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6 de février de 2023 Twitter Faceboock

Grève pour les salaires
Royaume-Uni : « Avec les grèves d’aujourd’hui, une nouvelle classe ouvrière est en train de naître »
Josefina L. Martínez

Le Royaume-Uni est secoué par une vague de grèves historiques, faisant planer le spectre d’une grève générale sur le pays. Entretien avec Satnam Virdee, chercheur spécialiste de la classe ouvrière britannique sur le nouveau cycle de lutte des classes qui s’ouvre actuellement et le réveil de la classe ouvrière en Grande-Bretagne.

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Cette semaine a eu lieu la grève la plus importante qu’ait connu la Grande-Bretagne depuis des décennies. Les enseignants, infirmières, ambulanciers, sapeurs-pompiers, fonctionnaires, professeurs d’université, cheminots, postiers et de nombreux autres secteurs sont à la tête d’une grève qui s’étend depuis plusieurs mois déjà et doit se poursuivre aux mois de février et mars.

La journée du 1er février en particulier a marqué par son caractère massif : un demi-million de travailleurs se sont mis en grève en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse. Enseignants et cheminots notamment ont convergé dans des manifestations massives.

L’existence de grèves de masse simultanées dans des secteurs clés de l’économie, font actuellement planer le retour du spectre de la grève générale. Lors d’un rassemblement organisé aux portes de Downing Street devant des milliers d’enseignants, Mick Lynch, leader du RMT ferroviaire, a déclaré : « Nous sommes la classe ouvrière, et nous sommes de retour »

Le mouvement actuel est profondément lié à l’augmentation considérable du coût de la vie – le Royaume Uni ayant connu l’inflation la plus élevée d’Europe l’année dernière. Ainsi, les conséquences combinées du Brexit, de la pandémie et de la guerre en Ukraine ont engendré une crise sociale majeure. Les médias relaient par exemple des témoignages d’enseignants expliquant que certains jours ils doivent choisir entre manger ou se chauffer. Cette situation sociale est aggravée par la destruction des services publics – en particulier de la santé et l’éducation – résultat de 40 ans de politiques néolibérales, mises en œuvre aussi bien par les conservateurs que les travaillistes.

Au sujet de ces nouveaux phénomènes de lutte des classes au Royaume-Uni, nous relayons ici une interview de Satnam Virdee, initialement publiée dans Ideas de Izquierda. Satnam Virdee, chercheur spécialiste de la classe ouvrière britannique, est professeur de sociologie et directeur du Centre de recherche sur le racisme, l’ethnicité et le nationalisme (CRREN) à l’université de Glasgow (Royaume-Uni). Il est l’auteur de Racism, Class and the Racialised Outcast.

Josefina L. Martínez : Quelle est selon vous la signification historique de cette nouvelle vague de grèves ?

Satnam Virdee : La vague de grèves actuelles, qui a débuté à l’automne 2022, est la plus importante mobilisation qu’a connu la Grande-Bretagne depuis 1990. Au mois de novembre 2022 seulement, plus de 450 000 journées de travail ont été perdues à cause des grèves. Le 1er février 2023, plus de 500 000 travailleurs sont descendus dans les rues de toutes les grandes villes de Grande-Bretagne pour manifester contre la flambée du coût de la vie.

Le caractère nouveau de ces grèves, c’est qu’elles impliquent à la fois des secteurs traditionnels de la classe ouvrière, comme les infirmières, les cheminots, les postiers, mais aussi des secteurs de professions libérales comme les professeurs d’université, les enseignants et les médecins. Ces derniers sont non seulement confrontés à une baisse de leur niveau de vie, mais aussi à la perte de l’autonomie qu’ils exerçaient dans leur travail. En d’autres termes, en raison des processus de déqualification, de routinisation et d’accélération du rythme de travail liée à la néolibéralisation, ils sont en voie d’être prolétarisés. Bien entendu, une telle affirmation doit être nuancée dans la mesure où ces dernières sont des professions verticales, de sorte qu’il existe toujours une élite au sein de chaque profession qui reste solidement ancrée dans la classe moyenne. Mais la tendance de fond est définitivement de pousser ces éléments à devenir une classe ouvrière du secteur public.

Les médias font souvent référence à l’hiver de mécontentement de 1978 auquel ils comparent la vague de grève actuelle. Cependant, il existe de nombreuses différences entre ces deux épisodes de la lutte des classes, quelle est votre vision à ce sujet ?

L’hiver du mécontentement de la fin des années 1970 n’est pas vraiment comparable au mouvement actuel. Le premier est arrivé à la fin d’une vague d’actions collectives intenses ayant débuté à la fin des années 1960. Elle reflétait en partie une désillusion croissante à l’égard du parti travailliste, qui n’a pas su apporter de changements sociaux significatifs à la classe ouvrière tout au long de cette décennie.

La période présente est très différente. Selon moi, nous sommes actuellement au début d’un cycle de protestation. Après plus de 30 ans de défaites de la classe ouvrière et d’absence de la classe ouvrière comme sujet collectif dans la vie publique, les enfants et petits-enfants de ces travailleurs défaits dans les années 1970 en ont assez. C’est l’une des caractéristiques les plus frappantes du mouvement actuel est qu’il est très jeune, composé aussi bien d’hommes que de femmes, et de toutes les ethnies. Cela reflète en partie le fait que, structurellement, ce sont les millennials et les plus jeunes qui ont été ciblés par l’austérité depuis la crise financière de 2007-2008.

