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La Izquierda Diario
21 de décembre de 2022 Twitter Faceboock

Crise politique au Pérou
Coup d’État parlementaire et soulèvement populaire au Pérou
José Rojas

Le coup d’État parlementaire qui a destitué Pedro Castillo et permis l’ascension de Dina Boluarte est devenu le déclencheur d’une série de mobilisations puissantes, notamment dans les régions intérieures du pays où la situation économique ne favorise pas la grande majorité. Un soulevement de masse qui n’avait pas été observé au Pérou depuis de nombreuses années.

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À l’heure où nous sortons cet article, la brutale répression policière et militaire ordonnée par Dina Boluarte, soutenue par la mise en place de l’état d’urgence qui permet la militarisation des zones où les tensions sociales sont les plus fortes, a déjà coûté la vie à 28 manifestants (ce nombre pourrait continuer à augmenter au fil des jours) et des centaines de personnes ont été blessées, la plupart par des armes à feu, qui auraient été utilisées par des membres des forces de répression.

Dans les lignes qui suivent, nous tenterons d’expliquer la dynamique de ce processus social qui secoue le Pérou, et nous essaierons de mettre en évidence ce qui, à notre avis, sont les causes les plus importantes qui ont conduit à cette explosion sociale. Nous analyserons également le rôle joué dans ce processus par la gauche réformiste, essentiellement à travers l’administration de Pedro Castillo. Nous conclurons cet article en avançant quelques éléments qui, de notre point de vue, contribueraient à ouvrir la voie à une sortie qui donne du pouvoir à la classe ouvrière et aux secteurs populaires, et leur permet d’avancer vers un gouvernement des travailleurs et du peuple avec une perspective socialiste.

Bonapartisme raté, coup d’État parlementaire et réponse populaire

Le 7 décembre, le Parlement péruvien devait débattre et voter la troisième motion de destitution du président socialiste Pedro Castillo. Auparavant, le Congrès, à majorité de droite, avait tenté de destituer M. Castillo à deux reprises, sur la base d’une série d’allégations et de déclarations de divers "collaborateurs effectifs" selon lesquelles l’ancien président s’était livré à des actes de corruption, s’appropriant des fonds publics pour favoriser sa famille et les membres de son entourage politique le plus proche.

Comme on le sait, dès l’entrée en fonction de Pedro Castillo en tant que président, un important secteur de l’extrême-droite parlementaire, ont refusé de reconnaître sa victoire électorale, qu’ils remettaient en question avant même sa prise de fonction, invoquant la fraude. Ces secteurs, avec le soutien de la grande presse et, plus tard, du ministère public et du pouvoir judiciaire, ont mené une campagne médiatique et juridique bien synchronisée pour faire croire que le président de l’époque était à la tête d’un "réseau criminel", et devait être démis de ses fonctions. C’est pourquoi nous affirmons que le coup d’État parlementaire a été préparé et mis en œuvre dès le premier jour où M. Castillo est entré dans le palais du gouvernement.

Le 7 décembre, cette escalade au coup d’État avait déjà avancé de manière significative. Au cours des jours précédents, d’importants anciens fonctionnaires de Castillo, tels que son ancien secrétaire personnel Beber Camacho et son ancien chef de la DINI (service de renseignement) José Fernández Latorre, ont porté des accusations publiques impliquant l’ancien président dans la fuite illégale de ses neveux et de l’ancien ministre Silva, et le reliant également à la collecte de quotas pour obtenir des postes publics importants. Le 7 décembre, quelques heures avant la session destinée à discuter de la vacance du poste, l’ancien conseiller de Castillo, Salatiel Marrufo, a fait des déclarations télévisées depuis sa prison, impliquant également l’ancien président dans des affaires de corruption.

