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8 de décembre de 2022 Twitter Faceboock

Interview
Réforme des lycées professionnels : « Ils considèrent nos élèves comme du bétail »

Lydia est membre de la commission exécutive de la CGT Éduc, de l’Union Locale et de l’Union Départementale 68. Dans cette interview, elle revient sur la réforme des lycées professionnels et la grève contre la fermeture du lycée Charles de Gaulle de Pulversheim.

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Crédits photo : AFP

Révolution Permanente : En quoi consiste cette réforme et quelles sont ses conséquences pour les enseignants et pour les élèves ?

Lydia : Il y a deux questions dans ta question. L’une concerne la réforme des lycées professionnels et la seconde concerne la fermeture du lycée de Pulversheim. Bien entendu, il y a un lien de cause à effet même si nos dirigeants nous martèlent le contraire. Je vais donc commencer par aborder la question de la réforme des lycées professionnels et naturellement nous en viendrons aux fermetures annoncées de nombreux lycées dont celui de Pulversheim qui fera office d’exemple quant aux conséquences néfastes de cette réforme.

Sortie du chapeau de notre président, le 8 septembre dernier, cette réforme des lycées professionnels s’inscrit dans la ligne du conseil National de la Refondation lancé par ce dernier. Outre le fait que ce conseil emprunte de façon honteuse les initiales du conseil national de la résistance en voulant, par une stratégie de confusion, l’effacer de l’histoire et de la mémoire populaire, ce conseil ne représente, à l’inverse de son homonyme,rien d’autre qu’une ligne ultra libérale au service du capitalisme.

Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, annonce dès septembre 2023 le doublement des périodes de stage en entreprise dans les lycées professionnels passant de 22 semaines à 33 semaines. Cette dernière justifie cela par une volonté de rapprocher les lycées pro du monde de l’entreprise tout en offrant aux élèves les codes requis en situation. Elle lie à cette réussite une nouvelle gouvernance des lycées et émet donc la volonté de recruter massivement des « professeurs associés » issus du monde professionnel qui verront leur place renforcée dans les conseils d’administration. Cela vient renforcer les annonces faites par le précédent ministre de l’Éducation Nationale concernant la création de pôles de métiers. En effet, celui-ci annonçait le regroupement de filières identiques au sein des établissements professionnels qui se calquerait suivant les besoins des bassins de l’emploi. En d’autres termes, on proposerait des formations là où on aurait besoin de main-d’œuvre associée.

Mais cette réforme ne toucherait pas seulement les lycées professionnels, elle mettrait également à mal le collège unique car les ambitions de Madame Grandjean s’étendent à partir de la cinquième où elle souhaite instaurer des demi-journées par semaine de « découverte professionnelle ». Elle l’annonce clairement dans une interview donnée à « vie publique » le 14 septembre 2022.Or, lorsqu’on sait qu’un élève en fin de troisième aujourd’hui reçoit l’équivalent du nombre d’heures de français d’un élève en fin de cinquième en 1986, je vous laisse imaginer ce qu’il en sera pour les élèves soumis à une telle réforme en collège. Évidemment, elle annonce que dès le mois de septembre 2022 cela pourra se faire avec des établissements volontaires mais ce qu’il faut entendre c’est que cela ne sera pas valable pour tous les établissements mais seulement pour ceux accueillant le public le plus défavorisé.

