’appuie et cherche à renforcer les aspects les plus bonapartistes de la Vème République. Son objectif de faire passer une réforme du code du travail encore plus ambitieuse que la loi travail de Myriam El Khomri, adoptée en juillet 2016, ainsi qu’une nouvelle loi anti-terroriste qui vise à intégrer dans le droit commun certaines dispositions de l’état d’urgence, en est la preuve. Avec cette dernière loi anti-terroriste, les autorités pourraient surveiller n’importe quelle personne s’il existe des « motifs suffisants » pour penser que son comportement représente une menace « particulièrement grave » pour la sécurité. Il serait désormais également possible d’empêcher la circulation de personnes au-delà d’un « périmètre géographique déterminé » et de réaliser des violations de domicile jour et nuit. Ce sont deux mesures qui étaient en vigueur actuellement en raison de l’état d’urgence, et dont l’Etat français a fait un usage de masse à l’encontre de militants et de mouvement sociaux, depuis les attentats terroristes du 13 novembre 2015. C’est caricatural mais Macron se considère quelque part comme au-dessus des simples mortels, comme un président « jupitérien », comme il a déclaré lors d’un entretien en octobre 2016 pour la revue Challenges.

Une base sociale étroite

Suite à l’effondrement du PS, le macronisme a permis de réunifier politiquement la grande bourgeoisie qui s’était auparavant divisée autour de l’écueil gauche/droite, ainsi que des secteurs des classes moyennes supérieures autour du projet néolibéral. Mais au-delà de l’apparence d’une large majorité parlementaire autour de La République en Marche, sa base sociale reste fragile. Le gouvernement profite du fait qu’il y a une opposition affaiblie et fragmentée, et qu’une partie de la droite soutient son programme économique, de sécurité et répressif. Comme nous avons déjà dit dans des précédents articles, ce bloc bourgeois naissant est socialement minoritaire dans le pays. Contrairement aux discours démagogues autour de l’entrée de la « société civile » à l’Assemblée Nationale, le macronisme renforce encore plus l’exclusion du champ politique non seulement des classes populaires, mais aussi de certains secteurs des classes moyennes, qui étaient la base clientéliste du vieux bi-partisme. Mais comme disait Stefano Palombarini, auteur avec Bruno Amable du livre L’illusion du bloc bourgeois : « L’étroitesse de la base sociale de Macron n’a pas d’obstacle à la hauteur de son ambition ‘réformiste’. Au contraire, c’est la conscience de la fragilité du nouveau bloc social qui oblige Macron à agir vite et fort. On peut facilement prévoir qu’après le Code du travail, le gouvernement s’attaquera aux institutions qui organisent la protection sociale et le système de retraite, ou encore au périmètre des services publics et au statut de la fonction publique : car l’objectif est bien une transition rapide et complète du capitalisme français vers le modèle néolibéral » (souligné par nous).

La caution de gauche du bonapartisme macroniste : le soutien des directions syndicales

Si le gouvernement s’appuie sur la droite sur tous les mécanismes anti-démocratiques de la Vème République pour avancer vite, sa « lune de miel » des premiers mois n’auraient pas pu être aussi efficace en l’absence d’une pièce centrale du régime, à savoir les directions des grandes confédérations syndicales. L’éditorialiste de Le Monde, Michel Noblecourt, explique, par rapport à la réforme du code du travail, que « le gouvernement a trouvé la martingale pour faire passer la pilule. Il a réhabilité le rôle de la branche, satisfaisant du même coup FO, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et l’UNSA, en renforçant sa ‘fonction de régulation économique et sociale’ ». Et concernant le changement de méthode de l’exécutif par rapport aux annonces pré-électorales : « Conscient de la fragilité de sa toute-puissance – le taux d’abstention à la présidentielle, et plus encore aux législatives, et les scores de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon confirmant les colères d’une société qui a les nerfs à vif –, le chef de l’Etat a promis que les ordonnances sur la réforme du code du travail seraient précédées par une véritable concertation ».