Toutes ces accusations, qui visaient à faire craquer les membres du Congrès qui refusaient de voter pour la destitution du président (87 voix étaient nécessaires pour qu’elle ait lieu), ont apparemment fini par faire craquer Castillo lui-même, qui, effrayé par cette éventualité, a fini par tenter une manœuvre bonapartiste qui a échoué : fermer le Congrès et licencier les hauts fonctionnaires du pouvoir judiciaire, du bureau du procureur général et de la Cour constitutionnelle. Cependant, le manque de soutien des forces armées et de la police a fait que cette tentative n’est pas allée plus loin qu’un discours public. Au final, de nombreux alliés parlementaires de l’exécutif, comme ceux qui formaient le bloc des enseignants, ceux de Perú Libre et de Nuevo Perú, ont fini par soutenir la motion de vacance, qui dépassait désormais largement le nombre de voix requis (101 voix). Immédiatement après avoir été libéré, Castillo a été arrêté et emprisonné par la police nationale, dont il avait appelé les chefs quelques heures auparavant pour tenter de concrétiser son plan bonapartiste visant à fermer le Congrès et les autres branches du gouvernement. Entre-temps, le Congrès s’est empressé de faire prêter serment à Dina Boluarte comme nouvelle présidente, avec laquelle, semble-t-il, ils avaient déjà pris toutes les dispositions pour le remplacement de Castillo.

Pourtant, ce à quoi les secteurs pro-coup d’Etat et Dina Boluarte elle-même ne s’attendaient pas, c’est la réaction populaire spontanée. Le lendemain de la destitution de Castillo, celle-ci a commencé à se manifester progressivement mais avec force par des actes de protestation contre le parlement et le nouveau président. Les slogans "ils doivent tous partir" et "nouvelles élections générales" ont commencé à être les plus fréquemment exprimés par les manifestants qui, en particulier dans les régions les plus pauvres de l’intérieur du pays, ont commencé à organiser des marches de protestation. Ils ont ensuite bloqué des routes importantes comme la route panaméricaine au sud de la région d’Ica et à Chala-Arequipa. La Panamericana Norte a également été bloquée et dans les régions des hauts plateaux centraux, comme Apurímac par exemple, les actions sont devenues beaucoup plus musclées, allant jusqu’à prendre possession d’aéroports et brûler d’importantes institutions publiques.

Le gouvernement dictatorial de Dina Boluarte a répondu par la répression qui, loin de faire taire les manifestants, n’a fait qu’enflammer les esprits, surtout lorsque les premiers décès sont survenus. Les manifestations de protestation se sont étendues à presque tout le pays (au quatrième jour de la lutte, dans 20 des 24 régions du Pérou, il y a eu des actions énergiques, telles que des blocages de routes, des mobilisations de masse, des prises de possession de lieux publics, etc). Boluarte, qui a fait prêter serment à un cabinet de techniciens très proches des groupes de pouvoir et des grands capitalistes, a décrété l’état d’urgence et a ordonné l’intervention des militaires qui, au cri de "tuer ou être tué", ont sauvagement attaqué la population mobilisée. Le nombre de morts est alors passé de 7 à près de 30 au moment de la rédaction de cet article, ainsi que des centaines de blessés, dont beaucoup sont encore dans le coma à la suite de blessures par balle.

Aujourd’hui, une grande partie du Pérou est militarisée et se trouve en état d’urgence. Des chars, ainsi que des groupes de militaires et de policiers d’assaut, patrouillent chaque jour dans les rues pour tenter d’intimider les manifestants et les personnes qui viennent protester. Ces dernières ont commencé à être étiquetés comme terroristes et comme appartenant aux défuntes organisations du Sentier lumineux et du MRTA, ayant mené des actions armées dans les années 1980. Malgré tout, les manifestations se poursuivent sous différentes formes. Qu’est-ce qui a poussé un peuple, considéré jusqu’à récemment comme conservateur et pacifique par rapport à ce qui se passait au Chili, en Équateur ou en Colombie, à se lever ? Qu’est-il arrivé au "miracle péruvien" que de nombreux politiciens et économistes de droite de la région avaient l’habitude de brandir pour montrer les "triomphes" du capitalisme et du néolibéralisme ?

30 ans de néolibéralisme : les racines structurelles du problème

Le Pérou est un pays capitaliste dépendant et au développement nettement inégal. C’est pourquoi d’importants universitaires parlent de l’existence de deux Pérou : l’un, où se concentrent les principales activités politiques, administratives, commerciales, financières et productives, où, malgré les contradictions et les inégalités inhérentes à ce système, on perçoit davantage de progrès et de bien-être. Ce secteur est représenté par Lima. Quant à l’autre Pérou, également appelé par l’historien Jorge Basadre "Pérou profond", il serait constitué de la majorité des régions intérieures du pays, où se concentrent les principaux problèmes sociaux tels que la pauvreté, l’informalité, le chômage, la précarité des services sociaux, la discrimination raciale, etc. C’est précisément ce "Pérou profond" qui est l’épicentre principal de cette flambée sociale, qui a mis en lumière la crise de l’État et de la société péruviens.