Il a également été souligné que cette vague de grèves pourrait être définie comme une "grève générale de facto". Cependant, les directions syndicales refusent d’y appeler. La dernière grande grève générale en Grande-Bretagne remonte à 1926. Que pouvez-vous nous dire sur cette expérience et sur les luttes actuelles ?

Je ne pense pas que la vague de grève actuelle puisse être comparée à la grève générale de 1926. La grève générale de 1926 a eu lieu au cœur d’une crise profonde du système capitaliste mondial, marquée à la fois par des révolutions socialistes et l’émergence du fascisme. La grève générale de 1926, à laquelle ont participé environ 1,5 million de travailleurs du secteur des transports et de l’industrie lourde, était principalement axée sur la lutte contre la détérioration des conditions de travail et la baisse des salaires. Mais le contexte et l’atmosphère dans lesquels il s’est développé ont conduit à la stigmatisation des grévistes par l’appareil d’État.

La vague de grèves actuelle émerge à l’issue d’une période de trente ans de défaites et d’effacement de la classe ouvrière comme sujet politique. Les institutions, le langage, la politique de classe ont été vidées de leur substance pendant cette période en raison des processus de décomposition objective et politique de la classe ouvrière. Les grèves actuelles représentent un moment de réveil, une nouvelle classe ouvrière est en train de naître.

C’est une classe ouvrière très jeune et diverse qui se met aujourd’hui en grève. Qu’est-ce que cela apporte à la mobilisation ?

Tous les conflits clés, qu’ils impliquent des cheminots, des médecins, des enseignants, etc., montrent le caractère divers et multiculturel de la classe ouvrière britannique. Une grande partie de la société accepte sans y penser que les britanniques sont beaucoup de couleur de peau différentes. Cela s’explique par le fait que les principales vagues de migration ont eu lieu entre les années 1940 et 1960, et que nous parlons donc de britanniques racisés de troisième et quatrième génération. Et, bien sûr, aujourd’hui, beaucoup sont d’ascendance mixte. Comparé aux années 1960 et 1970, le racisme n’a pas été une question qui a divisé cette vague de mobilisation de la classe ouvrière. Bien sûr, le racisme d’Etat et quotidien reste une réalité forte pour beaucoup de personnes, mais parmi les grévistes, il ne semble pas être une division structurante.

Et en un sens, la diversité des personnes participant aux grèves signifie qu’elles apportent dans la grève des revendications de justice raciale et sexuelle. Il faut penser que cette vague d’actions collectives touche principalement les travailleurs du secteur public. Je pense qu’il y a plus de ségrégation raciale et plus de problèmes de racisme dans le secteur privé, mais ils ne sont pas en grève actuellement.

Le gouvernement tente d’opposer « l’opinion publique » aux grévistes, comme s’ils ne se battaient que pour des intérêts corporatistes, et ne se souciaient pas du reste de la population. Les grévistes répondent qu’ils se battent pour les salaires, mais aussi pour de meilleurs services publics pour l’ensemble de la population, comme la santé ou les transports. Y a-t-il des discussions actuellement sur la manière de gagner le soutien de la population à la grève ?

Je pense qu’il y a un tel débat en interne parmi les militants. Mais en public, les principales figures de la grève ont expliqué de manière convaincante pourquoi ils se mobilisent et le public les soutient massivement. Ce type d’alignement entre les grèves et l’opinion publique s’est rarement vu au cours de ces dernières décennies, mais cela indique peut-être à quel point la majorité de la population est réellement étranglée par le coût de la vie.

Le Royaume-Uni possède certaines des lois antisyndicales les plus répressives d’Europe, et le gouvernement compte en faire passer de nouvelles. Quelles sont les conséquences de cette législation ?

Oui, le gouvernement a introduit de nouvelles lois qui vont encore restreindre la possibilité pour les travailleurs de se mettre en grève pour défendre leurs salaires et leurs conditions de travail. La « Strike Bill » (loi sur les grèves) permettra aux ministres de prendre des mesures dans n’importe quel service au sein de six secteurs (la santé, l’éducation, les sapeurs-pompiers, les douanes, le démantèlement nucléaire et les transports) pour obliger les grévistes à reprendre le travail. S’ils ne soumettent pas à cette réglementation, les travailleurs pourront être licenciés et les syndicats pourront subir de très importantes conséquences.

Bien sûr, il reste à voir si le gouvernement britannique ira jusqu’au bout de ces mesures. Les récents gouvernements conservateurs se sont effondrés dans de graves crises. Et la classe ouvrière semble commencer à se réveiller, comme vous le disiez tout à l’heure. Est-il possible que la classe ouvrière au Royaume-Uni soit en train de renouer avec sa grande tradition de luttes combatives ?

Certainement. En même temps, il faut comprendre que nous sommes au début d’un cycle de lutte. Actuellement, ces conflits sont principalement défensifs et contrôlés par les directions syndicales, dont le but est d’améliorer le niveau de vie de la classe ouvrière. Il y a très peu de ce que j’appellerais des discussions autour d’un idéal de vie, sur comment on pourrait vivre une vie heureuse et épanouissante. Donc, nous sommes vraiment au début d’une vague de luttes ouvrières et il est difficile de dire si elles se poursuivront quand le Parti Travailliste reviendra au pouvoir.

Il est sûr que l’alternance électorale a permis à d’autres occasions déjà de faire taire la lutte des classes. Nous devrons voir comment cette vague de grèves se développe dans les mois à venir, si des secteurs plus combatifs et auto-organisés émergent. Tout ce que vous dites est très intéressant, merci beaucoup pour l’interview.

 
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