Les doutes dans le passage à l’action du macronisme

Pendant la campagne électorale, Macron avait déployé son agenda néolibéral et avait promis aux patrons qu’il allait réduire les dépenses publiques de manière drastique, « en même temps » qu’il allait réduire les impôts, à commencer par les impôts des secteurs les plus aisés comme la réforme fiscale sur le revenu ou encore la réduction fiscale pour les entreprises, et en même temps qu’il allait révolutionner le marché du travail. Mais au moment où il fallait lancer la machine, Macron a hésité. C’est le sens des dix jours de zig-zag fiscal qui a d’abord amené le gouvernement à repousser le calendrier des réformes fiscales, avant de revenir aux premiers engagements, en raison de la pression des soutiens libéraux du président. Comme soulignait la principale éditorialiste de Le Monde, Françoise Fressoz : « À force d’entendre le président de la République promettre une « transformation » profonde du pays au cours des cinq prochaines années, on avait fini par croire que tout était déjà ficelé. Qu’il n’y avait plus qu’à observer l’implacable déroulement d’un plan mûrement réfléchi. La conjoncture politique exceptionnelle créée par Emmanuel Macron renforçait cette idée. Bénéficier d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale alors que l’opposition est en état de sidération offre une opportunité de réformer qui ne se représentera pas deux fois. Et pourtant surprise ! La main de l’exécutif tremble avec, d’entrée de jeu, un gros cafouillage sur les impôts, une matière hautement inflammable, quelques jours seulement après la déclaration de politique générale du premier ministre, Edouard Philippe, censée donner le coup d’envoi des réformes ».

Mais au-delà des hauts et des bas du macronisme, il y a deux droites qui cohabitent : « L’une, juppéiste, est prudente : pour contenir le déficit budgétaire dans la limite des 3 % du produit intérieur brut, elle privilégiait le lissage dans le temps des cadeaux fiscaux afin d’éviter le coup de matraque sur la dépense publique. C’est comme si le souvenir des grandes grèves de 1995 ressurgissait alors que les fonctionnaires ont le sentiment d’être pris pour cible à travers le gel du point d’indice, la réduction annoncée de leurs effectifs ou encore la hausse de la contribution sociale généralisée. L’autre droite, plus libérale, privilégie la baisse des impôts susceptible d’enclencher le choc de confiance, quitte à augmenter la dose nécessaire d’économies budgétaires » (souligné par nous). Et voilà, après avoir beaucoup critiqué le hollandisme, ses doutes et les deux gauches (une gauche réformatrice et moderne, et une autre arriérée et qui a empêché de gouverner), sans même passer l’acte, voilà deux droites qui émergent. Autrement dit, le nouveau gouvernement, qui devait en principe surmonter tous les obstacles pour imposer la réforme des anciens blocs de droite ou de gauche qui se sont succédé au pouvoir les dernières décennies, a rompu l’engagement qu’il avait construit avec la base populaire. Nous nous trouvons d’une certaine manière avec le fantasme qui hante les différents gouvernements français depuis la grève générale des fonctionnaires en 1995, et qui a remis sur le devant de la scène l’idée que les braises de 1968 peuvent être rallumées.

Crise historique avec les Forces Armées : il faut cacher les faiblesses pour que d’autres n’en profitent pas