Cette crise a été considérablement aggravée par la mise en œuvre de 30 ans de néolibéralisme, un modèle économique qui, rappelons-le, a été imposé par le gouvernement autoritaire d’Alberto Fujimori après le coup d’État du 5 avril 1992, et a permis la promulgation, un an plus tard, de l’actuelle Constitution de 1993. Cette dernière a créé les conditions légales pour favoriser les profits des grands entrepreneurs nationaux et étrangers au détriment des intérêts et des besoins de la classe ouvrière, des paysans et des secteurs populaires. Ainsi, depuis la mise en œuvre de la Constitution de 1993, un nouveau régime politique a été mis en place, promouvant une démocratie précaire, où les grandes majorités ne peuvent élire leurs représentants (président et membres du congrès) que tous les cinq ans et doivent ensuite supporter l’abandon de leurs promesses de campagne, comme cela s’est produit, par exemple, avec Ollanta Humala ou Pedro Castillo lui-même.

En conséquence de ces 30 années de néolibéralisme, et comme la crise sanitaire de Covid-19 l’a clairement montré, nous avons aujourd’hui au Pérou un système de santé effondré et sous-financé, sans la capacité de répondre aux besoins fondamentaux des secteurs les plus pauvres qui ne peuvent pas se permettre d’aller dans une clinique privée. Il en va de même pour l’enseignement public qui, en raison de son faible budget, entraîne la précarité du travail des enseignants et le manque d’infrastructures de base. Ce modèle est également responsable du taux élevé de travail informel et d’une main-d’œuvre précaire, qui finit par favoriser le patronat qui peut aisément augmenter ses taux de profit.

C’est sur cette base matérielle que repose le soi-disant "miracle péruvien". Si nous regardons le dernier rapport sur la "Performance du marché du travail péruvien jusqu’en 2021", préparé par la société ComexPerú, le nombre de travailleurs informels au niveau national a augmenté, s’élevant à 13 156 308, soit une augmentation de 17,2% par rapport à 2020. Comme le montrent les rapports de l’Institut national des statistiques et de l’informatique (INEI), le taux d’emploi informel (c’est-à-dire sans contrat et sans droits) au Pérou est d’environ 70 % de la population économiquement active (PEA).

Ce phénomène a un degré de concentration fort précisément dans les régions intérieures du pays. En ce sens, un total de 18 départements présentait un taux d’informalité supérieur à la moyenne nationale. En particulier, Huancavelica est le département le plus touché avec un total de 285 677 emplois informels contre seulement 15 700 dans le secteur formel, ce qui se traduit par un taux d’informalité de 94,8%. Apurímac s’est classé deuxième avec un taux d’informalité de 90,6%, suivi des départements de Puno (90,4%), Huánuco (89,9%), Cajamarca (89,4%), San Martín (89,3%), Ayacucho (88,8%) et Amazonas (88,3%). Toutefois, il est important de mentionner que Cusco, Loreto, Pasco, Junín, Ucayali, Áncash, Piura, Tumbes, Madre de Dios et Tacna ont également dépassé la moyenne nationale. Ce n’est donc pas une coïncidence si la plupart des régions intérieures présentant les taux les plus élevés de travail informel et de pauvreté sont également les régions où se déroulent aujourd’hui les manifestations de lutte les plus énergiques contre le gouvernement Boluarte et d’autres institutions de l’État.

Un autre secteur durement touché par la mise en œuvre des politiques néolibérales est la campagne, qui est précisément le lieu où toute cette colère sociale s’est développée et manifestée. Aujourd’hui, les paysans des régions intérieures du pays, qui exercent essentiellement des activités agricoles pour leur subsistance, traversent une crise grave liée à la baisse des prix de leurs produits en raison de l’importation de produits agricoles et de l’augmentation du prix des intrants également importés, comme les engrais, par exemple. Les grands investissements miniers privés, qui sont présentés comme un levier de développement social, loin de contribuer à la résolution de ces problèmes qui affligent les paysans, les aggravent considérablement. En effet, leurs activités d’extraction finissent par créer des sources de pollution environnementale et d’appropriation des ressources en eau, comme cela se produit dans la zone des hautes Andes de Moquegua avec la compagnie minière Souther ou dans le corridor minier d’Apurímac et de Cusco avec la compagnie minière Las Bambas.

