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La Izquierda Diario
26 de décembre de 2022 Twitter Faceboock

Guerre en Ukraine
Pourquoi le gouvernement ukrainien demande-t-il l’exclusion de la Russie du conseil de sécurité de l’ONU ?
Wolfgang Mandelbaum

Le ministre des Affaires étrangères ukrainien Dmytro Kuleba a demandé ce lundi l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de Sécurité des Nations Unies, prétextant, entres autres, que la Russie serait en rupture avec les règles de pacifisme de la charte des Nations Unies.

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L’Ukraine a aujourd’hui demandé l’exclusion de la Russie du conseil de sécurité des Nations Unies, appelant « les Etats membres de l’ONU (...) à priver la Fédération de Russie de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et à l’exclure de l’ONU dans son ensemble ». Une demande qui a très peu de chances d’aboutir.

En effet, la Charte des Nations Unies n’inclut pas de clause permettant d’exclure les membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU. Exclure purement et simplement la Russie de l’ONU même, comme le demandait l’Ukraine au début de la guerre, n’est pas non plus envisageable : la Russie – et accessoirement la Chine – opposerait automatiquement son véto, le conseil de sécurité ayant de facto la prérogative sur l’exclusion de membres de l’ONU. C’est pourquoi l’Ukraine cherche aujourd’hui des solutions alternatives pour obtenir l’exclusion de l’adversaire russe. La solution trouvée par Dmytro Kuleba, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, repose sur une interprétation particulière de la charte de Nations Unies.

La Fédération de Russie dispose depuis la dissolution de l’URSS en 1991 d’un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU, et donc d’un droit de véto sur toutes les décisions qui en émanent, au même titre que les États-Unis d’Amérique, la France, la République Populaire de Chine et le Royaume-Uni. Si la succession de la Russie à l’URSS au sein de l’ONU s’est faite assez naturellement, aujourd’hui l’Ukraine conteste la légalité même de ce passage de flambeau, dans le contexte de la guerre menée par la Russie sur leur territoire. Cette décision n’est pas que symbolique : la présence du pays agresseur au sein de l’instance soit-disant en charge de la paix et la sécurité sur la planète, et qui reflète surtout les équilibres entre grandes puissances hérités de la Seconde guerre mondiale et l’ordre impérialiste dirigé par les Etats-Unis, a empêché toute décision en rapport avec le conflit, le représentant de la Russie opposant son véto à toute décision condamnant l’agression russe.

Pour Dmytro Kuleba, la présence de la Russie au conseil de sécurité de l’ONU ne va pas forcément de soi. En effet, selon l’article 23 de la charte des Nations Unies, le siège qu’occupe actuellement la Fédération de Russie est toujours attribué à Union Soviétique :

Le Conseil de sécurité se compose de quinze Membres de l’Organisation. La République de Chine, la France, l’Union des Républiques socialistes soviétiques, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et les États-Unis d’Amérique sont membres permanents du Conseil de sécurité.

De la même manière, le siège qu’occupe la République Populaire de Chine était précédemment occupé par la République de Chine, c’est-à-dire le gouvernement de Taïwan, avant que la Chine continentale ne prenne sa place grâce à l’aval officieux de Nixon en 1971, dans le contexte de normalisation des relations des États-Unis avec la Chine de Mao. Pour ce qui est de la succession de la Russie à l’Union soviétique, les choses se sont faites de manière moins formelle, essentiellement pour éviter une vacance parmi les membres permanents du conseil de sécurité. Kuleba avance donc que la succession de la Fédération de Russie à l’URSS aurait dû se faire en suivant l’article 4 de la charte, qui stipule que l’accession d’un État à l’ONU doit se faire sur recommandation du conseil de sécurité, comme cela avait été le cas par exemple pour le cas de la République Tchèque et de la Slovaquie suite à la dissolution de la Tchécoslovaquie.

Exclure la Russie du conseil de sécurité de l’ONU sur une question de continuité gouvernementale a cependant peu de chances d’aboutir. En effet, au moins trois membres permanents du conseil auraient à y perdre dans l’hypothèse d’un remodelage du principe de continuité naturelle de la présence des États au sein de l’ONU, à savoir la Russie, la Chine, mais également le Royaume-Uni, dont l’hypothèse d’une explosion de l’Union est loin d’être irréaliste, suite à une possible prise d’indépendance de l’Écosse et une réunification de l’Irlande. Mettre en doute le principe de continuité naturelle mettrait en péril la succession automatique de l’Angleterre et du Pays de Galles au Royaume-Uni au sein de l’ONU.

Surtout, pour justifier l’exclusion de la Russie, l’Ukraine met en avant le caratère agressif de la Russie, expliquant ainsi que : «  trois décennies de présence illégale à l’ONU ont été marquées par des guerres et la prise de territoires d’autres pays, un changement forcé des frontières reconnues internationalement et des tentatives de satisfaire ses ambitions néo-impériales ». Son argumentation repose sur une autre interprétation de l’article 4 de la charte fondatrice des Nations Unies :

Peuvent devenir Membres des Nations Unies tous autres États pacifiques qui acceptent les obligations de la présente Charte et, au jugement de l’Organisation, sont capables de les remplir et disposés à le faire.

Pour Kuleba, la présence de la Russie à l’ONU et a fortiori au conseil de sécurité de l’ONU est nulle et non avenue, du fait des crimes de guerre, des actions terroristes ou « génocidaires » de la Russie à l’encontre de l’Ukraine et d’autres nations anciennement membres de l’ex-Union soviétique.

Or, mettre en doute la légitimité de la présence de la Russie sur la base d’actions allant à l’encontre du soi-disant principe de pacifisme demandé par la charte invaliderait la présence de la plupart des États-membres, et en premier lieu de tous les membres permanents du conseil de sécurité ! Les puissances impérialistes et coloniales étatsuniennes, françaises et britanniques notamment ont une responsabilité directe dans l’essentiel des occupations et agressions étatiques aux quatre coins de la planète. Si ces derniers s’opposent aujourd’hui à l’agression russe en Ukraine, c’est avant tout pour défendre leurs propres intérêts militaires et industriels en Europe de l’Est. Cette demande d’exclure la Russie de l’ONU s’inscrit donc dans une logique similaire à la condamnation de la Russie comme un Etat « terroriste » par l’Union Européenne décidée il y a quelques semaines.

Si la requête de l’Ukraine d’exclure la Russie du conseil de sécurité de l’ONU n’a aucune chance d’aboutir, et le ministre Kuleba en est conscient, il s’agit plutôt d’une manoeuvre visant à saper la légitimité et l’autorité de la Russie sur tous les fronts dans la guerre idéologique qui les oppose. Loin d’être un outil pour préserver la paix, le conseil de sécurité de l’ONU est avant tout un instrument pour asseoir l’ordre libéral sous la houlette des États-Unis. L’exclusion de la Russie serait à cet égard un succès pour les américains, alors que certains groupes (notamment la commission parlementaire dite « Helsinki ») poussent en ce sens, et demandent également que la Chine soit évincée de cette instance. Dès lors, cette manoeuvre, qui relaie les objectifs de l’impérialisme dans le conflit, n’a rien à voir avec une tentative visant à préserver la paix et la population ukrainienne durement touchée par l’agression russe.

 
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