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La Izquierda Diario
25 de février de 2016 Twitter Faceboock

Dans la sphère du rap engagé
Interview avec Kash Leone, rappeur du 93 et ancien ouvrier de PSA Aulnay

Rappeur du 93 qui a parcouru les scènes, ancien salarié de PSA-Aulnay qui s’était engagé contre la fermeture de l’usine en musique… s’il est aujourd’hui en retrait de la scène musicale, Kash Leone garde toujours un pied dans le rap, en produisant les clips d’autres artistes, ou en épaulant de jeunes rappeurs du 93. Rencontre dans son home-studio à Aulnay-sous-bois.

Propos recueillis par Maël Ache

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Tu t’étais fais connaître en 2013, lors de la fermeture de l’usine PSA-Aulnay, où tu travaillais, en produisant un morceau et un clip pour soutenir les salariés. Que retiens-tu de cette expérience ?

Je pense que faire une grève ça endurcit quelqu’un, c’est compliqué, ça te ronge, ça te fatigue. On ne se rend pas compte que c’est pas juste ne pas aller travailler, c’est super compliqué psychologiquement. Je pense que quand on ressort d’une grève comme celle-ci, on ressort fiers de l’avoir fait, d’avoir montré qu’on pouvait encore un peu se rebeller et montrer qu’on était aussi des êtres humains.
Mais à partir du moment où ils nous ont annoncé « on ferme », c’était déjà fermé, ils avaient tout prévu. Le but c’était plus de clôturer cette histoire plus dignement, ne pas se laisser marcher dessus.

Le clip, c’était pour montrer le vrai visage des salariés, qui ils étaient. On n’arrêtait pas d’entendre à la télé qu’on était en train de casser notre outil de travail, que les grévistes tapaient sur ceux qui ne voulaient pas faire la grève et leurs supérieurs… C’était faux. Il y a pu y avoir des mots, mais ça n’allait pas jusqu’à frapper quelqu’un qui ne faisait pas la grève.
Le clip était en préparation déjà avant la grève, lors de l’annonce de la fermeture, trois mois avant. Il y a pas mal d’ouvriers qui sont venus me voir pour me demander de montrer comment nous on avait encaissé cette annonce de fermeture. C’est pour ça que je ne tape pas sur tout le monde, je ne suis pas en train de faire un appel à la grève, je suis juste en train de décrire ce que chacun de nous a ressenti ; je pense que c’est pour ça qu’il a parlé aux ouvriers d’autres usines, parce que ça se rejoint, on est tous considérés comme des numéros qui rapportent de l’argent.

Kash Leone feat Dj Rage - Ca peut plus durer

Ton rap est clairement engagé alors que le rap que l’on écoute le plus l’est de moins en moins, que penses-tu de cette évolution ?

Je fais une distinction entre celui que l’on écoute et celui que l’on entend le plus… Je pense que les médias ont clairement choisi leur style de musique, dans le but de faire de l’argent. Le rap engagé c’est plus contraignant, on peut nous mettre des bâtons dans les roues. Si on diffusait Ca peut plus durer sur Skyrock par exemple, ça serait un peu embêtant parce qu’il y a des pubs pour Peugeot sur Skyrock.

Gagner de l’argent avec le type de textes que j’écris, je pense que ce n’est pas possible. Mais il y a quand même pas mal de gens qui sont derrière, qui donnent de la force.

Après, je fais un rap engagé, mais pas autant que certains, parce que je ne pense pas avoir les connaissances qu’il faut pour traiter d’un sujet. Du coup, je me renseigne, pour ne pas survoler le sujet et essayer de savoir de quoi je parle.
Je pense que je suis juste quelqu’un qui raconte la vie, sans trop la déformer, en essayant d’apporter un bon vocabulaire, des métaphores, pour choquer ou pas mais je reste moi même.
Mais j’aime aussi être un « kickeur » qui va faire de la technique au micro, même s’il y a toujours un peu de conscience politique dans mes morceaux.

Est-ce que tu t’adresses à un public particulier ?

Non, je parle à tout le monde, même si tout dépend du thème de la chanson. Si je parle aux racistes, on sait à qui je m’adresse par exemple. Mais chacun prend mes chansons un peu comme il veut. Même quelqu’un qui n’est pas d’accord avec moi et qui va écouter ma chanson, je suis content, parce que peut-être qu’à un moment il sera amené à réfléchir et ça peut ouvrir un dialogue.

Maintenant, j’ai plus envie de faire ressortir les belles choses qui existent, dans mes morceaux. On a tendance à toujours se concentrer sur les trucs négatifs, j’ai l’impression que ça tourne un peu en boule, on aime bien, mais j’aimerais ouvrir d’autres voies.

T’es en indépendant, pas de label derrière toi… Est-ce que ça influe sur ta musique ?

J’ai été signé Universal Music avant, y a pas mal d’années, je suis resté environ un an, on nous payait des supers studios, on enregistrait des titres, on était en lien avec Skyrock. Mais j’aimais pas la transformation que pouvaient subir nos instrus, c’était pas du 100% nous : on a cassé le contrat en trouvant une clause qui n’était pas respectée et je suis revenu dans mon home-studio.
J’ai fait partie d’un collectif qui s’appelait « Cinquième Avenue », on n’a jamais enregistré de morceaux, on ne faisait que des concerts, on a fait pas mal de concours et de tremplins qu’on a tous gagnés. Après j’ai fait un duo « Tango et Kash », puis je me suis plus mis en solo. Mon premier clip seul c’était celui de PSA.