Crise organique et racisme

À ces éléments structurels, s’ajoute la profonde crise de discrédit des principales institutions de l’État telles que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ainsi que les partis politiques et les médias de masse. Ceci, entraine une perte d’hégémonie et de contrôle idéologique de secteurs de la population qui ne se sentent plus représentés par ces institutions de la superstructure, et qui en appellent donc désormais à la mobilisation et à la lutte comme seule voie à prendre en compte. C’est ce que nous appelons, à la suite de Gramsci, la crise organique.

Cette colère généralisée à l’égard du Congrès de la République et de la majorité parlementaire est une conséquence de la profonde dévalorisation de ce pouvoir d’État, car il est considéré comme une caisse de résonance d’intérêts privés qui n’ont rien à voir avec les besoins du peuple. Cela fait partie, comme nous l’avons déjà dit, du discrédit des pouvoirs de l’État dans leur ensemble, qui a commencé à se développer en 2016 lorsque les liens entre les hommes d’affaires de l’entreprise de construction Odebrecht et les politiciens au pouvoir sont devenus publics, conduisant de nombreux anciens présidents et personnalités politiques de renom en prison et s’est même terminé par le suicide d’Alan García. Rappelons que l’affaire Odebrecht faisait partie de l’opération Lava Jato qui, profitant de l’indignation populaire légitime contre la corruption, a été utilisée par l’impérialisme américain pour se débarrasser des gouvernements et des politiciens qui lui étaient désagréables sur le continent.

Le Parlement est ainsi devenu le fief d’un secteur important de ce que l’on appelle la "bourgeoisie émergente", composée principalement d’hommes d’affaires provinciaux, dont beaucoup ont bâti leur fortune sur des entreprises illicites ou des sociétés d’enseignement très lucratives mais de mauvaise qualité, qui finissent par devenir des "usines de qualifications professionnelles", et sont au final une escroquerie pour des milliers de jeunes. Ces secteurs, qui étaient autrefois dirigés par le Fujimorisme, ont fait du Congrès l’espace naturel de leurs transactions économiques et de la consolidation de leurs entreprises. Ils sont présents au Congrès parce que beaucoup de ces hommes d’affaires sont également propriétaires de partis politiques, comme l’Alianza para el Progreso du millionnaire Cesar Acuña, Podemos Perú de José Luna Gálvez, Renovación Popular de López Aliaga, entre autres. Outre ces "partis d’entreprise", il y en a d’autres qui ont une histoire plus longue, mais qui sont entachés de corruption et de reddition pro-entreprise, comme Acción Popular du très répressif Manuel Merino et du corrompu "Vitocho" Belaunde, ainsi que Fuerza Popular de la tristement célèbre Keiko Fujimori.

Ce discrédit des institutions et des partis politiques, ainsi que de leurs dirigeants les plus reconnus, est également conditionné par le racisme que ces partis et institutions dégagent à l’encontre de la population, généralement d’origine provinciale et à faible revenu. Nous pouvons donc dire que la discrimination ethnique-raciale au Pérou est devenue un élément central de la vie politique du pays, et constitue un mécanisme actif qui contribue à la construction d’un ordre social hiérarchique engendrant la marginalisation et l’exclusion de secteurs importants de la population. Comme l’a dit l’historien Alberto Flores Galindo : "Le racisme existe au Pérou malgré le fait que les termes raciaux, supprimés dans les procédures d’identification publique, n’ont aucune circulation officielle. Mais un phénomène qui est dissimulé, voire nié, n’en est pas moins réel". Ce racisme, qui a des racines coloniales et est très présent dans la société péruvienne d’aujourd’hui, est devenu un outil idéologique efficace utilisé par les classes dirigeantes pour diviser les exploités. Et c’est précisément contre ce racisme naturalisé, voire institutionnalisé, que beaucoup se mobilisent dans les provinces du "Pérou profond".