Plus grave encore, la décision du gouvernement de coupures budgétaires a ouvert un front de conflit impensé au sein de la classe dominante et avec l’un des piliers de droite de son bonapartisme : les Forces Armées, regardées et aimées par de nombreux gestes depuis que Macron est arrivé au pouvoir. Après une altercation autour des réductions dans le budget de la Défense, le chef des Forces Armées françaises a démissionné, ouvrant une crise historique en temps de paix avec le gouvernement, expression en même temps du renforcement de toutes ces années de pouvoir « de facto » des militaires sur la scène publique. Sa première crise importante est survenue la semaine dernière : un coup pour Macron, un premier revers pour le rôle de monarque qu’il essaie de jouer de manière exagérée depuis qu’il est devenu président. Jusqu’à l’éclatement de cette crise, Emmanuel Macron était intouchable, presque adoré par tous les médias et en l’absence de quasiment toute opposition politique. Après cette crise, le pouvoir jupitérien est descendu et a été la cible de tous ses opposants politiques de l’extrême droite à la gauche réformiste de Mélenchon, en passant par les républicains, y compris le bloc qui s’était prononcé en soutien à Macron et ce qui reste du Parti Socialiste. Tous ces secteurs ont été unanimes dans la dénonciation de l’attitude du gouvernement envers les forces armées. Les déclarations de son porte-parole vendredi, une fois que la crise avait l’air de s’être refermée avec la nomination d’un nouveau chef des Forces Armées et la visite de Macron à la base où il a essayé d’arranger les choses en faisant un geste envers les militaires, répond non seulement à ses airs de grandeurs de petit Bonaparte, mais aussi et fondamentalement à la conscience qu’il a de ses propre faiblesses. Au moment où il incarne un bras de fer avec le monde du travail, c’est dangereux pour le pouvoir de montrer une certaine vulnérabilité. Il s’agit parfois d’un rappel tellement abusif de son autorité que cela finit par produire l’effet inverse en raison de ses gestes autoritaires. Comme l’explique une analyste du Figaro : la « crise intervient à un moment délicat pour Emmanuel Macron. Depuis quelques semaines, sa popularité a commencé à s’effriter. Elle demeure toujours au-dessus des 50 %, mais la rentrée s’annonce complexe pour le chef de l’État avec l’adoption programmée par ordonnances de la réforme du Code du travail et l’élaboration du budget 2018, où figureront de nombreuses mesures d’économies. Dans ce contexte, la crise ouverte avec l’armée peut contribuer à saper l’autorité d’Emmanuel Macron ».

En finir avec l’illusion macroniste : se préparer à de grands affrontements de classe

« L’illusion communicative », comme l’appelle un analyste, a été puissante. Rendu possible par l’attitude positive des syndicats, l’aura des premiers mois du gouvernement Macron avait construit une illusion totalement démesurée par rapport à la situation réelle du pays. Comme souligne le spécialiste de la communication, Arnaud Benedetti, dans un article récent : « On a beaucoup célébré, ces dernières semaines, les détours d’un chemin initiatique venant scander l’apprentissage épiphanique du nouvel élu. La com’ avait aspiré comme par miracle les inquiétudes, les ressentiments, les mauvaises humeurs, sans toutefois éteindre une certaine forme de circonspection. Dans sa phase de conquête la providence politique, la connivence médiatique, une communication digne de la gestion d’une marque prometteuse furent les bonnes fées de l’élève Macron.

De la pyramide jusqu’au 14 juillet, l’entrée au palais se fit par la suite à coup de ballets, de saynètes, de récits dont le sens consistait à produire l’effet d’une remise en ordre d’un monde présidentiel malmené par deux quinquennats, éruptif pour le premier, chaotique pour le second. L’ère de la représentation, de la seule pratique symbolique des responsabilités s’achève. C’est désormais le vif qui saisit le pouvoir, la mécanique imprévisible de la décision et de l’action qui vient perturber ainsi le bel agencement narratif auquel le macronisme s’efforce d’assigner chacun d’entre nous, à l’instar de spectateurs émerveillés par le flux continu de prouesses scéniques. Le Prince ne peut plus seulement s’abîmer dans le reflet flatteur que lui renvoie une opinion bien plus virtuelle que concrète ».

