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3 de janvier de 2023 Twitter Faceboock

Salaires
Grève au triage SNCF du Bourget : « la grève doit appartenir aux grévistes »
Arthur Nicola

Depuis le 21 novembre, les cheminots du triage de fret du Bourget (Seine-Saint-Denis) sont en grève pour réclamer de meilleures conditions de rémunération et de travail. Sur cette unité opérationnelle de la SNCF qui rassemble une centaine de cheminots, c’est une grève par en bas qui se renforce depuis plus d’un mois, alors que la direction a cherché à invisibiliser le mouvement.

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Crédits photos : Révolution Permanente

Rémunération, conditions de travail : le ras-le-bol des agents du Bourget

Pour Caro, agent circulation, la grève est avant tout le fait d’une « accumulation de problèmes dans tous les postes » : non comptabilisation des primes, bas salaires, difficultés à poser les congés, manque de postes : les problèmes se sont accumulés dans cette gare de triage. Les années Covid n’ont rien arrangé : obligés de travailler sur place, avec des dispositions sanitaires désastreuses, la SNCF n’a eu aucun égard pour ses agents.

Résultat : après quelques journées de grève lors des mobilisations nationales telles que le 18 octobre aux côtés des raffineurs, les salariés ont décidé de partir en grève reconductible. Arnold, qui est arrivé en 2020 dans la boîte, nous explique que « dès le mois d’octobre on s’est rassemblés pour discuter de la grève de 59 minutes. On a vu que cette méthode avait beaucoup impacté sur une grève similaire en 2017 sur ce même site du Bourget, et plus récemment à Paris Est, et on a voté à main levé pour choisir la méthode de grève ».

Chez les grévistes, deux préoccupations principales ressortent. Tout d’abord, les questions de salaires, avec des salaires qui sont autour des 2000€ bruts pour un agent circulation : les grévistes réclament une indemnité métier de 15€ par jour de travail, ainsi qu’une prime « pouvoir d’achat » de 2000€.

Mais c’est aussi pour exiger la création des postes supplémentaires que les grévistes se mobilisent, notamment celles et ceux travaillant à la réserve, c’est-à-dire les postes destinés à remplacer lors des congés, des maladies ou tout simplement des postes non pourvus. Car faute d’embauche, ces agents sont obligés de reporter leurs congés, voire travailler sur leurs jours de repos, ce qui est interdit : « depuis 2020, je n’ai pas arrêté de reporter mes congés, témoigne Arnold. On parle de plusieurs semaines en cumulé. C’est le manque d’effectif qui aboutit à ces situations. En 2022, c’est 22 jours de congés qu’on m’a obligé de reporter. Et même quand j’étais en congés en décembre, on m’a harcelé pour savoir si je pouvais interrompre mes vacances pour venir travailler parce qu’il manquait du monde... »

En plus de peser sur la vie de famille des salariés, le manque d’effectif est surtout un enjeu de sécurité, avec des agents qui doivent faire le travail de deux cheminots : «  Sur certains postes d’aiguillage, on est censé être deux. Je ne peux même compter le nombre de services où j’étais seul. Il suffit d’un incident circulation, des travaux et le graissage des appareils de voie et tu te retrouves submergé, tout seul dans le poste. L’erreur sécurité, elle arrive très très vite, ça devient un enfer, on sature. Ce sont des facteurs de stress incroyable. »

« On veut que tout le monde soit représenté » : la grève doit appartenir aux grévistes

Dans la bouche de beaucoup, une idée revient : l’idée d’un collectif de lutte, et d’une démocratie dans la grève. « C’est une grève pas évidente, parce qu’on reste en poste sur nos horaires de grève, avec des procédures longues à faire, admet Caro, depuis 20 ans à la SNCF. On s’appelle, on discute et on a une cohésion entre grévistes, et on veut souder ça encore plus avec une journée où l’on fera grève toute la journée pour se retrouver, discuter et décider des suites que l’on veut donner à notre mouvement, tous ensemble. »

Petit à petit, la grève s’est renforcée, et de plus en plus de salariés ont été convaincus de rejoindre le mouvement. Pour cela, la caisse de grève a beaucoup aidé : « j’ai des collègues à moi qui ne voulait pas se mettre en grève pour des côtés financiers, explique Manon. Le fait qu’il y ait une caisse de grève ça a aidé à les convaincre, parce qu’ils ont vu qu’ils n’allaient pas perdre d’argent, parce que perdre 50€ pour certains c’est beaucoup ». Résultat : des trois grévistes sur son poste au début du mouvement, ils sont maintenant 100% en grève.