Bonapartisme judiciaire et coup d’Etat parlementaire

Le pouvoir judiciaire et le ministère public font également partie des institutions mises en cause par la population mobilisée, notamment parce qu’il est très évident qu’ils se sont déchaînés judiciairement contre Pedro Castillo, ce qui n’avait pas été fait auparavant avec d’autres dirigeants qui, bien que l’on sache qu’ils étaient plongés dans des irrégularités et des actes de corruption, ont été autorisés à exercer normalement leurs fonctions. Les organes chargés d’administrer la justice au Pérou sont également très discrédités car il est bien connu que les hauts fonctionnaires de ce secteur ont tendance à s’entendre avec les grands hommes d’affaires et les politiciens en échange d’avantages juteux, comme l’a clairement démontré il y a quelques années l’affaire dite des "cols blancs", qui a impliqué une série de magistrats dans des affaires avec des secteurs liés aux groupes de pouvoir.

Malgré cela, au Pérou, comme dans le reste des pays de notre continent, la figure d’un Pouvoir Judiciaire et d’un Parquet National s’est imposée, avec des pouvoirs omnipotents capables d’intervenir dans les affaires politiques, devenant le facteur décisif. En conséquence, la politique finit par être judiciarisée.

C’est ce que nous appelons le bonapartisme judiciaire. Cela implique de donner un tel pouvoir aux juges et aux procureurs qu’ils deviennent des arbitres politiques. Selon Matías Maiello, "le bonapartisme judiciaire implique de donner vie à une caste judiciaire qui se propose comme garante de la légalité bourgeoise tout en la violant pour parvenir à ses fins. Un pouvoir judiciaire qui se propose, au nom de l’État de droit, d’assumer une bonne partie des tendances bonapartistes du régime nécessaire pour surmonter les éléments de la crise politique et économique. Une tentative de judiciariser la lutte des intérêts de plus en plus prononcée afin de la contenir dans l’ordre bourgeois".

C’est ce qui s’est passé récemment au Pérou, suite à l’intervention politique de la procureure Patricia Benavidez qui, bien qu’elle ait été sérieusement mise en cause pour sa proximité avec des personnes liées à des délits de trafic de drogue (sa sœur), a fini par devenir un personnage décisif. Par ses dénonciations et ses pressions juridiques, elle a donné des "bases légales" au coup d’État parlementaire destituant Castillo en utilisant uniquement les déclarations des soi-disant "collaborateurs effectifs" comme base de ses dénonciations.

Pedro Castillo et l’échec de la stratégie réformiste

C’est face à une situation économique critique considérablement aggravée par la pandémie de Covid-19, et face à ce discrédit des principaux pouvoirs de l’Etat et des partis politiques traditionnels, que Pedro Castillo a remporté la présidence du Pérou dans un scénario où les insultes raciales contre sa candidature étaient "le pain et le beurre".

Beaucoup de ceux qui ont voté pour Castillo au premier et au second tour des élections présidentielles de 2021 l’ont fait dans l’espoir que l’enseignant et syndicaliste de Cajamarca, d’origine rurale, qui venait de mener une grande grève des enseignants en 2017, aurait la force et la conviction de concrétiser ses promesses de campagne, comprenant la modification de la Constitution de 1993 par une Assemblée constituante et certaines réformes du modèle néolibéral.

Cependant, dès que Castillo est entré dans le palais du gouvernement, il a oublié ses promesses de campagne, a gardé sous clé la possibilité de se battre pour une Assemblée constituante et, afin de maintenir la continuité économique, a confié la direction de la Banque centrale de réserve au fonds monétariste et néolibéral Julio Velarde. Pendant ce temps, son ministre de l’économie a fait fi de ses engagements envers la classe ouvrière d’améliorer leurs conditions de travail et de concrétiser leur formalisation et, dans la pratique, a poursuivi les mesures d’austérité de ses prédécesseurs. Et pour qu’il n’y ait aucun doute sur sa conversion, Castillo s’est rendu aux États-Unis et s’y est prononcé en faveur de l’attraction des investissements étrangers, se plaçant comme le garant du respect des conditions légales (Constitution de 1993) qui favorisent le pillage et la spoliation de nos ressources.