Le changement dans la conjoncture qu’a signifié l’élection de Macron, en comparaison avec la période de turbulence des présidentielles, n’a pour autant pas refermé la crise organique du capitalisme français. L’élection de Macron en est d’ailleurs une expression, tout en étant également une tentative de la résoudre, même si le bloc bourgeois qu’il représente est encore loin d’avoir réussi à devenir le bloc dominant (non seulement par rapport aux secteurs populaires, mais aussi par rapport à d’autres fractions de la classe bourgeoise qui dépendent plus de l’État comme le secteur de l’armement, ou du BTP qui dépendent des investissements des collectivités territoriales). La polarisation et la tension qui caractérisent la société française sont loin d’avoir disparu. Les attaques terroristes et leur instrumentalisation réactionnaire afin de provoquer une vague encore plus dure d’islamophobie et de racisme, le retour du cycle de la lutte de classes à la fin du quinquennat Hollande après la parenthèse ouverte par la défaite du mouvement contre la réforme des retraites en 2010 et à posteriori la déception produite par un gouvernement « de gauche », la crise politique et l’effondrement des partis politiques depuis la social-démocratie, allant jusqu’à la droite traditionnelle, nous rappellent l’existence de tous les ingrédients pour une grande agitation politique et sociale dans la prochaine période.

Contre toute illusion d’une réforme qui allait passer facilement, la réalité, comme l’explique de son point de vue le sociologue Michel Wieviorka, est bien différente : « Il y a d’énormes potentialités de violence. Nous vivons depuis des années avec le terrorisme, l’islamisme radical qu’il faut bien entendu continuer à combattre. Et d’autres formes de radicalité violente émergent : les manifestations sont perverties par des casseurs ; des locaux syndicaux sont attaqués, l’extrême droite est sous tension. Quand on écoute les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, on sent de la rage, de la colère, de la frustration, qui, celle-là, n’est pas relative ! S’il n’y a pas de réponse à toutes ces attentes, pas de traitement politique, la violence en est l’horizon ». Jérôme Sainte-Marie, président de la société d’analyses et conseils, Polling Vox, affirme « L’ordre politique a rejoint celui des intérêts sociaux. Au lieu d’avoir des clivages qui s’entremêlent, ce sont des clivages qui se superposent. Cela rend la politique potentiellement plus conflictuelle, et crée une situation qui n’est pas sans rappeler les années soixante-dix. Après des décennies d’apaisement progressif, nous retrouvons un climat de détestation mutuelle et de peur réciproque. C’est pourquoi je m’attends à des affrontements politiques et sociaux comme la France n’en a pas connu depuis quarante ans ». Sans parler de quelqu’un de plus proche du pouvoir, comme Raymond Soubie, spécialiste dans les sujets liés au travail et ancien conseiller de Sarkozy, qui, malgré le fait de défendre la méthode macroniste d’imposer la réforme du travail XXL, a dit récemment : « Aujourd’hui Emmanuel Macron est sur un chemin triomphal mais la matière est toujours très inflammable." "La France peut toujours s’enflammer ?", s’enquiert Audrey Crespo-Mara. "Pas maintenant, mais plus tard" conclut son invité »

Pour une alliance de tous les exploités dirigée par le mouvement ouvrier

Nous sommes convaincus que tôt ou tard l’illusion macroniste, qui a hypnotisé les directions syndicales, arrivera à son terme. Nous ne doutons pas non plus que les travailleurs qui vont subir les conséquences de la réforme du code du travail vont se battre, comme le montre la lutte acharnée des GM&S. Mais la véritable question est de savoir si les organisations du mouvement ouvrier vont se préparer non seulement pour lutter mais aussi pour construire une alternative qui défende un plan contre-hégémonique à celui du bloc bourgeois, et la nécessité d’un plan ouvrier, populaire et internationaliste face à la crise. Il s’agit de la perspective stratégique pour la construction d’une large alliance sociale, qui rassemble tous les secteurs de la classe ouvrière, et en particulier les secteurs les plus exploités et qui permette en même temps gagner à ce projet à tous les opprimés, les jeunes des banlieues et tous ceux qui subissent l’oppression de l’impérialisme français. Tel est notre principal défi en tant que révolutionnaires.

 
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