D’être indé ça influe pas sur ma musique, si demain j’ai envie de faire un truc avec des fleurs, du chant, je m’en fous, je le fais, c’est moi qui décide. Le seul truc qui me gênerait c’est de faire un truc qui ne me corresponde pas.

Pour moi ce qui prime, c’est le discours, de ne pas mentir. J’ai jamais écris que j’avais tué quelqu’un ou que j’étais riche. Maintenant un rappeur qui le dit, si c’est vrai, je ne peux pas lui reprocher de l’avoir dit. Mais s’il incite les jeunes à aller tirer sur des gens, là non je ne peux pas cautionner…

Tu ne fais pas partie de ces très rares privilégiés qui vivent exclusivement de leur rap… Qu’est-ce que tu fais à côté ?

En ce moment je suis en train de chercher un emploi, mais je suis aussi auto-entrepreneur et ingénieur du son, j’enregistre des gens, je suis beatmaker, réalisateur de clips, ce qui me permet de survivre. Comme j’ai mon studio, ça me permet aussi de me faire plaisir, d’épauler des jeunes artistes, en leur faisant des prods, de les aider dans leur projet.

J’aimerais bien trouver un boulot histoire d’être tranquille, d’avoir plus de sécurité. C’est pour ça que j’ai un peu arrêté en ce moment, parce que j’ai senti que j’avais un peu dévié, qu’il fallait que me dépêche de finir les projets, pour vivre en fait.

Que penses-tu de l’accès à l’art pour les jeunes ?

C’est plus facile de faire de l’art aujourd’hui qu’avant, il y a plus de structures. Par exemple à Aulnay il y a un club de danse qui existe depuis longtemps, trois salles de danse et plusieurs centaines de jeunes par an, qui payent quasiment rien, avec des profs très réputés… Et ça va certainement fermer à la fin de l’année. Donc tous ces jeunes là, ils vont galérer, parce qu’ils vont devoir aller ailleurs et payer super cher et les parents pourront pas. Soit ils arrêteront de danser, soit ils arriveront à s’organiser entre eux, mais la plupart vont arrêter, ça fera une motivation de moins pour s’en sortir et ils traineront…
A côté il y a Le Cap à Aulnay, avec plein d’ateliers de chants, d’écriture, de MAO (Musique Assistée par Ordinateur), de musiques, de prestations scéniques, avec des concerts, c’est énorme, mais ça va sûrement disparaître aussi. Tout ça, ça n’existait pas à notre époque, ils ont amélioré certaines conditions et d’un coup ils les enlèvent.

Et puis en même temps, aujourd’hui tout est plus facile, tu fais un morceau, tu le mets sur internet, tout le monde le voit. Avant si tu ne signais pas ou si tu n’étais pas diffusé à la télé ou à la radio, personne savait que t’existais. Là aujourd’hui, internet est plus fort que tous les autres médias réunis. Ca paye pas beaucoup mais ça te permet de « devenir quelqu’un ». Même pour enregistrer un morceau c’est beaucoup plus facile, les ordinateurs sont moins chers et plus puissants, on peut avoir une super qualité avec un logiciel gratuit.

Comme pas mal de rappeurs tu viens du 93… Le vois-tu comme une marque de fabrique, une fierté, ou cherches-tu à dépasser l’étiquette ?

On a tous un peu ce côté de reconnaissance, « on vient du 93 », on l’a un petit peu en nous. Mais c’est la même chose pour tous les autres rappeurs. A un moment c’était un peu la guerre entre le 93 et le 77 parce les deux revendiquaient le rap. Après y a eu NTM… Ca a quand même été un des piliers.
Mais personnellement, je m’en tape complètement, je pense que je fais plus de featurings avec des gens de province que du 93, j’aime bien voyager.
On est dans un style de musique, pas dans un département.

Un mot sur l’actualité, l’état d’urgence, les migrants… ?

J’étais allé dans la jungle de Calais il y a quelques mois, pour faire le clip d’un morceau, qui parlait un peu de l’image d’Eldorado qu’a la France par rapport à certains pays, je me suis dis d’aller là-bas pour survoler, sans rentrer dans l’intimité des gens, pour montrer que ça existe aussi.
Aujourd’hui quand je revois les images, que je lis des articles, sur les problèmes avec la police, les ONG qui se font virer à coups d’amendes, que quand la nuit tombe les CRS arrivent et s’emparent des camps, les bandes autour pour aller taper des migrants… C’est animal, on peut même plus parler d’humanité.
Hier on est parti piller toutes leurs richesses, aujourd’hui on n’a pas envie de les accueillir décemment, mais faut pas oublier que c’était la même chose avant pour pleins d’autres pays… Mais aujourd’hui eux c’est pas pareil, on ne veut pas les accueillir.

Kash Leone - Jusqu’au dernier souffle

 
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