L’argument des partisans de Castillo et des partis de gauche qui l’ont soutenu depuis l’exécutif était qu’il n’y avait pas les conditions pour de plus grandes choses et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire de mettre en colère la bourgeoisie. Il leur suffisait donc de s’emparer - autant que possible - des institutions de l’État bourgeois et, à partir de là, d’essayer de gérer le capitalisme afin de pouvoir, plus tard, procéder à une réforme qui ne contrarierait pas les hommes d’affaires.

Pour cette raison, ils n’ont jamais appelé à se battre pour quoi que ce soit, pas même lorsque la droite parlementaire et les médias attaquaient leur gouvernement et construisaient jour après jour la viabilité du coup d’État parlementaire qui s’est finalement concrétisé le 7 décembre. À chaque coup de boutoir de la droite et des médias, Castillo et ses alliés se déplaçaient plus à droite, au point qu’ils ont fini par appeler l’OEA impérialiste et favorable au coup d’État comme bouée de sauvetage... Oui, la même OEA qui venait de promouvoir le coup d’État contre Evo Morales en Bolivie et de reconnaître le gouvernement putschiste de Juan Guaidó au Venezuela.

S’il est vrai que Castillo, lorsqu’il était au gouvernement, n’a jamais été connu pour ses qualités d’homme d’État ou ses talents d’orateur, nous pensons que ce ne sont pas ces éléments qui l’ont conduit à perdre le pouvoir politique qui lui donnait la possibilité de devenir président du Pérou. C’est la stratégie de la conciliation des classes et la tentative d’administrer l’État bourgeois qui ont fini par le conduire à la ruine. La tentative d’effectuer des "changements" de l’intérieur, sans mettre les hommes d’affaires à mal ni modifier le cadre institutionnel de 1993, est devenue le facteur déterminant qui l’a conduit aujourd’hui à partager une cellule dans la même prison où est détenu Alberto Fujimori.

Lutter pour imposer une Assemblée constituante libre et souveraine

Cependant, aujourd’hui, malgré les trahisons de Castillo vis-à-vis de ses promesses de campagne, les masses sont descendues dans la rue, et ni les balles, ni les chars, ni l’état d’urgence du putschiste Boluarte, ne peuvent les briser dans leur lutte pour commencer à tout changer. Cependant, tant que ce ne sont pas les peuples et les travailleurs qui gouvernent à travers leurs organisations naturelles, la possibilité de réaliser ces changements ne sera pas possible. Un pas dans cette direction consiste à se débarrasser du régime politique actuel de 1993 ; pour cela il est fondamental de lutter pour une Assemblée Constituante Libre et Souveraine issue de la mobilisation et de l’auto-organisation des travailleurs et du peuple.

Mais, pour ce faire, nous devons renforcer la seule voie par laquelle nous pouvons les vaincre : la voie de la mobilisation permanente, vers un plan de lutte qui culmine dans une grève générale pour chasser Boluarte et tout ce régime, et ainsi forger une alliance ouvrière et populaire pour gagner toutes nos revendications. Par conséquent, nous appelons à la formation d’un commandement unitaire de lutte à portée nationale qui nous permettra de centraliser les différentes initiatives et de frapper d’un seul poing.

Seules l’action de la lutte de classe dans les rues et l’auto-organisation sur la voie de la grève générale peuvent vaincre l’état d’urgence et faire tomber le gouvernement dictatorial de Dina Boluarte. Ce n’est que de cette manière que nous pourrons imposer une Assemblée constituante libre et souveraine qui réponde à nos besoins. Sur ce chemin, l’impulsion des organisations de travailleurs et de pauvres est nécessaire pour cette lutte, et ce sont elles qui pourront diriger un gouvernement provisoire des organisations de travailleurs et de pauvres qui appellera à une assemblée constituante, comme transition vers un gouvernement de travailleurs.

Si nous voulons commencer à changer les choses à partir des racines, nous ne pouvons pas attendre que ce Congrès ou le suivant convoque la Constituante. Non, seuls les espaces d’auto-organisation ouvrière et populaire, forgés dans le feu de la lutte, sont une garantie de notre victoire. La force existe et nous continuons à l’exprimer quotidiennement dans les rues. Nous devons passer à une lutte qui aille au-delà, pour renverser le régime de 1993 et répondre à nos aspirations.

 
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