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La Izquierda Diario
17 de mars de 2017 Twitter Faceboock

La subversivité à l’usine. Entretien avec Ghislaine Tormos, partie 1.
Le « Goulag » de Gigi, ouvrière à PSA Poissy. Plus qu’un café en bord de chaîne, un espace de résistance
Flora Carpentier

Ghislaine Tormos, plus connue sous le petit nom de « Gigi » est une figure de la lutte de PSA Aulnay, usine où elle a travaillé pendant 11 ans avant sa fermeture en 2013, au terme de 4 mois de grève.

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Début 2014, Gigi publiait un ouvrage-témoignage, « Le salaire de la vie », où elle raconte cette lutte historique et son quotidien de femme dans une usine presque exclusivement masculine. Militante CGT, Gigi travaille actuellement à PSA Poissy dans les Yvelines, où elle occupe un poste de monitrice de ligne. Sa responsabilité dans l’usine : empêcher que la chaîne s’arrête, par des dépannages, et en remplaçant les ouvriers qui travaillent sur sa ligne.

Mais ce qui motive le plus Gigi à aller à l’usine aujourd’hui, c’est son militantisme quotidien pour combattre la résignation des ouvriers, transmettre cette conviction qui l’anime, que l’on n’est pas condamné à courber l’échine et à accepter les mauvaises conditions de travail, sans broncher. La force de Gigi, ce sont ses démonstrations quotidiennes qu’on peut « l’ouvrir face au chef », même quand on est ouvrier, et même quand on est une femme, malgré tous les verrous que la dictature patronale sait si bien installer dans la tête des travailleurs.

Nous retranscrivons en nos pages, en trois parties, cet entretien que nous avons eu en marge de la projection-débat du film Pride à Paris 8, où les interventions de Gigi ont participé à la qualité des échanges et réflexions.

Propos recueillis par Flora Carpentier

Tu as installé de toi-même un coin café en bord de ligne à l’usine, que tu as appelé « Le Goulag ». Peux-tu nous raconter comment t’est venue cette idée ?

« Quand je suis arrivée sur la chaîne, c’était super dégueulasse. C’était noir avec des casiers un peu partout, chacun faisait ce qu’il pouvait pour avoir un petit casier dans un coin. Et il y avait une cafetière pourrie sur un truc pourri. Et j’ai un pote qui vient d’Aulnay qui travaille à la maintenance et qui a le même esprit que moi : c’est pas parce qu’on est dans une usine qu’on doit renoncer à notre liberté. Donc on a commencé à faire un beau petit coin, à récupérer des beaux casiers, un petit meuble, à nettoyer. J’ai commencé à rendre la ligne un peu plus claire. J’avais un grand panneau en bois, et c’était la période où il y avait plein d’heures supp obligatoires, et je me disais "merde on couche ici, c’est le Goulag ici, c’est pas possible !". Du coup je me suis mise à écrire en gros sur le panneau "Café Le Goulag, ouvert 7J/7, 24h/24", avec une grosse fleur rose, plein de couleurs. »

Comment la direction de l’usine a réagi ?

« Au départ, je me suis dit "tu parles ils vont me faire dégager ça vite fait", et au final non. Et puis après je m’en suis servi de panneau d’affichage. A chaque manif je ramassais plein d’autocollants et tous les jours je collais mes autocollants. Ils l’ont toléré pendant 1 an-2 ans, de temps en temps il y en avait qui arrachaient. J’ai bien fait comprendre qu’il ne fallait pas arracher mes autocollants sinon ça n’allait pas le faire ! Et puis j’ai commencé à coller des articles sur le droit du travail, sur le droit de retrait ou d’autres choses. Ça a commencé à ne pas leur plaire ! Ils me disaient que je n’avais pas le droit. Je me suis renseignée et effectivement les autocollants je n’ai pas le droit mais le droit du travail oui j’ai le droit ! Alors tous les jours c’était arraché et puis je recollais derrière mon article sur le droit de retrait, avec mon gros rouleau de Scotch ! Voilà où on en est !