Concernant les lycées professionnels le constat est le même. Avec un point de vue logique strictement mathématique, l’enseignement général va en pâtir. Moins d’heures de cours encore, alors que le passage du bac pro de 4 ans à 3 ans a déjà été une catastrophe en 2008, ce que l’on ressent aujourd’hui au niveau des passages en BTS qui s’avèrent très difficiles pour nos élèves. Moins d’heures de cours encore, alors que la réforme Blanquer a considérablement coupé dans l’enseignement général avec la co-intervention et la quasi-disparition du réel enseignement de l’Histoire et de la Géographie. Mais l’exécutif et le gouvernement continuent à adopter un double discours en assurant être très attaché à l’apprentissage des fondamentaux. Ah bon ? Alors pourquoi continuer à bannir le redoublement qui permettrait justement d’acquérir ces derniers ? C’est pourquoi, ce qui m’afflige le plus c’est d’entendre nos supérieurs hiérarchiques répéter en chœur, sans analyse aucune, la leçon apprise : « on sait que le redoublement n’est pas profitable ! ». Le non redoublement est profitable pour qui alors ?
Maintenant que nous avons brossé le tableau, nous comprenons la logique de la fermeture de certains établissements, dont Pulversheim. L’excuse, car il y en a toujours une, est celle de la passoire thermique. Le lycée coûterait trop cher en chauffage au regard de l’occupation par mètre carré du nombre d’élèves. Et ce n’est pas une blague… A force de considérer nos élèves comme du bétail et parler d’eux, dans la nove langue, en termes d’effectifs, de flux, de taux de pression élèves, de taux d’occupation d’espace, de cordées, de plus values, etc. Voilà qu’ils les prennent pour des poules ! De plus des poules d’élevage en batterie ! Maintenant que l’on sait que nos poules occupent trop d’espace et nécessitent trop d’énergie pour le chauffage, que faire afin qu’elles restent productives pour les fermiers ? Prendre des mesures dans certains établissements pour voir si on peut tous les caser ailleurs et si possible en regroupant les filières.

Le lycée Stoessel prendrait donc en charge la filière bac pro électricité (qui est déjà au maximum de ses capacités à ce jour) ainsi qu’une troisième prépa professionnelle (alors que le lycée a déjà du mal à en gérer une aujourd’hui puisque le rectorat a ajouté une classe « ambition voie pro » il y a deux ans, sans concertation, classe regroupant des élèves sortant du collège sans orientation. L’ensemble des professeurs ont découvert son existence à la pré-rentrée. On notera la subtilité du choix des mots de nos gouvernants qui transforment l’échec d’une orientation par le mot « ambition »). Pour installer les nouvelles filières, un calcul des surfaces utilisables a été diligenté par Monsieur Rottner. Évidemment, lors des mesures prises par des agents de la Région dès le mois de septembre, les professeurs tenus loin du secret étaient loin de s’imaginer ce qui les attendait.

En ce qui concerne les autres filières du Charles de Gaulle, une autre partie des élèves irait au lycée Louis Armand ; Il s’agit de la filière sécurité, plus prestigieuse et sélective. La filière chaudronnerie, quant à elle, irait au lycée de Cernay. Quant au bassin économique de Pulversheim, amputé de son lycée, il n’en est pas fait mention. Ainsi, une fois que les filières seront regroupées, il suffira de faire des partenariats avec les entreprises afin de garantir une formation en interne. Le lycée Stoessel a déjà accueilli une intervention d’ENEDIS promettant aux élèves une formation sur Dijon, tous frais payés, pendant un an. Quoi de mieux pour payer un ouvrier à la tâche plutôt qu’à la qualification ?

RP : le 17 novembre la grève a été largement suivie dans le lycée, mais cela ne devrait-il pas s’élargir de façon interprofessionnelle pour gagner ?

Lydia : Ta question est centrale. Effectivement, le monde du travail dans son intégralité est concerné par cette réforme car tout est lié. C’est pour cela que je pense que les combats menés en vase clos à l’intérieur d’une seule entreprise ou d’une seule branche de métiers n’aboutissent pas à changer les choses, au mieux permettent de les retarder. Dans cette réforme annoncée de la voie professionnelle c’est la mise en concurrence des salariés et des salaires au sein de toutes les entreprises qui prend une longueur d’avance si cela passe. Les salariés ne seront plus payés pour leur qualification mais à la tâche qu’ils effectueront. C’est déjà ce que l’on veut nous faire croire en mettant en avant les « bosseurs », expression déjà bien intégrée par la classe populaire qui ne se rend pas compte que sa culpabilité est construite par le grand patronat et devient la meilleure arme de ce dernier contre le travailleur.