Sur le triage, toutes les décisions sont prises collégialement, y compris pour aller négocier avec la direction. Alors que celle-ci avait tenté d’ignorer le mouvement, après cinq semaines de grève, ce n’était plus possible. « On a appris que la hiérarchie avait enfin donné signe de vie et proposait une rencontre, continue Caro. D’abord, on a voté entre les grévistes pour savoir si on acceptait la rencontre, et on a voté oui. Ensuite, pour la composition de la délégation, on a voulu que tout le monde soit représenté : agents au statut et contractuels, agents en roulement et agent de réserve, syndiqués et non syndiqués. De même, on voulait que tous les postes du triage soient représentés.  » Une initiative que beaucoup apprécient : « même moi qui ne suis pas syndiquée, je trouve ça bien que tout le monde puisse être représenté, pour pouvoir aussi discuter de tous les problèmes du quotidien  » témoigne Manon. Après la rencontre avec la direction, prévue le 4 janvier, la délégation doit faire un retour des discussions avec les grévistes, seuls à même de prendre une décision. Pour Arnold, c’est aussi ce fonctionnement démocratique qui a permis d’élargir la grève : « cette volonté de regrouper fait que la grève est pas mal suivie : personne n’est délaissé ou mis de côté, et on écoute tout le monde  ».

Une grève ne se gagne pas avec les seuls syndiqués, mais doit se massifier pour unir tous les travailleurs

Pour Anasse Kazib, élu Sud Rail sur le Bourget, l’auto-organisation est une préoccupation centrale : « il faut que la grève appartienne aux grévistes et qu’ils aient leur mot à dire sur tous les aspects. L’auto-organisation apporte un sursaut important dans la mobilisation, car tout le monde est sur un pied d’égalité et qu’une voix égale une voix : ça motive beaucoup de grévistes non syndiqués à s’investir et à motiver les collègues. On voit que dans les grèves nationales, le fait que tout soit décidé dans des petits cercles et dans les bureaux syndicaux, fait que beaucoup se demandent pourquoi ils devraient se bouger si au final ils n’ont pas leur mot à dire  ». Au Bourget, c’est donc le contrepied qui a donc été pris : la délégation chargée de discuter avec la direction est composée d’élus Sud Rail et de non syndiqués, laquelle a été votée par les grévistes. De même, la caisse de grève est destinée à tous les grévistes et pas seulement les syndiqués comme on peut parfois le voir.

Mettre les salariés devant la direction a aussi un autre intérêt selon Anasse : «  Le comportement du patron n’est pas le même avec des élus et des non syndiqués. Nous nous faisons partie du cadre de négociation habituel, et le patron peut toujours dire que ce que l’on dit c’est l’orientation syndicale qui le veut. Les agents de base, eux, amènent la parole directement. Cela, le patron le sait très bien, il sait que les syndicats peuvent être contournés par des communiqués mensongers, mais des agents qui ne sont pas des syndicalistes, leur parole auprès des collègues peut jouer un rôle de radicalisation importante. »

Au fond, ce que cherchent à montrer les grévistes du Bourget, c’est une autre méthode de grève, mettant au centre la démocratie ouvrière. Une méthode qui se veut un modeste exemple à suivre, au moment où la colère est présente dans de nombreux secteurs au sein de la SNCF comme l’illustre le mouvement des contrôleurs, des grèves locales comme celle des aiguilleurs, des agents de conduites des lignes N et U. Une telle auto-organisation sera d’autant plus dans la bataille des retraites qui s’annonce, où le front uni des directions syndicales cherchera à imposer sa stratégie et son calendrier, et où les grévistes devront imposer leur avis pour que leur grève leur appartienne réellement.

 
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