Mon chef m’a même menacée en me disant que si je continuais à coller mes autocollants il n’y aurait plus de cafetière ! Je lui ai répondu que c’était pas mon problème, et que c’était avec les gars qu’il allait falloir régler ça parce que maintenant on est habitués à prendre notre café au Goulag tous les jours ! Du coup ils n’enlèvent pas le Goulag. »

Raconte-nous un peu, quelle est l’ambiance au Goulag tous les jours ?

« Maintenant c’est devenu le lien de rendez-vous ! Dans toute l’usine les ouvriers disent "Viens on se retrouve au Goulag !" Des fois je fais même des crêpes ! On a ce petit endroit propre pour papoter, boire le café, on amène nos tartines... Ça aussi, les gars n’étaient pas habitués à ce qu’on se prépare à manger. Parce qu’à part ça on n’a pas de lieu. On a bien une salle avec 3 tables mais c’est dégueulasse et le temps d’y aller et revenir, ça nous laisse très peu de temps. Alors qu’avec le Goulag en bord de ligne, on peut faire plein de trucs !

J’ai ramené une crêpière, on fait des crêpes, des sandwiches, de la salade de riz... ça permet de créer une solidarité. Quand c’est Noël je ramène des chocolats... pour moi c’est important de montrer que c’est pas parce qu’on est dans une usine qu’il faut oublier que c’est Noël, qu’on fait partie de la vie à part entière et qu’il y a des petits moments où on peut se faire plaisir.

J’ai ramené des grosses plantes en plastique aussi sur la ligne. Un jour mon ami de la maintenance ma demandé si je voulais des fleurs. Je lui ai dit "bien sûr je veux bien des fleurs". Je pensais qu’il allait me ramener un bouquet mais il m’a ramené des énormes bacs à fleurs, super beaux en plus ! Il les avait trouvés dans les bureaux ! On ne gêne pas, on prend où on peut prendre... et du coup j’ai installé ça sur la ligne ! Ça fait que j’ai des fausses plantes vertes sur la ligne, et tout le monde était content ! A Noël j’ai mis des boules, des guirlandes, pour donner un peu de vie ! On est vivants, on n’est pas que des machines ! »

Pour toi, installer ce café en bord de chaîne, c’est aussi pour créer des solidarités, essayer de changer les consciences des ouvriers ?

« Oui, ce sont des petites choses qui permettent de souder les gars, et sur les 3 équipes. Ça montre qu’on peut faire des choses. Parce qu’en fait je suis arrivée dans une usine où tout leur était interdit. Et depuis que je suis arrivée, quand ils voient toutes les « bêtises » que je fais et que ça passe, ils s’aperçoivent qu’on peut faire des choses. Même parler au chef, ouvrir sa bouche, ils voient que c’est possible. Là j’étais en formation pendant une semaine, ils m’ont envoyé des textos pour me dire que je leur manquais. Parce que je suis toujours en train de titiller mon chef, en train de crier, de les motiver, de résister… ça devient un jeu maintenant.

Le plus dur qu’on a à faire maintenant c’est de réussir à réagir tous ensemble. C’est compliqué parce que les ouvriers ont longtemps été mis dans la peur. Et puis à Poissy ils sont très rapides. S’ils voient qu’il y a un gars qui est un peu vindicatif sur la ligne, ils vont tout faire pour le déplacer. Donc il va se retrouver au montage alors que c’est un ferreur, ou ils vont lui mettre la pression d’une manière ou d’une autre… Donc c’est ça aussi qui tient les gars. Et quand on leur dit « mais non, si on est 32 à bouger sur la ligne, on ne peut rien nous faire », c’est de ça qu’on a encore un peu de mal à les convaincre. Mais on n’est là et on n’a pas l’intention de baisser les bras ! »

 
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