RP : la manifestation du 19 novembre a été organisée par les enseignants du lycée mais nous avons également vu, ensemble, des partis de la gauche au RN. Est-ce le mot d’ordre de l’appel qui n’était pas assez clair ? Qu’en penses-tu ? Comment faudrait-il s’y prendre pour vaincre par la lutte ?

Lydia : Il est vrai que c’est toujours très désagréable de se retrouver dans des défilés avec des drapeaux qui n’ont pas vraiment leur place à ce moment-là, même si les personnes qui les portent peuvent avoir la leur. Je pense que le mot d’ordre était clair, il s’agissait de s’opposer à la fermeture du lycée de Pulversheim. Cependant on ne pourra jamais empêcher des tentatives de récupération ou des volontés d’opportunisme politique dans les cortèges. Dans certains partis, les drapeaux deviennent de véritables tocs, ils ne peuvent plus s’en passer… A ce stade là, il faut consulter !

RP : Le fait de brader les jeunes des quartiers populaires pour qu’ils deviennent de la chair à exploitation pour le patronat, pour les grands groupes, au lieu de les éduquer pour qu’il s’émancipe, n’est-ce pas une orientation du Medef ?

Lydia : C’est précisément ça, mais ce n’est pas nouveau. Le Medef nourrit la volonté de garder une société à deux vitesses : les dirigeants et les exécutants.Dans son ouvrage « comment l’école reproduit-elle les inégalités ? » Sébastien Goudeau donne les chiffres suivants : les enfants des classes populaires représentent 86 % des élèves en grandes difficultés scolarisés dans les sections d’enseignement général et pro adaptées type SEGPA alors que 2 % seulement sont des enfants de cadres supérieurs ». Ce constat fait écho aux inégalités d’accès aux études supérieures. Cela est dû principalement au fait que les classes favorisées cultivent très tôt l’indépendance, fortes d’un mimétisme se calquant sur le dominant, le sans complexe, contrairement aux classes défavorisées auxquelles on apprend très tôt à marcher sur des œufs, à combler leurs lacunes à ne jamais être sûre de rien et sur lesquelles on fait peser le soupçon de l’échec dès l’entrée dans la scolarité. Ainsi les élèves issus d’un milieu confortable sont favorisés lors des oraux (d’où la volonté de nos politiques téléguidés par le Medef de créer « le grand oral » au lycée). Il est certain que la réforme du lycée professionnel répond point par point aux grandes ambitions de lutte des classes du Medef.

RP : Nous savons tous que la réforme GrandJean peut très bien passer à l’Assemblée Nationale et que notre centre de gravité ne pourra qu’être la lutte des classes. Quel devrait être le plan de bataille, d’après toi, pour faire reculer le gouvernement et le patronat ?

Lydia : Le même combat a eu lieu sous De Gaulle. Ce dernier ne voulait pas, je le cite, « dépenser une masse de crédits pour absorber une masse de crétins qui normalement n’auraient pas eu accès à l’enseignement supérieur » Il voulait que tous les enfants puissent aller au collège mais ne voulait pas davantage de lycéens et d’étudiants. Il s’opposera en 1968 à E. Faure qui souhaitait inscrire dans la loi le droit des bacheliers à entrer dans l’enseignement supérieur. De Gaulle dira : « C’est organiser la submersion définitive de l’université par la médiocratie ». Ce dernier retirera du projet de Faure, au dernier moment, un article permettant le rattachement des grandes écoles aux universités.

Tout ceci pour dire que la volonté, toute libérale, de garder et renforcer le privilège des classes trouve de nombreux échos dans l’Histoire, même récente. La solution pour les faire reculer a toujours été la même : il faut investir dans le collectif, éduquer la jeunesse et les moins jeunes, continuer à s’éduquer soi-même, être vigilant, faire des propositions politiques tout en maintenant le bras de fer avec le pouvoir, résister sur le terrain en désobéissant autant que possible et surtout continuer à comprendre les tensions qui travaillent notre société afin d’anticiper le remède avant que d’autres n’imposent le leur.

 
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